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Cette Afrique Qui Donne Et Meurt Toujours Pour Les Autres

Le plus grand tournant du 21ème siècle sera la rencontre de l’Afrique avec sa jeunesse ! Une grande marée déferlante arrive ! Elle arrive pour imposer une morale politique nouvelle ! Il s’agit de bâtir une Afrique inspirée des valeurs retrouvées de nos Almamys et des fondements de nos savoirs anciens et modernes. En un mot, il nous faut une véritable et urgente déconstruction qui ne « répartit plus les sécurités et les privilèges entre les dieux et les hommes », c’est à dire entre des princes rutilants et des peuples « majoritairement ruraux et croyants » ! Oui, il s’agit bien de « réinventer un nouveau sacré » !

Un processus silencieux s’est mis en route. Il est irrévocable ! Parmi les plus grands maux : l’illettrisme, cette absence d’un « esprit » qui donne un citoyen menotté dans une oppressive et gluante ignorance. Libérer, nourrir et élever son esprit, telle est enfin la prise de conscience engagée et la conquête la plus urgente de la jeunesse africaine pour faire face à la suprématie des oligarchies. Abandonnée à elle-même, cette jeunesse a fini par s’installer dans un « silence intérieur » avec cette conscience profonde d’une inacceptable condition humaine. Si l’esprit gagne sur le cri du ventre et la hâte de s’enrichir, la gouvernance changera ! C’est au carrefour des pensées, des savoirs et d’une noble pratique politique, que l’Afrique s’accroîtra, grandira, rayonnera. C’est le continent de la jeunesse, donc de la vie, de l’enthousiasme, de l’espérance, de l’avenir. La recherche et la conquête de nouveaux savoirs, les brusques mutations démocratiques qui balaient tout sur leur passage, le besoin de raccourcis, viennent bouleverser le socle de certitude de gouvernants « zazous » qui ne regardent que leurs propres chaussures « Santiago » !

Les défis du 21ème siècle doivent vite être relevés et ceux du 22ème siècle déjà en boite. Nous devons déjà procéder à une mise à jour du futur. C’est maintenant que nous devons rendre confortable les prochains cent ans africains à venir. Jamais la prospective, cette science de « l’homme à venir », n’est aussi actuelle. Elle doit être accompagnée par des conquêtes morales et budgétaires, de rigoureux plans sectoriels de développement sur au moins dix ans. L’Afrique n’est pas en marge du mouvement du monde. La preuve : tout le monde se précipite chez elle ! Depuis Jésus, il est temps que les razzias prennent fin. Quoique cela puisse nous coûter, nous n’y perdrons que nos chaînes ! A défaut, nous continuerons à être des Africains qui ont eux-mêmes décidé de leur propre mort ! Et nous l’aurons bien mérité ! Les cabinets de conseils européens qui montent les plans d’émergence pour l’Afrique et payés à coût de milliards, utilisent nos propres experts africains. Pourquoi des pouvoirs politiques qui disposent de toute l’intelligentsia d’un continent, vont-ils toujours vers l’Europe ? Nous apprenons, par ailleurs, vrai ou faux, que si le FMI dit non pour un pays africain, la Banque Africaine de Développement -BAD- dit également non ! Au nom de quoi cette dépendance esclavagiste ? Nous devons sortir des logiques et intérêts économicistes ! En toutes choses, il faut d’abord commencer par tuer sous nos méridiens sahéliens l’Afrique du général de Gaulle ! Emmanuel Macron, le Président français, nous adresse en ce mois d’août 2019 un message innovant et courageux qui ressemble à son âge, un message auquel il nous faut croire malgré les tenaces doutes, l’orgueil des monstres coloniaux, les impasses, la cruelle et suicidaire réalité du terrain économique, social et culturel européen. « La France a une part d’Afrique en elle », dit Macron ! Cette confession est belle, grande.

L’Afrique aussi a une part de la France en elle, même si les enfants d’Afrique savent qu’ils ne sont pas toujours les bienvenus au pays de Victor Hugo qui n’est pas toujours Victor Hugo !

Les conquêtes spatiales sont de formidables repères de notre retard et de ce que doivent être nos ambitions pour des conquêtes avancées d’une bonne gouvernance. Nous avons besoin de décisives et patriotiques postures de gestion de nos ressources, sans oublier la bataille mondiale qui a débuté et qui est celle de l’eau et de l’énergie. L’Afrique a reçu de Dieu et de la géographie d’éternels étés et voilà qu’elle en fait de sombres hivers. L’énergie solaire est notre avenir ! Avec les avancées prodigieuses de la recherche et des savoirs, des technologies époustouflantes, jamais les sociétés n’ont été dans un tel état de rencontre, d’échange, de mobilisation permanente. Notre monde ne rêve même plus, car il devance le rêve et l’annule ! Dans ce concert, « l’Afrique doit cesser d’être cet éternel vers de terre amoureux des étoiles » !

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Notre continent, hélas, en est encore aujourd’hui à ramper, à chercher à se nourrir, s’éduquer, se soigner. Nous apprenons des statistiques des Grands Blancs, que l’Afrique ne contribuerait que pour 3% au « pouvoir intellectuel » du monde. Une fois encore, ils ont décidé pour nous ! Par ailleurs, nous voici apprenant deux tristes choses sur l’Union Africaine -vrai ou faux- qui nous couvrent de honte : notre institution africaine ne possède pas de direction culturelle en son sein. C’est une entité dénommée « Division des Affaires Sociales » qui s’occuperait en même temps de la culture. Autre information marquante : c’est bien la Chine qui a réalisé le siège de l’Institution africaine à Addis-Abeba, alors que l’Égypte, la Lybie, l’Afrique du Sud, s’étaient proposé à la bâtir pour sauver l’honneur ! Le berceau tant chanté de l’humanité reste encore le berceau tant décrié de la pauvreté, de la maladie, de la faim, de la dictature, de la corruption. Pour gagner du temps nous avons besoin de recherches et de savoirs pour accélérer notre développement. Nous devons vite extirper de nos vies et de la marche de nos institutions : le précaire, le colmatage, la triche, la roublardise, l’indiscipline, la médiocrité, la corruption, l’indignité, l’impunité, le banditisme d’État, l’errance judiciaire. Il nous faut inscrire au sommet de nos priorités des industries de transformation, mettre fin au besoin d’eau, d’énergie, d’habitats scolaires, d’emplois, d’hôpitaux, de routes, de pistes de productions, quitte à renoncer à la démocratie pour plus tard. L’Université doit être réinventée, des écoles de métiers démultipliées !

Notre retard, à la vérité, n’est que dans la boulimie de redoutables prédateurs politiques et investisseurs pillards et corrupteurs qui ont tout confisqué et pris racine au sommet de tous les pouvoirs ! Sachons que jamais la démocratie ne vaincra la pauvreté, serait-elle servie par d’admirables alternances ! Mais elle peut être, par contre, le moteur d’un puissant leadership citoyen. Privilégier la recherche et la conquête des savoirs, c’est sortir très vite, et en courant, du misérabilisme d’un système politique et administratif désuet, corrompu, paralysant. Dans la division du travail, les hommes politiques qui ont en main la gestion publique auraient dû être les décideurs d’industries transformatrices et non de hangars vides. Leur rôle et leur mission sont de produire des richesses ! Mais ils ne produisent rien, ne transforment rien, sauf leur propre train de vie. La recherche et les savoirs sont des matières premières ! Nos gouvernants africains ne sont souvent rien d’autre que des champions de la « culture de l’emballage » avec des contenus toujours frelatés ! « (…) Ce qu’il faut cependant, c’est une plus grande ouverture de l’espace intellectuel, de même que des tribunes pour la visibilité de la pensée intellectuelle autonome par rapport au champ politique. L’intellectuel est également celui qui désenclave la parole et qui l’ouvre sur des questions majeures dans l’évolution d’une société (…) » Ainsi s’exprimait le Pr Khadiyatoulah Fall.

Le combat pour le développement est d’abord un combat du respect de l’esprit et de la pensée, un respect de soi, un respect de son peuple ! Ce qui nous distingue, c’est notre identité ! Si nous sommes le berceau de l’humanité, si nous sommes une part de l’ADN de tous les peuples de la terre, notre mission est d’inventer, de créer, de produire, de partager, d’additionner, de pardonner. Que personne ne nous précède dans notre fourreau ! Il nous a semblé, à tord sans doute, que depuis que Senghor et Cheikh Anta Diop se sont éteints, la communauté intellectuelle africaine s’est tue. Ou presque. Comme si, quelque part Sédar et Cheikh Anta en étaient et la locomotive et le moteur. On s’amusait même à dire, dans les années 70, que n’était considéré comme intellectuel que celui qui s’opposait aux idées de Senghor. Nous omettrons Cheikh Anta Diop qui avait sa propre école et quelle durable et admirable école ! De brillants intellectuels frontaux à la Négritude nous reviennent ainsi en mémoire : Thomas Melone, Wole Soyinka qui infléchira sa posture contre Senghor plus tard. Sur un autre registre, Abiola Irele, l’acide écrivain camerounais Mongo Béti, Pathé Diagne. Le séduisant critique Sénégalais feu Papa Guèye Ndiaye et son compatriote le redoutable polémiste feu Babacar Sine, ne seront pas finalement très loin de la ligne Senghorienne. A cette époque d’or du choc des pensées, la culture était centrale, dominante ! Les livres avaient une vie, une parole sacrée ! Manquer de culture, c’était manquer de dignité, de respect pour soi-même, se couvrir de honte ! Les temps ont bien changé : la politique et le « mbalakh » règnent !

