Le débat sur le franc CFA est régulièrement remis au goût du jour, soit par les hommes politiques soit par les intellectuels du continent. Cette monnaie suscite des débats passionnés, des proclamations politiques aussi simplistes que péremptoires. De quoi s’agit-il, en réalité, lorsqu’on parle du franc CFA ?
Mais la zone n’est pas seulement un système de change, elle est aussi une zone de coopération économique (Uemoa, Cemac). Le système de change des pays africains de la zone franc comportait traditionnellement trois caractères.
Le premier avait trait au régime de convertibilité : entre les pays de la zone franc, le principe était celui d’une totale liberté des changes, tandis qu’à l’égard de l’extérieur la réglementation des changes était identique. Le taux de change entre la France et les pays de la zone franc était fixe ; autrement dit, le taux de change des pays membres de la zone à l’égard du reste du monde était défini par l’intermédiaire du taux de change du franc français. Pour assurer la fixité du change et la convertibilité, les réserves monétaires étaient « mises en commun » ; les pays africains devaient détenir leurs réserves monétaires en francs et la France garantissait la valeur des monnaies africaines par rapport au franc. Cet arrangement se concrétisait par l’existence d’un « compte d’opérations » ouvert par le Trésor français aux trois instituts d’émission africain et malgache, en charge de la politique monétaire, qui y déposaient leurs réserves. Le compte d’opérations peut, en principe, devenir débiteur de façon illimitée. Aujourd’hui, les réserves sont égales à 50 % de leurs avoirs extérieurs nets.
Les avoirs extérieurs nets que les pays de l’Uemoa (Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest) ont dans le compte d’opérations se montent à 2 709 milliards de FCFA, soit 4,1 milliards d’euros ou encore 4,7 milliards de dollars. Cette somme équivaut au tiers du bénéfice du groupe Total, la troisième plus grande entreprise française, ou à 0,18 % du PIB de la France.
Les amères leçons du Mali et de la Guinée
Il faut apprendre des erreurs des autres : le Mali a eu une douloureuse expérience monétaire qui a duré vingt-deux ans (1962-1984). À sa sortie de la zone CFA en 1962, le Mali avait mené une politique monétaire expansionniste ayant abouti à la dévaluation en 1967 du franc malien, suivie d’un coup d’État une année plus tard.
La Guinée-Conakry, plus grande et plus riche en ressources naturelles que le Sénégal, a depuis 1960 sa propre monnaie. Elle pèse 7 milliards, là où le Sénégal pèse 16 milliards de dollars. Quel est l’effet du franc guinéen sur son développement ? Le débat est ailleurs.
Pourquoi devons-nous snober, dans le court et le moyen terme, la matérialisation de la monnaie unique dans l’espace Cedeao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) ?
L’Uemoa – qui rassemble huit pays (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo) – pèse 58,966 milliards de FCFA, soit 102,2 milliards de dollars (l’équivalent de 22 % du PIB nigérian). La Côte d’Ivoire, qui représente 35,2 % de l’économie de la zone Uemoa, n’a jamais partagé la gouvernance de la Banque centrale. La politique monétaire de la zone répond plus au besoin de la Côte d’Ivoire que le reste des pays membres de l’Uemoa.
Alors qu’en sera-t-il d’une future monnaie de la Cedeao – l’éco – où le Nigeria représente à lui seul 73,1 % et les 14 pays restants 26,9 % ? c’est dire qu’il y a de fortes chances que la satisfaction des besoins du Nigeria devienne la préoccupation majeure de la politique monétaire au sein de la zone éco.
Tirer les leçons de zone euro
Certains pays n’ont pas les mêmes intérêts que le Nigeria. Par exemple, si l’augmentation du baril du pétrole arrange ce dernier, elle dérange d’autres pays non producteurs de pétrole. On voit nettement que ces États n’ont pas les mêmes intérêts. Dès lors, comment peuvent-ils partager la même monnaie ?
Avant de parler d’une monnaie unique de la Cedeao, il y a des préalables qu’on doit régler : le développement du commerce intrarégional, la mise en place des chambres de compensation et l’étude sur l’optimalité de la zone monétaire.
L’exemple des difficultés de la zone euro doit nous servir de leçon. La Grèce en crise a déprécié la monnaie européenne et rendu l’économie allemande très compétitive. L’Allemagne étant une économie exportatrice, plus l’euro est faible mieux son économie se porte.
En 2017, l’activiste et président de l’ONG Urgences panafricanistes Kémi Séba avait brûlé un billet de 5 000 FCFA. Son geste provocateur avait relancé le débat sur cette monnaie.
Dans la zone Uemoa, la stabilité monétaire est une réalité : l’inflation a toujours été maîtrisée depuis la dévaluation du franc CFA de 1994, contrairement aux autres pays de la Cedeao (Nigeria, Ghana…) qui connaissent des inflations de plus de 10 %. Cette stabilité monétaire a permis à la zone Uemoa de mettre en place des politiques économiques dans le long terme avec un faible décalage entre les scénarios pessimistes et optimistes.
La zone monétaire la plus stable au monde
Depuis 2011, les pays de la zone Uemoa sont rentrés dans une dynamique de croissance soutenue encore plus intéressante. Pourquoi quitter, alors, une zone stable, qui nous permet d’avoir une croissance économique soutenue qui avoisine les 7 %, au moment où l’Afrique affiche son taux de croissance le plus faible depuis vingt-cinq ans (1,6 %), pour rejoindre une zone chroniquement instable du fait du poids du PIB du Nigeria, qui dépend aux trois quarts du pétrole ? Comme le pétrole est très volatile et l’économie nigériane ne dépend que de cette ressource naturelle, on doit s’attendre à une monnaie très instable pour les pays de la Cedeao.
Bien que la monnaie puisse être considérée comme un instrument de développement, le ciblage d’inflation – politique monétaire qui vise à fixer des objectifs d’inflation sur une période donnée – reste, par expérience, la stratégie de politique monétaire dominante – ce qu’on appelle la « mission hiérarchique ». Seule la Réserve fédérale américaine (FED) a une mission duale, à savoir : stabiliser les prix et chercher la croissance économique.
La zone Uemoa est aujourd’hui la zone monétaire la plus stable au monde. Elle a surtout besoin de mettre en place une économie de transformation des ressources en améliorant le climat des affaires pour créer davantage de valeur ajoutée et lutter, par conséquent, contre le chômage.
Cheikh Ahmed Bamba Diagne est directeur scientifique du Laboratoire de recherche économique et monétaire (Larem), à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar.