L’éthique journalistique interdit-elle de donner une information vraie et vérifiée sous couvert de nécessité de sécurité publique ? C’est la question que soulève notre chroniqueur. La Radio futurs média (Rfm) a mis la puce à l’oreille des légalistes en révélant que les meurtriers présumés du commandant de la brigade de gendarmerie de Koumpentoun ont été entendus par les enquêteurs sans être informés par ces derniers de leur droit de ne parler qu’en présence de leur avocat.
Et la polémique de faire rage sur les réseaux sociaux, sur les espaces de commentaires de portails web, sur les pages des journalistes professionnels. Et des intervenants au débat, objectent la violation de ce qui aurait pu être un principe d’éthique par le journaliste, voire une connivence avec “l’ennemi”, un coup de main à des auteurs (jusque-là présumés) d’un meurtre qui a suscité chez les Sénégalais une indignation et une colère qui ne sont pas près de s’estomper. Pourquoi, en informant, révéler des failles qui profitent aux criminels – surtout quand cette omission des enquêteurs peut entraîner l’obligation de libérer de dangereux bandits parce que présumés avoir tué un chef de service de sécurité ? Le journaliste devrait-il choisir la cause de l’information ou celle des braqueurs ?
L’éthique – la déontologie ne dit rien ici – est au cœur du débat, jusque dans les cercles de la presse. Cette dernière peut-elle être complaisante, à ce point ? Les impératifs de sécurité publique peuvent, dans certains cas, poser des problèmes d’éthique au journaliste. Faut-il s’abstenir de publier des informations obtenues au cours d’un reportage et vitales pour la sécurité du public à qui sont destinées les mêmes informations ?
Le journaliste doit-il communiquer des informations à la police ? Tout dépend des circonstances et de la manière dont sont formulées ces questions : le journaliste peut-il être lié à la police par un accord d’”échanges d’informations”, c’està-dire que le reporter communique à la police des informations et, en renvoi d’ascenseur ou échange de bons procédés, le policier lui donne des exclusivités ?
Dans cas, le journaliste serait alors, et objectivement, un indicateur de police. Une perspective réprouvée par l’éthique professionnelle. L’éthique lui interdit-elle de donner l’information vraie et vérifiée pour favoriser plutôt l’escamotage de la vérité sous couvert de nécessité de sécurité publique ?
Sur la question du journaliste remplissant un devoir citoyen d’informer la police sur une menace à la sécurité collective, les avis sont partagés, mais la tendance dominante – sans qu’aucune étude l’ait évaluée – est de peser sécurité collective et information, la seconde vaut-elle que soit sacrifiée la première ?
D’expérience personnelle de responsable de rédaction, nous savons qu’un célèbre service de la police sénégalaise a eu à proposer à un de nos reporters un “échange d’informations” (sic) : des scoops contre des indications sur des gangsters en banlieue de Dakar. Une offre alléchante, mais de laquelle l’éthique journalistique ne serait pas sortie indemne. Au contraire de la déontologie, qui définit des règles s’appliquant à toute une corporation ou profession, l’éthique, elle, est une appréciation d’une situation par le journaliste et/ou de son organe de presse ; elle “invite les professionnels à réfléchir sur les valeurs qui motivent leur action et à choisir, sur cette base, la conduite la plus appropriée.
La réflexion éthique fait appel à l’autonomie, au jugement, au sens des responsabilités. L’éthique ne définit pas d’avance la conduite appropriée à tenir ; mais elle propose une méthode de réflexion pour trouver cette conduite, notamment dans les conflits de valeurs ou quand cette action permise par la règle paraît, malgré tout, discutable du point de vue de l’idéal de la pratique” (www.wikipedia.org). L’information sur l’interrogatoire de présumés criminels par la gendarmerie aura été une sérieuse leçon dont la presse pourrait bien débattre, au sein d’elle-même ou avec des responsables de services de sécurité et même des juristes.