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Nous avions le sourire facile en lisant avec appétit l’entretien d’Elera Bertho du CNRS avec Souleymane Bachir Diagne, notre si confortable philosophe et fin esprit, qui avoue, dans une sorte d’« épistémologie de rupture » : « (…) J’ai deux petits coups de griffes en passant, contre Cheikh Anta Diop : premièrement, je me moque un peu de lui avec les mathématiques puisque ce n’est pas si compliqué de traduire la relativité en wolof ! Deuxièmement, il est beaucoup plus français et jacobin qu’il ne le croit, parce qu’il veut une langue unique. Cela n’a pas de sens d’avoir une langue d’unification : pourquoi le projet devrait-il être un projet qui imite l’État-nation, c’est à dire d’être homogène avec une seule langue, de manière centralisée ? » A la vérité, ce qui nous manque, ce sont de nouveaux concepts opératoires puissants et rayonnants qui viennent prendre ou la place ou dépasser les acquis laissés par Senghor, Cheikh Anta Diop, Krumah, Nyerere surnommé le « mwalimu » (instituteur en swahili) ! Nous n’oublions pas les disciples qui sont des continuateurs. Les maitres ont toujours été des impasses ! Ma merveilleuse rencontre avec Senghor m’a appris à vite grimper les murs, pour être libre. Mais que fut prodigieuse et féconde cette phénoménale rencontre avec le maître !

A la vérité, c’est comme si nous vivions aujourd’hui une paralysante « lassitude intellectuelle », avec, en plus, un durable et pernicieux « double malaise » : se sentir, sans pouvoir rien renier, un intellectuel africain en cage entre une langue française ou une langue anglaise haute et belle, mais jugée compromettante, et un système politique républicain habillé d’un obsolète costume étranger. Ce qui nous sauve, c’est que la langue d’emprunt nous a appris à découvrir la beauté infinie de nos cultures et à les placer au-dessus de tout !

Le Sénégalais Felwine Sarr et le Camerounais Achille Mbembe ont finalement fini par retenir l’attention avec leur plateforme : « Les ateliers de la pensée ». Même militantisme, hélas, mais un gros bol d’air frais tout de même ! Nous sommes face à un laboratoire d’idées qui cherche à « construire un discours décomplexé ». Ce n’est pas nouveau, mais cela redonne de la voix à une pensée africaine enceinte de tous les dons mais encore inopérationnelle face à la razzia d’un bruyant discours politique vide et qui ne finit pas de se mordre la queue depuis les indépendances. Paradoxalement, c’est une dégénérescence politique inattendue des leaders africains en ce début du 21ème siècle qui isole davantage le travail des chercheurs, prostitue les intellectuels, ensable les savoirs, plombe la dynamique d’un discours de la pensée. C’est d’une nouvelle et irradiante narrative dont l’Afrique a besoin pour vaincre ses démons encore tenaces, presque increvables ! Le plus inquiétant encore, c’est que là où les alternances politiques arrivent à se perpétuer, l’Etat est réinventé et tout recommence avec les programmes du nouveau prince élu, comme si jamais rien n’avait existé avant ! Chaque nouvel élu réinvente la roue et comme un vilain gorille se tape la poitrine comme le seul messie avec son cortège innombrable et maudit de parasites et d’hyènes jamais rassasiées !

