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La Chine Tente De Redéfinir Les Droits Humains, Le Gouvernement Du Sénégal Doit Résister

«Promotion d’une coopération mutuellement avantageuse dans le domaine des droits de l’Homme.»

Vous trouverez cette résolution du Conseil des droits de l’Homme de l’Onu dans la longue liste de celles proposées en février 2018. Elle semble assez inoffensive, voire progressiste. Mais creusez un peu plus et vous découvrirez que derrière ce banal énoncé se cache la volonté insidieuse de refondre l’essence même des droits humains.

C’est la Chine qui était l’auteur de cette résolution.

Le Conseil des droits de l’Homme de l’Onu est un organisme chargé de protéger les droits humains dans le monde entier et d’enquêter sur les allégations de violations formulées par les Etats membres de l’Onu. Vingt-huit de ses 47 membres ont soutenu cette résolution présentée en 2018 par Pékin – un nombre plus que suffisant pour qu’elle soit adoptée. Aujourd’hui, la Chine devrait revenir devant le Conseil avec une autre proposition. La formulation semble tout aussi bénigne, mais l’intention reste la même : saper les piliers du système international de protection des droits humains.

Cette fois-ci, un plus grand nombre d’Etats membres, dont le Sénégal, doivent faire barrage.

En 2018, l’idée séduisante de «coopération mutuellement avantageuse», comme le précédent concept tout aussi alléchant de «coopération gagnant-gagnant» mettait l’accent sur le développement économique, les partenariats et, surtout, la souveraineté nationale. Ce sont également des tropes de la politique étrangère chinoise, présents dans les grands discours du Président Xi Jinping et dans les rapports officiels sur les «avancées» de la Chine en matière de droits humains.

Pourtant, la «souveraineté» dans ce contexte signifie surtout échapper à la surveillance internationale. Et dans les faits, elle est synonyme d’absence d’obligation de rendre des comptes.

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Parallèlement, la vision de la Chine en matière de droits humains privilégie non pas le fait de mettre un terme aux violations, mais plutôt le développement. Pékin s’efforce de promouvoir une hiérarchie des droits humains, prétend faire passer les droits collectifs avant les droits individuels et fait valoir que le développement est une priorité.

S’il est vrai que le développement peut consolider les droits fondamentaux, l’inverse peut l’être tout autant. Amnesty international a recensé de nombreux cas où des personnes et des communautés étaient marginalisées et mises en péril au nom du développement.

Au Viêt-Nam, dans la province de Binh Thuan, l’investissement de 1,75 milliard de dollars réalisé par la Chine pour construire une centrale électrique a entraîné une augmentation considérable de la pollution. Autre exemple, les barrages hydroélectriques de Santa Cruz, en Argentine, financés par la Chine, qui seraient construits sans le consentement des communautés indigènes et sans évaluation en bonne et due forme de l’impact sur l’environnement. Pour que le développement soit au service des droits humains, il importe d’impliquer et de consulter les détenteurs de droits.

A l’étranger, la Chine vante sa logique de «souveraineté et non-ingérence» dans le cadre de ses projets d’aide au développement et assure que ses investissements sont «sans conditions», soutenant financièrement des régimes qui bafouent les droits humains au Venezuela et au Soudan du Sud.

Elle s’appuie sur le même principe pour parer les critiques visant son propre bilan en termes de droits humains, comme l’a illustré tout récemment sa réaction vis-à-vis du tollé international déclenché par les camps d’internement pour les Ouïghours et d’autres groupes ethniques à majorité musulmane au Xinjiang.

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C’est là que nous touchons du doigt la vérité : la motivation de Pékin pour prendre part au débat centré sur les droits humains est totalement intéressée. La non-ingérence dans ce contexte serait synonyme pour la communauté internationale d’impuissance à critiquer et faire appliquer les conditions en matière de droits humains dans un pays donné.

Toutefois, opposer souveraineté nationale et droits humains est une fausse contradiction. Loin de manquer de respect envers la souveraineté, le Conseil des droits de l’Homme incarne la volonté commune de la communauté internationale de respecter, protéger et concrétiser les droits humains.

Lorsque la Chine parle de principe «gagnant-gagnant», il faut comprendre «négocions». Mais les droits humains sont des obligations légales, inaliénables et ne sauraient faire l’objet de marchandage ou de troc. Le terme «gagnant-gagnant» si souvent usité dans les négociations commerciales suppose généralement une négociation entre deux parties. L’accep­tation plus vaste de cette idée risque de promouvoir un dialogue bilatéral plutôt que multilatéral, fragilisant les organes de défense des droits humains déjà en place.

Dans la vision de Pékin, les interactions entre les Etats et leur population sont du ressort des gouvernements respectifs. Or le système des droits humains de l’Onu a été mis en place pour protéger les personnes face aux auteurs de violations des droits humains, y compris face à leurs propre gouvernement.

L’incompatibilité de ces deux approches ne sera pas résolue tant que d’autres membres du Conseil des droits de l’Homme, dont le Sénégal, n’auront pas pris position. Et si la distorsion de la Chine concernant les droits humains n’est pas attaquée de front, les conséquences pourraient s’avérer dévastatrices pour les droits tels que nous les connaissons et les chérissons.

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Nul ne devrait se laisser berner par la proposition trompeuse de la Chine au sujet de l’avenir des droits humains.

Elle tente d’affaiblir le système international de défense de ces droits. A Amnesty international, nous sommes déterminés à nous battre pour qu’il perdure et soit amélioré, et invitons le gouvernement du Sénégal et la communauté internationale à nous rejoindre.

Seydi GASSAMA

Directeur exécutif d’Amnesty International au Sénégal

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