L’élection au suffrage universel direct des maires et des présidents de Conseil départemental est sur toutes les lèvres. Les chapelles politiques en parlent et se démêlent l’écheveau sans encore trouver un modèle achevé pour la désignation des membres de bureaux et définir les rapports entre les organes délibérants et exécutifs.
Les raisons avancées pour justifier cette nouveauté s’expliquent par une volonté d’affranchir les maires et les présidents de Conseil départemental des vicissitudes des assemblées représentatives territoriales.
En clair, les conseillers municipaux et départementaux n’auront plus les cartes en main pour donner des satisfecit ou décider du destin des exécutifs territoriaux.
Il faut rappeler que notre pays connaît déjà 147 ans (1872/2019) de vie des collectivités territoriales. Il a hérité les textes comme les pratiques du système français de l’époque coloniale à nos jours et dont la loi du 5 avril 1884 reste encore la référence.
Cette loi est qualifiée comme l’acte fondateur de la démocratie municipale en France, elle a le mérite de faire inscrire pour la première fois la notion de suffrage universel indirect dans le mode d’élection des maires, en définissant les principes d’organisation et de fonctionnement.
C’est-à-dire dans la pratique, les citoyens délèguent leurs droits de vote aux conseillers municipaux qui constituent le corps intermédiaire dans le choix du maire. Ces conseillers municipaux composent aussi les assemblées territoriales et forment les organes délibérants.
Il y a également le terme «suffrage universel» qui est bien incorporé dans le vocabulaire de nos textes juridiques et qui malheureusement n’a rien à voir avec l’histoire propre à notre pays.
Ce terme «suffrage universel» est alors le résultat de la lutte menée en France à une certaine époque et qui traduit un sursaut national pour s’opposer à la privation du droit de vote infligé au Peuple et mettre fin ce qu’on appelait «le suffrage restreint».
La caractéristique du suffrage restreint était le suffrage censitaire dont la condition s’attachait au paiement régulier des impôts pour s’adjuger le droit de vote. Il y avait également le suffrage capacitaire qui accordait le droit de vote aux intellectuels et il n’y avait que les personnes sachant lire et écrire qui pouvaient être électeurs.
Toutes ces péripéties illustrent encore le combat mené par le Peuple français. Et c’est à partir de 1848 que les citoyens ont arraché leurs droits de vote et donné le caractère universel au suffrage pour ainsi l’inscrire définitivement dans leur Constitution.
Notre pays a d’ailleurs puisé à la source les mêmes dispositions et c’est pourquoi on retrouve pratiquement dans notre loi fondamentale comme dans les autres textes juridiques les mêmes phrases et les mêmes termes.
Pourquoi le mode de scrutin proportionnel intégral est-il plus adapté, si on veut élire au suffrage universel direct les maires et présidents de Conseil départemental ?
On peut au moins retenir pour le scrutin mixte plurinominal (combinaison du scrutin majoritaire et proportionnel) appliqué jusqu’ici à l’élection des maires et des présidents de Conseil départemental, c’est le facteur «majorité» qui fait les convoitises.
La règle est alors d’avoir toujours cette majorité des conseillers municipaux ou départementaux pour, d’une part, garder les avantages et fonder l’espoir d’être élu maire ou président de Conseil départemental et, d’autre part, s’assurer en permanence du vote de toutes les délibérations à entreprendre au cours de l’exercice du mandat.
Maintenant avec les nouvelles propositions consistant à faire élire le maire ou le président du Conseil départemental au suffrage universel direct, alors il n’y aura plus de casse-tête à complaire les conseillers municipaux ou départementaux et à chercher la majorité par tous les moyens.
L’éventualité de blocage ou de refus pour le vote des délibérations peut également ne pas se poser. Par exemple, si on prend le cas pour le budget proposé sous l’impulsion du maire ou du président du Conseil départemental, le Code général des collectivités territoriales a déjà réglé la question. Dans son article 254, alinéa 3, il est ainsi indiqué, je cite : «Si le budget n’est pas adopté au 31 mars de l’exercice auquel il s’applique, le représentant de l’Etat règle le budget et le rend exécutoire dans les quinze jours qui suivent cette date.»
C’est dire que cette élection du maire ou du président du Conseil départemental va ôter des pouvoirs considérables aux conseillers municipaux ou départementaux et elle fera évidemment sauter les verrous du premier niveau de contrôle. En clair, le pouvoir incarné par les organes délibérants sera affaibli et ne pourra plus arrêter celui investi aux organes exécutifs.
Cette situation va sûrement ouvrir des brèches et encourager des dérives de toutes sortes, si le scrutin majoritaire est maintenu et appliqué au choix des exécutifs territoriaux (maires/présidents de Conseil départemental).
Le scrutin majoritaire (raw gadou) est réducteur et il favorise l’émergence d’une majorité mécanique. Peu importe le suffrage, il suffit de devancer les autres concurrents d’une seule voix pour rafler tous les sièges et éliminer les têtes de liste en vis-à-vis qui sont pour la plupart des personnes ressources.
Le mode de scrutin majoritaire date d’ailleurs de 1871, il a été institué en France par l’élite monarchiste et qui avait le monopole de constituer à chaque élection la liste devancière pour remporter l’intégralité des sièges dans les assemblées représentatives.
Toutefois, il faudrait relever que l’enjeu pour les prochaines élections territoriales ne sera plus de chercher vaille que vaille la majorité des votes des conseillers territoriaux. Le destin des prétendants au trône des collectivités territoriales va être entre la main de la population qui aura le dernier mot.
C’est pour cette raison d’ailleurs qu’il serait plus réaliste d’accompagner cette nouvelle réforme et d’expérimenter le mode de scrutin proportionnel intégral. Ce type de scrutin a l’avantage d’accorder des chances aux ressources humaines de qualité n’ayant pas pu faire de bon score au terme des élections et de favoriser leurs participations à l’effort de développement au niveau des différents ordres de collectivités territoriales.
L’attribution des sièges dans le mode de gestion du scrutin proportionnel intégral se fait généralement sur la base de calcul avec un seuil qui peut être ramené à des proportions déterminées en fonction des réalités du terrain.
Alioune SOUARE
Député à l’Assemblée nationale
– Rufisque