Que nous reste t-il encore à dire après avoir mille fois répété que « L’Afrique et les africains ne devraient pas continuer à vivre dans la honte d’eux-mêmes » ? D’entretenir un « discours du manque » ? De chercher toujours à combler le vide « de réflexion, de créativité et d’inventivité » ? De se poser toujours la question sur « la place du continent africain dans la transformation du monde contemporain » ? Parmi les plus convainquant dans les théories des raccourcis, l’historien Sénégalais Mamadou Diouf qui « impute nos échecs à la façon dont nous avons choisi de créer nos États », autrement dit « contre notre propre histoire ». Oui, mais faut-il encore et encore toujours courir derrière une « logique de rattrapage d’un continent voué à la traîne » ? Felwine Sarr, intellectuel lucide et éclairant, poète et musicien mais hélas pour nous, enfant d’Icare retenu au sol par le poids et le choix des tâches, rejette « l’auto-flagellation » et « l’apologie ». Oui, mais par où commencer alors et par où finir ? Ne tournons-nous pas toujours et encore en rond ? Mes nocturnes et féconds échanges critiques avec l’ami Abdoulaye Aziz Diop, étonnant esprit nourri d’islam, d’économie, de poésie et de philosophie, m’ont souvent permis de ne pas désespérer de l’Afrique ! Il est reposant, évoquant le travail de Felwine et d’Achille, qu’une « communauté de penseurs » se lève et cherche à porter sa voix très loin, en défendant des idées fondatrices d’un développement endogène digne, souverain, prospère, fédérateur. Dommage que les savoirs des penseurs, chercheurs, écrivains, intellectuels, soient moins opérationnels que les cris des foules et les déferlements des masses dans la rue !

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La culture est un bien irremplaçable ! Elle est cet entêtement de vivre et non de mourir. Le combat pour le développement ne se gagnera pas en marginalisant nos cultures, nos identités, nos savoirs anciens et modernes. Le plus solide et le plus rayonnant exemple en est la Chine d’aujourd’hui ! Elle n’a rien cédé de ses cultures ! D’ailleurs, elle extraie plus qu’elle additionne ! Nous nous sommes demandés si nous n’irions pas mieux mentalement, économiquement, politiquement, culturellement, si on enlevait la colonisation, l’Europe, l’Union Européenne, l’aide au développement, les ONG, le FMI, la Banque mondiale, de nos soucis, de nos préoccupations, de nos démarches, de nos plans d’émergence, de nos interminables discours et colloques, de nos remerciements et génuflexions ! Juste pour respirer, compter sur nous-mêmes, parler pour nous-mêmes, mourir chez nous ! Bien sûr, il ne s’agit pas de se couper du monde, ce qui est insensé, mais juste se réveiller seul et lutter seul, sans dépendance, sans cris, sans appel à l’aide !

Comment a t-on pu être Isis, ériger des pyramides et finir vers de terre ? Il est temps que l’Afrique se réveille et qu’elle fasse l’économie du développement en pariant sur son âge, elle qui a longtemps cheminé avec un Dieu étonnamment silencieux et peu pressé. Qu’elle fasse cette économie en comptant les bras de chacun de ses enfants, leur ardeur, leurs rêves, leurs espoirs, leurs dons, leur générosité, leur beauté, la lumière millénaire de leurs yeux et de leurs pas qui tracent sur tous les horizons et sur toutes les routes de la terre, un arc-en-ciel de vouloir servir leur continent et le monde.

L’immigration n’est pas un malheur, une honte, si on sait la lire à esprit reposé, sans transes et sans fusil chargé. Elle est une mitoyenneté avec le monde. Elle est à la fois une offre et une recherche de vie, une recherche de ciel. Elle est une chance ! Les Etats-Unis d’Amérique en sont la plus belle des preuves, même si ils se plaisent à l’oublier ! Que l’Europe aujourd’hui bruyante, divisée et apeurée médite cette parole qui a enfanté cette belle et grande part de l’Amérique noire et métisse : « Ils nous ont enterré, mais ils ne savaient pas que nous étions des graines » !

Au même titre que verser le sang des hommes, incendier la forêt amazonienne, il n’existe pas pire crime que d’éborgner la pensée, humilier l’esprit, pisser sur les savoirs, brûler les livres, étouffer la création ! « Seul l’avion se pose sans refermer les ailes » dit le poète ! Tel doit être l’avenir de l’Afrique à la rencontre des grands savoirs et des cultures de notre terre, même si elle souffre encore de démence politique, de carnage financier, de désastre démocratique !

Cette belle et touchante jeunesse africaine avec laquelle nous avons ouvert cette modeste tribune et l’éloge des savoirs, sont « l’eau de l’avenir », comme les Indiens d’Amérique appelaient « ces tonnes de petits flocons blancs » qui tombent l’hiver. août 2019.







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