Depuis la diffusion, le dimanche 2 juin 2019, d’une « enquête » de la BBC sur « l’attribution de deux champs pétroliers et gaziers à l’homme d’affaires Frank Timis, en 2012 », la polémique enfle sur le « versement », sitôt démenti, « de pots-de-vin » et l’acceptation, également démentie, par la compagnie pétrolière britannique, BP, de verser « 10 milliards de dollars » de royalties à Frank Timis.
Pourtant l’adoption, dès 2013, de la Norme ITIE par le Sénégal suffit à elle seule à faire éclater la vérité dans cette affaire. C’est que la désignation, édictée par ladite norme, d’un auditeur indépendant, pour le rapprochement ou l’audit des données portant sur les paiements et les revenus, garantit à cet auditeur l’accès aux dossiers financiers des compagnies.
Tiré de mon essai intitulé « Contre-discours » (L’Harmattan Sénégal, 2019 », l’article que vous avez sous les yeux donne quelques indications pouvant être utiles au profane sans cesse abusé.
Légitimé, par plus de trente ans d’expérience dans l’administration sénégalaise, rythmés par une intense activité politique, le Secrétaire général du Parti socialiste, Ousmane Tanor Dieng, considère que le Sénégal « ne peut pas être dirigé par le premier venu ». Il était en meeting à Thiadiaye quand il disait cela tout en laissant entendre, auparavant, par sagesse démocratique et républicaine, qu’« il ne faut pas sous- estimer nos adversaires ». Pour ma part, je me suis demandé ce que mes camarades de parti, mes amis de Bennoo Bokk Yaakaar et moi-même attendions pour dire quelques mots justes sur le livre – « Solutions » – dont l’auteur, Ousmane Sonko, vante lui-même le contenu très peu rigoureux et plein d’inexactitudes préconçues pour forcer le trait de ce qui, à tort, est voué aux gémonies sur 234 pages.
Le terrain, très peu exploré, des idées n’est pourtant pas celui qui intéresse le moins les Sénégalais sur lesquels les politiciens et les activistes se trompent souvent. Et puisqu’aucun d’entre nous n’est pas sans savoir que le candidat Ousmane Sonko consacra son premier essai au « pétrole et gaz au Sénégal », c’est surtout sur ce dossier, polémique à souhait, qu’il convient, me semble-t-il, de montrer ce que le manque de rigueur scientifique veut dire quand on prétend prodiguer des «solutions» pour un pays, certes «petit» lorsque l’on scrute sa taille, mais grand du fait du fabuleux héritage des aînés qui en ont jeté les bases démocratiques et sociales et les grands principes intangibles.
Approche prudente
Si la vision se définit par l’aboutissement facilement identifiable d’une action – l’émergence en 2035 – et l’audace par le niveau très élevé – PAP 1 et 2 – auquel se situe la barre dans l’action, on peut dire que le «solutionneur» Sonko a bâti son argumentaire concernant les « Mines et carrières » sur une sentence infondée en écrivant que « [le Plan Sénégal Émergent (PSE)] manque de vision » et d’audace du fait de la «frilosité du régime actuel». Tout indique que le patron de PASTEF s’y prendrait autrement s’il avait pris le soin de lire l’étude prospective «Sénégal 2035 » qui met en exergue quatre scénarios dont celui (indépassable aujourd’hui) – émergence dans la solidarité et État de droit – qui inspirera longtemps encore les décideurs sénégalais. L’étude, on ne peut plus claire, précise que « le PSE, dont l’ambition est de mener le Sénégal à l’émergence, est en phase avec la vision prospective “Sénégal 2035” qui prend en compte les préoccupations et aspirations de la communauté nationale ».
Il n’est donc pas surprenant que le régime actuel ait une politique pétrolière et gazière bâtie sur une « approche prudente » qui signifie l’évitement de la « malédiction du pétrole » et de « l’économie de rente » non diversifiée, non résiliente et non durable. C’est exactement ce que dit Sonko avec un an de retard lorsqu’il écrit qu’« il faut garder à l’esprit que les ressources minérales sont non seulement non- renouvelables, mais encore que la volatilité des marchés rendrait forcément vulnérable une économie qui serait trop dépendante de leur production». Qu’apporte de nouveau Ousmane Sonko lorsqu’il dit préférer une «gestion prudente et durable» par un «développement contrôlé et modéré» ? Pas plus qu’un «modèle modéré et souverain» dont le président Macky Sall donna les contours clairs, le 11 novembre 2016, devant les administrateurs du Fonds monétaire international (FMI) à Washington. «Nous voulons, assure le Président, établir une exploitation transparente [des] ressources [pétrolières et gazières], qui sécurise l’investissement en tenant dûment compte des intérêts des populations et de l’Etat. » L’État du Sénégal est déjà bien présent comme dans le modèle péruvien qui, écrit M. Sonko, « se singularise par une […] très grande implication de l’État ».
