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Guy Marius Sagna N’est Pas Le Premier, Mais Doit être Le Dernier

Dès lors que le passé n’est pas le support référentiel du présent, ses zones d’ombre pourront toujours être répliquées. 

N’ayons pas peur de dire les choses telles qu’elles sont. Oui, le Sénégal n’a jamais subi de coup d’État militaire, contrairement à certains de ses voisins ; il n’a jamais été question non plus, depuis l’indépendance nominale, d’exactions massives, durables et continues ; deux alternances de parti se sont par ailleurs faites à travers les urnes. Cela dit, la répression jalonne l’Histoire politique de l’État du Sénégal. 

Les formations politiques ouvertement opposées à l’Union progressiste sénégalaise (UPS), le parti « unifié » selon la formule senghorienne mais de fait le parti unique, sont largement démantelées au cours des années 1960 et la majeure partie des années 1970 ; y sont passés le Parti africain de l’indépendance (PAI), le Bloc des masses sénégalaises (BMS), le Front national sénégalais (FNS)… 

En 1962, les divergences idéologiques et pratiques entre Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia s’intensifient, atteignant leur paroxysme au mois de décembre alors que se prépare au sein de la majorité une motion de censure à l’encontre du gouvernement Dia. Au nom de la primauté effective du parti, celui-ci s’y oppose, se voit alors accusé de mener un coup d’État puis est arrêté et incarcéré dans la foulée jusqu’en 1974, aux côtés des ministres Valdiodio N’diaye, Ibrahima Sarr, Alioune Tall et Joseph Mbaye.

L’année suivante, en décembre 1963, les élections législatives et présidentielle – à l’issue de laquelle Senghor obtient 100% des voix – sont marquées par une contestation massive, notamment venant des jeunesses urbaines : sous le coup des balles de la police, des dizaines de vies sont perdues et des centaines temporairement ou durablement affectées par les blessures. 

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Quelques années plus tard, dans le contexte global des mobilisations estudiantines, ainsi qu’ouvrières et paysannes, face à des régimes politiques jugés réactionnaires et/ou néo-coloniaux, l’Université de Dakar concentre les frustrations et fait figure de foyer de contestation ; les 29, 30 et 31 mai en sont les journées de braise. Le réflexe autoritaire n’étant jamais loin – pour ne pas dire toujours proche – les descentes policières à l’université provoquent au moins un mort et des dizaines, si ce n’est des centaines, de blessés. Étudiants, ainsi que syndicalistes, sont alors déportés et internés dans les camps militaires d’Archinard et Dodji avant d’être libérés dix jours plus tard. 

En 1973, un an après son arrestation pour avoir tenté de mettre en place un plan d’évasion de prison des membres du « groupe des incendiaires » condamnés en mars 1971 pour leur implication dans les incendies du Centre culturel français (janvier 1971) et la tentative d’attentat sur le cortège du président français Georges Pompidou en visite à Dakar (février 1971), Omar Blondin Diop, étudiant et penseur révolutionnaire brillant, est retrouvé mort dans sa cellule de prison le 11 mai.

L’approximative tentative de justification de l’État par la publication du “Livre Blanc sur le suicide d’Oumar Blondin Diop”, la mise à pied du juge d’instruction Moustapha Touré et la contre-autopsie menée par son père le Dr. Ibrahima Blondin Diop, font partie des éléments permettant d’infirmer la thèse officielle. 

Deux ans plus tard, le front anti-impérialiste And-Jëf, initiateur de la revue Xare Bi, opérant et diffusant sa littérature jusque-là dans la clandestinité, est frappé par des vagues d’arrestations massives entre janvier et juin 1975, décapitant de fait la direction. De nombreux(ses) militant(e)s sont alors emprisonné(e)s pendant des mois et victimes de méthodes de torture aussi violentes que déshumanisantes : brulures de mégots de cigarette sur la peau, pendaison par les pieds, chocs électriques dans les parties génitales… 

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Le fil directeur de toutes ces années de luttes qui se sont poursuivies jusqu’à ce jour, et malgré les divergences idéologiques et pratiques, réside dans le refus de la pensée unique et du statu quo. Or, l’incarcération de Guy Marius Sagna depuis le 16 juillet 2019 n’est qu’une démonstration supplémentaire des dérives autoritaires d’un régime, et de régimes successifs, refusant fondamentalement la contradiction. L’émergence tant chantée passe aussi, et avant tout, par les esprits ; elle est donc impossible sans regard lucide sur son passé. Et la détention abusive de Guy Marius Sagna démontre que le présent n’a aucun support référentiel. En ce sens, ce régime, et les suivants, pourront répliquer les zones d’ombre du passé. 

Le soulèvement actuel doit nous rappeler que Guy Marius Sagna n’est pas le premier, mais doit surtout faire en sorte qu’il soit le dernier. 







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