La mort d’un grand homme d’Etat, l’échec d’un dirigeant ou la bourde d’un responsable politique sont souvent des occasions pour les analystes politiques, universitaires et autres sommités intellectuelles de se répandre en commentaires, faire étalage de leurs connaissances pour donner des leçons sur la pratique du pouvoir et la morale en politique. Par-ci ils font l’éloge d’un défunt homme d’Etat, par-là ils décrivent au vitriol un dirigeant ou responsable fautif. Les bribes d’informations qu’ils donnent excitent notre curiosité et nous poussent à nous poser quelques questions. Ou se trouve la fabrique du pouvoir ? Quelle doit être l’attitude du chef et des membres de son entourage ?
Après avoir lu quelques ouvrages, articles, magazines et autres périodiques sur la politique et les hommes politiques, on finit par comprendre que le pouvoir se construit dans les coulisses, loin des regards indiscrets. Les ministres, conseillers ou autres hommes de l’ombre autrefois appelés courtisans aident le chef de l’Etat à bien gouverner et à bien servir le Peuple. Le président de la République a besoin de la connaissance et des réflexions poussées pour faire face à certaines situations et trouver des solutions aux problèmes qui se posent. Les pensées cohérentes lui permettent de «gérer le réel» et de résoudre les problèmes auxquels le Peuple est confronté. Le chef de l’Etat met en place une Administration, s’attache les services d’hommes et femmes chevronnés et dévoués. Ils peuvent être des philosophes, politologues, juristes, membres de la haute Administration et de la haute finance, etc. Certains évoluent dans l’ombre, donnent des leçons au chef pour renforcer son autorité, maintenir et embellir l’image de la République et des hommes qui l’incarnent. D’autres s’affichent publiquement, communiquent, informent et représentent le gouvernement dans les débats sur les plateaux de télévision et les ondes de radio.
Dans les coulisses, les collaborateurs du chef de l’Etat travaillent à corps perdu pour éviter la disharmonie, les bourdes, les impairs et les flops. Il y a par exemple le chef du protocole de la République et le sherpa, le premier pouvant en même temps jouer le rôle du second. Le chef du protocole veille au respect du décorum et de l’ordre de préséance, accueille les ambassadeurs étrangers et les accompagne lors de la remise de leur lettre de créance. Il a aussi la charge de l’organisation des grandes commémorations nationales, des voyages officiels du président de la République, des visites officielles d’hôtes étrangers, etc. Le sherpa quant à lui est un conseiller du chef d’Etat, chargé de la préparation de ses rencontres internationales au plus haut niveau. C’est lui qui participe à la réunion de sherpas de chefs d’Etat devant se rencontrer dans un futur proche. Dans les coulisses, les sherpas discutent pour arrondir les angles, trouver un terrain d’entente afin d’éviter aux chefs d’Etat des erreurs de communication et querelles.
Il va sans dire que le décor du pouvoir n’est que la face visible de l’iceberg politique. Il existe tout un monde de travailleurs à l’arrière-plan du décor politique. Des collaborateurs du chef et administrateurs pensent, conçoivent, font de la prospective, dressent des plans et peaufinent des stratégies. C’est pourquoi on dit qu’en politique, rien ne relève du hasard, tout a été savamment mûri, minutieusement préparé. Dans les coulisses, on apprend au chef à se conduire moralement, à s’entourer de mystère, à être moins visible et accessible, à contrôler ses apparitions en public et à rester circonspect dans ses déclarations. Parce qu’étant un humain, il a forcément des défauts. Plus on est familier au chef, plus on connaît ses imperfections, plus on le démystifie. La distance et la claustration rehaussent son mythe et augmentent son prestige. Seuls ses ministres, courtisans, chambellans, etc. le voient de près. Certains le voient à l’occasion des Conseils de ministres ou cérémonies officielles, d’autres presque quotidiennement. C’est pourquoi, au sommet de l’Etat, le chef doit verrouiller les coulisses, imposer une «discipline d’arcane» pour éviter la «profanation des secrets». Le pouvoir politique a besoin, pour perdurer, de codes secrets, de sens cachés et de zones de confidentialité. Les secrets d’Etat, les documents mis sous scellés ou estampillés «secret défense» ne doivent pas être étalés sur la place publique. L’obligation de réserve obéit à la logique du «gradient de centralité». Plus la fonction occupée est proche du centre de décision, plus l’obligation de réserve est stricte. Le pouvoir est tellement sacré que personne ne doit utiliser l’institution qu’on lui a confiée pour affaiblir l’Etat. C’est un sacrilège que de divulguer des secrets d’Etat. Un ministre doit rester dévoué au devoir de réserve. Il voit et entend presque tout, mais reste discret, ne parle des affaires d’Etat qu’avec des hommes d’Etat. Il est vertueux, toujours concentré, élégant et prudent. Le ministre séduit le chef par son comportement, lui prodigue des conseils et le forme pour l’amener à mieux gouverner.
Les nombreux conseils permettent au chef de l’Etat, dans ses prises de parole publiques, de séduire, impressionner et rassurer ses spectateurs ou son auditoire. La rhétorique est pour lui une arme pour gagner la bataille de l’opinion, vaincre ses adversaires par la force des arguments, sans coup férir. Il utilise des «arguments terrassants» et des slogans pour donner de la force à ses idées et galvaniser les foules. Les intellectuels, membres du gouvernement et militants, sont mobilisés pour soutenir les arguments et la politique du chef de l’Etat. Autrement dit, c’est la dynamique unitaire, l’esprit d’équipe et la discipline qui donnent du succès à la politique du gouvernement.
Des ministres pétris de valeurs républicaines restent solidaires. Ils ne se dénigrent pas. La noblesse de leur fonction leur interdit d’étaler sur la place publique leurs différends et de se donner en spectacle. A l’occasion de certaines cérémonies officielles, chaque ministre de la République est tenu de respecter l’ordre de préséance. Tout comportement qui choque la bienséance est proscrit. Les propos irrévérencieux d’un ministre à l’endroit de ses supérieurs hiérarchiques ou autres membres de la même équipe gouvernementale sont interdits.
Un gouvernement n’est pas une armée mexicaine. Même s’il est une sommité intellectuelle mondialement reconnu, le ministre ne doit pas bomber le torse devant le chef de l’Etat. Lui qui est nommé par décret doit descendre de son piédestal pour inspirer confiance à celui qui l’a nommé, c’est-à-dire le président de la République. C’est dire qu’en politique, l’orgueil et l’insubordination corrodent la confiance. Au sommet de l’Etat, la longévité du collaborateur du chef dans la fonction qu’il occupe dépend de sa serviabilité, de la souplesse de son échine et de son dévouement.
La liberté d’esprit du ministre s’arrête là où commence la raison d’Etat. Tout ce qu’il dit doit être conforme à la volonté du chef de l’Etat et de son gouvernement. «Parler vrai pour un ministre, avait dit l’ancien Premier ministre français Michel Rocard, consiste à vérifier que ce qu’on dit engage bien le gouvernement.» L’éthique républicaine voudrait que le ministre ou le haut fonctionnaire évite de s’écarter de la ligne de conduite du gouvernement jusqu’à mettre mal à l’aise le chef de l’Etat et fragiliser les institutions de la République. S’il veut garder sa totale liberté d’esprit, il n’a qu’à rendre le tablier et s’éloigner du pouvoir.
En définitive, un bon chef d’Etat tient à l’harmonie du décor de son pouvoir politique comme à la prunelle de ses yeux. Tout chef a besoin de bons collaborateurs pour bien gouverner et porter l’étiquette de l’Etat à un haut niveau de raffinement. Le pouvoir politique est sacré et a horreur du ridicule. Quelles que soient la pertinence de ses idées et la noblesse de son combat, le ministre ou haut fonctionnaire de l’Etat reste aux yeux du chef un agent subalterne qui lui doit loyauté et obéissance. Les Wolof disent «kula abal bët fuko neex ngay xool» (celui qui te met à un poste a un droit de regard sur ton siège). Un ministre ou grand commis de l’Etat qui, dans ses nombreuses sorties médiatiques, rame à contre-courant de la volonté du chef doit s’attendre à de lourdes sanctions.
Mamaye NIANG
Professeur d’Histoire
et de Géographie
mamayebinet@yahoo.fr