Pour «l’éthique et la transparence dans la gouvernance des ressources minières », Ousmane Sonko cite le Centre africain pour la transformation économique (ACET) qui considère que « le paradoxe de la pauvreté au milieu de la richesse […] est en partie dû à l’incapacité des pays d’Afrique de l’Ouest [..,] à gérer les recettes des minéraux, du pétrole et du gaz d’une manière transparente et responsable […] ». L’adhésion de notre pays à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) est une mesure préventive dont devrait se féliciter Ousmane Sonko. «Dans tous les pays ayant adopté l’ITIE, le gouvernement a dû créer un secrétariat ou une cellule d’exécution pour piloter l’Initiative », précise la Norme ITIE. Au Sénégal, la mise en œuvre de ladite norme est confiée au Comité national pour l’ITIE (CN-ITIE) sous la supervision d’un groupe pluriel, ouvert aux médias, où sont représentés l’Etat, l’Assemblée nationale, la Société civile et les compagnies. Justement parce que, écrit Sonko lui- même, « la consécration de droits dits nouveaux en faveur des citoyens, dans le corpus de la Constitution révisée par loi référendaire n° 2016-10 du 5 avril 2016, comme celui sur leurs ressources naturelles, s’accommode de l’exigence d’une meilleure représentation du parlement et de la société civile ». Sonko aurait-il oublié que la loi référendaire de 2016 est à l’actif du président Sall ?
Parmi « les questions les plus souvent traitées par la réglementation ou la législation portant sur l’ITIE dans les différents pays», il faut surtout porter à la connaissance du grand public «l’obligation, édictée par la Norme ITIE, de désignation d’un administrateur ou d’un auditeur indépendant par les groupes de pilotage pour le rapprochement ou l’audit des données portant sur les paiements et les revenus et le fait de garantir pour cet administrateur ou auditeur l’accès aux dossiers financiers des compagnies ».
Dans le souci (pédagogique) de faire «comprendre l’industrie pétrolière et ses enjeux au Sénégal », Fary Ndao, auteur d’un essai bien écrit – ce qui est rare – intitulé «L’or noir du Sénégal» (Compte d’auteur, 2018), précise qu’au «Sénégal, le CN-ITIE est […] chargé de recruter un cabinet indépendant qui vérifie la conformité des données publiées correspondant aux revenus qui doivent être perçus par l’État et ceux qui sont effectivement perçus par l’État ». On est donc mauvais lecteur ou dissimulateur plutôt que « solutionneur » quand on ne dit rien sur la Norme ITIE adoptée par le Sénégal.
Par « souci de transparence », Ousmane Sonko dit vouloir « renégocier des contrats légaux mais défavorables au pays » sans dire lesquels dans ses « solutions » sans problèmes posés. « Le régime de partage de production, écrit Fary Ndao, est le régime par excellence sous lequel l’Etat du Sénégal contracte avec les compagnies pétrolières ». Ledit régime « permet de partager la production de pétrole ou de gaz entre l’État et le bénéficiaire d’un contrat de recherche et de partage de production (CRPP) ». Dans un CRPP, les revenus engrangés par l’État proviennent de sa part dans le « Profit oil », l’impôt sur les sociétés et, bien sûr, « la part de Petrosen détenue à 100 % par l’État » du Sénégal. Par « Profit oil » on désigne la valeur totale de la production diminuée du « Cost oil », c’est- à-dire « la partie de la production consacrée au remboursement des investissements d’exploration et de développement ». « Demeurent négociables, explique Fary Ndao, les frais d’appui à la formation et à la promotion, les redevances superficiaires, les bonus de signatures négociés au cas par cas ou encore les travaux de Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ».
Il ne fait aucun doute qu’on peut faire dire des choses vraies comme des choses totalement fausses à un CRPP. Une chose est sûre : Au terme d’un CRPP, le pétrole et le gaz exploités sont la propriété exclusive de l’État du Sénégal.
Une simulation permettant de déterminer, à titre d’exemple, le niveau de production de pétrole ou de gaz qui profite plus aux compagnies qu’au pays producteur, confère plus de crédibilité qu’un procès d’intention. Cette simulation existe ! Selon le Ministère de l’Économie, des Finances et du Plan, cité dans l’Avis n° 2017-06, adopté lors de la séance du 20 novembre 2017, par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) que M. Sonko supprimerait en cas d’élection, l’exercice de simulation se résume ainsi qu’il suit :
«- Taux de croissance moyenne annuelle (TCMA) de 8,60 % pour une production de 50 000 barils par jour ;
– TCMA de 9,11 % pour 100 000 barils par jour ;
– TCMA de 9,24 % pour plus de 100 000 barils par jour.»
Les emplois créés se chiffrent, eux, à « 211 000 emplois chaque année». Plus que le nombre de demandeurs d’emploi qui arrivent chaque année sur le marché du travail !
Le Sénégal est donc libre de choisir le niveau de production le meilleur pour son développement économique et social. Une simulation pouvant contrarier celle qui existe déjà, les Sénégalais attendent des dénonciations documentées.
Le débat d’idées, antérieur au scrutin du 24 février 2019, s’y prêtait vraiment. Les Sénégalais souhaitent toujours que ce débat ait bien lieu puisqu’en démocratie il est le plus puissant facteur de paix. C’est la raison pour laquelle je peine à comprendre les menaces qui pèseraient sur la paix civile et qui font tant jaser quand je me rappelle qu’il y a un peu plus de sept ans les idées portées par le plus grand nombre contribuèrent seules à réaliser la deuxième alternance politique au Sénégal.
Un emprunt sans prêteur
On s’aperçoit donc aisément que ce qu’Ousmane Sonko dit être des « solutions » dans le domaine des «Mines et carrières» – quatrième volet d’un long chapitre, le quatrième de 43 pages, intitulé « Produire par et pour nous et viser le monde » – n’est rien d’autre que ce qui est déjà fait ou annoncé bien avant lui. Il en est d’ailleurs ainsi sur 234 pages. A cela s’ajoute un manque d’humilité et de rigueur scientifique dans l’emprunt de longs passages tirés des travaux d’autrui sans en préciser la référence exacte dans des notes bibliographiques qui font cruellement défaut.
C’est à la page78 de son pamphlet que le « solutionneur » Sonko fait ce qu’un bon chercheur, décidé de partager ses résultats de recherche, se refuse à faire en dialoguant avec sa conscience et par respect au public. Ousmane Sonko cite sur près d’une page Oumar Dia, auteur, dans la « revue socialiste de culture négro-africaine (Ethiopiques, n° 13, 1978), d’un article intitulé « Recherches et possibilités pétrolières du Sénégal ». En tout et pour tout, le prêteur Dia n’aura droit dans le texte de son emprunteur Sonko qu’une vague mention de son effort soutenu d’investigation scientifique : « En 1978 déjà, un spécialiste posait le constat… ». Lequel ? Mystère ! Mais le jeune abonné au buzz oublia cette fois que l’Internet permet également de débusquer la désinvolture du paresseux.
Il suffit pour chaque jeune internaute, d’habitude sévère et critique, de taper dans le moteur de recherche de son choix la chaîne de caractères que voici pour rendre à Oumar ce qui est à Dia : « décret 64-363 du 20-5 1964 en ses articles 20, 21, 22, 23 ». Vive le buzz ! Il ne reste plus aux «réseautés» sociaux qu’à mettre côté-à-côté les deux pages des deux travaux pour pouvoir dire aux honnêtes visiteurs sunugaliens et mondiaux de la toile qui fait quoi au pays de la Téranga. Là ne s’arrête pas pour autant l’outrecuidance charlatanesque d’un essayiste qui ne promet pas et qui ajoute à la suite de la citation non référencée que «quarante ans plus tard, la situation n’a guère évolué ». Un essayiste, qui, lui, promet, Fary Ndao, consacra 260 pages à ce qui a changé ou est en passe de changer depuis 1978. Bien avant le chapitre que vous avez sous les yeux et la parution des deux livres de Sonko, je faisais déjà la même réflexion positive que m’inspirait la plume de Fary Ndao, co-auteur, avec neuf autres amis, de l’ouvrage collectif, adressé d’abord aux jeunes, «Politisez-vous!» (chapitre1). Mais pas comme Ousmane Sonko, le jeune gourou de la première officine du postiche politique au Sénégal.
Abdoul Aziz DIOP
Ingénieur pétrolier
Conseiller spécial à la Présidence de la République