Il se passe des révolutions silencieuses dans notre pays, sur lesquelles nous ne pouvons comprendre le mutisme des acteurs politiques, des activistes et de la société civile.
Suivre les actions d’un pouvoir politique pour les contrôler, c’est aussi pouvoir apprécier quand celui-ci renonce à des pouvoirs importants pour renforcer notre démocratie et notre Etat de droit. Et faut-il rappeler que le sujet de l’indépendance de la justice nous préoccupe tous en tant que républicains. Parce que c’est aussi le fait de marquer le coup sur certains actes que nous trouvons révolutionnaires, qu’on pourra les ancrer en nous, dans le tissu social pour éviter d’éventuels reculs dans le futur. En politique, avec les acteurs qui sont les nôtres au Sénégal, les acquis sont difficilement à l’abri. C’est pour cela qu’il nous semble important de dénoncer et d’exprimer son désaccord à chaque fois qu’il est utile de le faire. Sur ce point, la société civile et les opposants le font très bien. Mais il est aussi important pour ces acteurs de faire la pédagogie des acquis et d’acter certaines avancées systémiques en les théorisant et en les sanctuarisant.
De quelle révolution parlons-nous ?
Le Président Macky Sall a accordée au bureau exécutif de l’Union des magistrats du Sénégal (Ums), ce mercredi 10 juillet 2019, entre autres décisions majeures, celle concernant la mise en compétition des postes de procureurs et de présidents des Tribunaux (Tribunaux de grande instance et Tribunaux d’instance), sauf pour les chefs de Cour. Cette mesure est effectivement révolutionnaire, car elle va renforcer l’indépendance des magistrats. Désormais, un magistrat ne sera plus nommé à la seule discrétion du ministre de la Justice ou du président de la République. Il reviendra à la commission du Conseil supérieur de la magistrature (Csm) de faire des propositions de nomination sur la base de critères de compétence.
Avec cette mesure, on se rappelle que le président de la République et le ministre de la Justice avaient consenti de se retirer du Csm pour que cette instance qui gère la carrière des magistrats soit moins sous l’emprise du politique, comme l’avait suggéré le think tank Ipode lors de ses travaux sur la réforme des institutions. Après leur sortie du Csm, le président de la République et le ministre de la Justice seront remplacés par le premier président de la Cour suprême. Le conseil sera ainsi composé de magistrats, d’un Professeur d’université et d’un représentant du bureau, la société civile n’étant plus représentée. Pour rappel, nous suggérions que les nominations proposées par le ministre de la Justice soient soumises à un avis conforme du Csm, et non un avis consultatif comme c’est le cas et cela, pour renforcer l’autonomie du Parquet. De même, nous demandions que le rôle de la formation plénière du Csm soit renforcé par l’instauration d’une faculté d’auto-saisine sur les questions de déontologie et d’indépendance. Dans notre proposition, nous demandons que le Csm soit présidé par le président de la Cour suprême et que ce dernier devienne ainsi le seul garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire au nom de la séparation des pouvoirs. En ce sens, il serait à la fois logique et symbolique de renoncer à toute référence au président de la République, dont le rôle sera uniquement de veiller au respect de l’indépendance de la justice et non plus d’en être le garant.
Au vu donc de toutes ces réformes annoncées, il y a de quoi se réjouir et d’entrevoir une amélioration qualitative de notre système judiciaire dans un futur proche. Même si cette amélioration prendra un minimum de temps, ce temps incompressible et nécessaire à notre processus d’amélioration continue, car certaines révolutions culturelles et organisationnelles qui suivent ce type de réformes sont des processus qui peuvent être lents, mais novateurs et porteurs de justice et d’équité. Nous devrons accompagner et suivre ces processus avec vigilance et rigueur.
En abordant ce sujet, nous nous rappelons encore comment est passée sous silence l’autonomisation financière de la Cour des comptes concédée par le Président Macky Sall en début de mandat, une de ses premières mesures que nous avions énergiquement saluées. Ces concessions faites par le pouvoir exécutif sous l’égide du Président Macky Sall nous semblent plus importantes que des réalisations physiques qu’on a tant vantées à raison lors de la dernière campagne. On a certes besoin d’infrastructure dans notre pays, mais notre humble avis est de dire que rien ne vaut les révolutions culturelles et les réformes structurelles qui agissent sur notre capital immatériel, garant de nos libertés et de notre démocratie qui sont les moteurs d’un développement socio-économique harmonieux pour toutes les couches de notre société.
Mohamed LY
Président du Think Tank Ipode