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Qui Voudrait D’une Monnaie De Singe ?

Qui Voudrait D’une Monnaie De Singe ?

On annonce, pour l’année prochaine, la naissance de la monnaie unique des pays membres de l’espace de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). La monnaie portera en 2020 le nom «Eco». On en connait un groupe bancaire de la sous-région qui se paiera un grand coup de pub gratis. Mais plus sérieusement, une devise unique est l’aboutissement d’une intégration économique et présente de réels avantages. Il reste à savoir si l’échéance annoncée sera respectée et le cas échant, dans quelles conditions la monnaie de la Cedeao sera introduite dans les circuits économiques.

La question de la création d’une monnaie commune aux quinze pays membres de la Cedeao était devenue une arlésienne. En 2000, la monnaie était annoncée dans un premier temps pour l’année 2009. Un groupe interministériel avait été mis en place qui, très vite, constatera les difficultés à surmonter, les obstacles sur le chemin de la création de la monnaie commune. Une autre échéance avait été lancée pour janvier 2015. A un an de la date fatidique, les autorités de la Cedeao décidèrent de suspendre le projet car, «les conditions n’étaient pas encore réunies pour mettre en place la monnaie commune». Le projet était «au point mort». Il reste que le schéma préconisé était d’aboutir à la fusion de deux zones monétaires, la Zone monétaire ouest-africaine, autour principalement du Nigeria et du Ghana, initiatrice du projet et utilisatrice de monnaies nationales pour chacun de ses pays donnés pour membres, et l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) utilisatrice du franc Cfa. La première zone (Nigeria et ses satellites) n’a pas fonctionné, comme la zone Uemoa, et n’a pas réussi une politique d’intégration économique ou monétaire. Aujourd’hui, les pays de la Cedeao ne semblent pas vouloir s’attarder sur les carences et décident malgré tout, d’aller à l’étape supérieure, et mettre en place la monnaie «Eco». Une politique de l’autruche en quelque sorte. Est-il sérieux de battre une monnaie commune sans définir et faire respecter scrupuleusement des critères de convergence ?

Qui osera faire une objection ? 

Le 29 juin prochain à Abuja (Nigeria), les chefs d’Etats de la Cedeao auront à leur agenda la question de la création, pour l’année 2020, de la monnaie commune. Le comité interministériel réuni la semaine dernière à Abidjan (Côte d’Ivoire) en a fait la prescription. On peut augurer qu’il ne se trouvera pas beaucoup de chefs d’Etat qui exprimeront des réserves, pour ne pas dire des inquiétudes ou une opposition au projet. Tout le monde voudrait parler «politiquement correct», c’est-à-dire éviter d’apparaître comme un obstacle à l’intégration africaine. Personne ne voudra porter la responsabilité d’être mis au ban de la communauté pour cause de manque de sentiment panafricaniste ou de volonté d’intégration régionale africaine. Personne ne voudra apparaître comme étant le support de supposés intérêts étrangers à l’Afrique. Les chefs d’Etat risquent ainsi de donner leur onction à un projet que tout le monde sait prématuré, tant les conditions préalables et nécessaires à sa réussite ne sont pas encore satisfaites. «L’Eco» risquera en effet de se révéler comme une monnaie de singe, à l’instar de la plupart des monnaies en cours dans bien des pays africains.

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L’«Eco» ne sera arrimé à aucune monnaie. Un attribut de souveraineté, peut-on dire. «Le régime de change sera flexible avec un ciblage de l’inflation globale comme cadre de politique monétaire», comme le préconise le rapport soumis aux chefs d’Etat par le comité interministériel des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales, adopté lors de la réunion tenue à Abidjan les 17 et 18 juin 2019. Seulement, quels mécanismes opérants peuvent être mis en place, en l’espace d’une année, pour satisfaire une feuille de route dans un espace où les économies sont on ne peut plus disparates ? Si on prend par exemple le seul critère du taux d’inflation, indispensable pour juger de la qualité d’une monnaie, on constatera que les pays de la Zone Uemoa ont pu, depuis plusieurs décennies, définir des critères de convergence pour juguler le taux d’inflation à moins de 3% alors que des pays comme le Ghana, le Liberia, la Sierra *-Leone, la Guinée ou même le Nigeria, sont parfois à des taux d’inflation à deux chiffres.

Les Etats de la Cedeao devront mettre en œuvre une sorte de «feuille de route», des mesures et des réformes pour s’acheminer vers une convergence macro-économique, qui conditionnera la création d’une monnaie unique crédible. «Les pays ont jusqu’au 29 octobre 2019 pour transmettre à la Commission de la Cedeao leurs programmes pluriannuels de convergence pour la période 2020-2024.» La charrue avant les bœufs. Malgré tout, on va présumer que tout se passera bien et donc on décide de lancer une monnaie commune. Quelle désinvolture, pour ne pas dire quel manque de sérieux ? Peut-on se montrer aussi léger avec la création d’une monnaie ? L’année dernière, la Commission de la Cedeao disait que l’échéance de 2020 ne pourrait être respectée, du fait entre autres de la récession économique de pays comme le Ghana, le Nigeria et la Côte d’Ivoire. Les perspectives économiques de l’année 2019 n’autorisent guère plus d’optimisme sur les performances macroéconomiques de ces pays.

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Ne pas lâcher la proie pour l’ombre

Dans ces conditions, le projet de création de la monnaie «Eco» est parti pour échouer fatalement et la monnaie sera comme ces différentes monnaies africaines qui se déprécient à longueur de journées et d’années, jusqu’à ce que les transactions se passent dans la monnaie d’un autre pays. Peut-on s’amuser avec la création d’une monnaie ? Le plus drôle est qu’on assiste à un marché de dupes. Les pays de l’espace Uemoa restaient attachés à l’arrimage à l’Euro, suivis dans une telle position par le Cap-Vert, dont la monnaie «Escudo» obéit pratiquement aux mêmes règles que le franc Cfa, tandis que le Nigeria exigeait des pays de la zone franc une déconnexion avec l’Euro. Le Nigeria vient de lever sa réserve, apprend-on de la bouche de Adama Koné, ministre des Finances de la Côte d’Ivoire. L’année dernière à Accra, dépité, le chef de l’Etat du Nigeria, Muhammadu Buhari, fustigeait la «non-préparation de certains Etats au processus de création de la monnaie unique et la mauvaise articulation des étapes à venir». Qu’est-ce qui a changé entre-temps ? La stratégie semble être de tout accepter jusqu’à la création de la monnaie, et après on verra. Le Nigeria, mastodonte démographique et économique de l’espace Cedeao, va donner et imposer ses choix de politiques économiques et monétaires. Pourtant, c’est un secret de polichinelle que les opérateurs économiques du Nigeria et du Ghana utilisent le franc Cfa pour sécuriser leurs transactions. La pratique est telle que des coupures en franc Cfa arrivent à manquer parce que thésaurisées par les commerçants nigérians. De toute façon, l’expérience enseigne que le Nigeria ne constitue nullement le meilleur exemple dans aucun domaine de gouvernance publique.

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Quelles seront les règles de gouvernance de la future banque centrale de la Cedeao ? Va-t-on hériter des turpitudes, par exemple, du Nigeria ou du Liberia ou de la Guinée, avec des scandales récurrents mettant en cause les plus hautes autorités de leurs banques centrales respectives ? Dans ces pays, la gouvernance des banques centrales demeure tributaire des aléas politiques. La planche à billets tourne dans de nombreux pays, au gré des humeurs du chef de l’Etat. Qui aura l’altruisme de faire jouer une péréquation avec des pays et des populations qui s’astreignent des efforts de bonne gouvernance et de discipline budgétaire au moment où d’autres font comme ils veulent ? Le taux de croissance dans l’espace Uemoa est projeté à plus de 6% en 2019 alors que le taux global dans l’espace Cedeao est projeté avec un optimisme béat à 3,4%. «Les économies de la région sont impactées en permanence par les chocs extérieurs et le défi sécuritaire reste entier. De nombreux pays ont une balance commerciale courante déficitaire, qui pèse sur les réserves extérieures de leurs banques centrales et surtout qui fragilise les taux de change avec les devises de références mondiales. Dans la région, le déficit budgétaire élevé de certains pays membres a une incidence sur leurs dettes publiques.» Qui pour contrôler les propensions du Ghana à des endettements tirés de fonds vautours ? Là où l’Uemoa veille sur des critères de convergence pour les niveaux d’endettement. Qui aura le pouvoir d’empêcher que des conteneurs de billets de banque ne disparaissent plus dans la nature comme ce fut le cas au Liberia et au Nigeria ? Qui pour empêcher la banque centrale de Guinée de déposer ses «cash» en devises dans des banques commerciales à Dubaï ? On voit bien que rien n’est prêt pour lancer l’«Eco» en 2020. Va-t-on encore une fois de plus, lancer un projet africain qui va échouer et poursuivre d’accréditer l’idée d’un manque de sérieux et de rigueur ? Il s’avère plus raisonnable de ne pas lâcher la proie (le franc Cfa) pour l’ombre (l’Eco).







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