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Lettre Ouverte À Abdou Karim Fofana

J’ai livré dans une contribution publiée sur mon compte Medium sous forme d’article, quelques-unes de mes réflexions sur le marché Sandaga sur le point d’être réhabilité.

Toutefois, suite à la réaction de certains lecteurs, qui ont trouvé un intérêt a mon article ; je leur en remercie, car cet intérêt va au-delà de ma modeste ambition, j’ai été invité à vous écrire, via un procédé courant en démocratie : la saisine d’une autorité par un citoyen à travers une lettre ouverte.

C’est ce qui a motivé la présente.

Aussi, après vous avoir vu à l’œuvre depuis un certain temps, et je ne doute pas un instant de votre capacité d’écoute, notamment en ce qui concerne vos administrés.

Je voudrais alors vous féliciter d’abord.

Ensuite, partant de ma modeste expérience de juriste, ancien Secrétaire Municipal de plusieurs communes de Dakar, parmi lesquelles Dakar Plateau, ma localité natale pendant six ans, partager avec vous mes positions, inquiétudes et attentes sur l’ambitieux projet de réhabilitation du Marché Sandaga.

Comme vous le savez, le 26 Octobre 2013, un incendie avait ravagé le marché Sandaga de Dakar, construit en 1933, fermé une semaine plutôt sur ordre des autorités municipales en raison de sa vétusté et des risques d’effondrement.

La réhabilitation ou la reconstruction du marché Sandaga, classé monument historique, fut au point mort, pendant un temps, pour gagner un certain intérêt récemment avec l’implication de l’Etat du Sénégal et de la Commune de Dakar Plateau, et cette dernière a la faveur de la Loi n° 2013–10 du 28 décembre 2013 portant Code général des Collectivités locales, communément appelée « acte 3 de la décentralisation ».

Dans un tel contexte quelles perspectives pour le marché Sandaga ?

Avant  de répondre, je voudrais  d’abord mettre en exergue l’importance que j’attache à la réhabilitation de Sandaga.

En effet, tout d’abord, depuis que j’occupais le poste de Secrétaire Municipal de la Commune de Dakar Plateau, entre 2003 et 2009, voire, bien avant en tant que militant du mouvement associatif local, la situation de cet équipement marchand, patrimoine du Sénégal a souvent été au cœur de mes préoccupations.

Ainsi, dès mon entrée en fonction en Mars 2003, accompagné du Directeur des Services Techniques, Monsieur Amadou Seck Diaw, nous avions fait une descente sur le terrain et parmi les principales préoccupations, la situation sécuritaire, liée à la vétusté du bâtiment et aux installations électriques.

Nous avions alors préparé à l’attention de la Senelec, dans un premier temps, une lettre leur demandant de venir examiner la situation des branchements clandestins, espérant du même coup provoquer une réponse spécifiant que la police d’abonnement était au nom de la Ville de Dakar.

Ce qui permit dans un second temps une redirection de courrier accompagnée de justificatifs invitant les autorités de la Ville à prendre leurs responsabilités pour mettre fin  au péril sécuritaire de l’époque.

Ensuite, revenant en cela aux travaux même, je vois que des années après ce qui précède, la nécessité de la réhabilitation, je dis bien réhabilitation et du marché Sandaga continue de se poser.

On aura beau jaser et gloser, mais techniquement si on fait appel à des hommes de l’art cette réhabilitation est possible. Voire, il est même possible de démolir le bâtiment pour le reconstruire à l’identique. Récemment l’Etat du Sénégal a réhabilité le Building Administratif, pour le transformer en un bâtiment ultra moderne, mieux, avant cela le marché Kermel a été reconstruit à l’identique suite à l’incendie de 1993.

Donc la réhabilitation de Sandaga relève beaucoup plus d’une question de volonté que d’une possibilité technique.

J’insiste sur la réhabilitation parce que ce bâtiment est un trésor architectural.

C’est ici l’occasion de répondre à tous ces gens qui passent leur temps à faire des propositions farfelues. Certes, on est en démocratie et chacun est libre de donner son point de vue, mais vouloir proposer de « raser le marché Sandaga pour loger deux tours sur l’assiette foncière récupérée » me parait insensé, et j’espère bien que les autorités centrales et locales ne commettront pas ce qui me semble un crime contre le patrimoine national.

Sur cette question précise, la préservation du statut de patrimoine classé est une prérogative de police administrative spéciale relevant de l’Etat du Sénégal. Car, depuis plus de cent ans, en droit administratif (cf dans la jurisprudence française l’Arrêt Gomel, Conseil d’Etat, du 4 avril 1914) la préservation même de la perspective monumentale des places et édifices publics incombe à la puissance publique. Ce qui nous amène à poser avec force que nul n’a le droit de remettre en cause sans l’aval de l’Etat le statut de patrimoine classé du marché Sandaga.

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Mieux nous autres citoyens, avons le droit de nous opposer au besoin par voie contentieuse à toute démolition sans reconstruction à l’identique au moyen de l’obligation pour l’Etat du Sénégal de respecter et de faire respecter sur toute l’étendue de son territoire les engagements internationaux auxquels il a souscrit, en l’espèce son obligation d’appliquer les textes de l’UNESCO relatifs à la reconstruction à l’identique des édifices compris dans le patrimoine classés en cas de démolition totale ou partielle.

Sur ce point, Monsieur le Ministre, j’attire votre attention sur la complexité de ce dossier, car votre département, comme vous le savez, eu égard à la qualité de monument classé de l’édifice de Sandaga, partage la gestion de ce dossier avec celui de la Culture, ministère de tutelle de la Direction du Patrimoine Classé.

Ceci étant, à ce niveau de notre propos, j’aimerais inviter les autorités à prendre l’entière mesure de leurs responsabilités  afin de tenir compte de ce qui suit.

 

1. Le bâtiment de Sandaga appartient à la puissance publique, même si ceux qui y travaillent peuvent être consultés.

Les conséquences en sont que d’abord, c’est à la puissance publique (Etat et Collectivités Locales confondus) que revient la prérogative de fixer les règles de la réhabilitation, lesquelles règles compte tenu de la complexité du projet doivent rigoureusement obéir a des normes de sécurité tant dans la mise en œuvre des travaux, surtout de l’implantation du chantier, que dans la gestion du futur bâtiment réhabilité.

J’insiste sur un fait, ce n’est pas parce que des gens occupent des souks et des stalles dans un équipement marchand public que leur simple doit d’usage doit se transformer en droit de propriété.

Quand le propriétaire d’un immeuble par exemple, doit faire de grosses réparations, les locataires doivent libérer les locaux jusqu’à la fin des travaux.

Egalement, mobilisation des moyens se fait par ou pour le compte de la puissance publique, j’attire également l’attention sur un autre fait : il est possible de nos jours que la puissance publique travaille avec des privées à travers des partenariats public-privé, au sens de la loi 2014- 09 du 20/02/2014 sur le partenariat public privé et ses décrets d’application dont le décret 2015–386 du 20/03/2014, mais à mon humble avis une telle démarche est à écarter, parce que parmi les enjeux de ce projet se pose l’urgence de remettre en ordre Dakar Plateau.

C’est à l’Etat de porter cette réhabilitation afin de pouvoir édicter et imposer d’autorité les futures règles d’occupation de l’équipement marchand.

En effet, en entreprenant cette réhabilitation, l’Etat du Sénégal du même coup remplit une de ses missions de régulation qui va consister en une remise en ordre du Centre-Ville Dakarois devenu subitement invivable du fait d’un accroissement spatial non maîtrisé de Sandaga, lequel, de manière tentaculaire a gangrené tout le quartier.

Ce qui, à suffisance montre qu’à travers la réhabilitation du bâtiment de Sandaga, l’Etat du Sénégal tient là une réelle opportunité pour dérouler dans le centre-ville de Dakar une véritable politique de renouveau urbain.

Donc dans ces conditions, demander aux marchands, cause principale de cet encombrement de choisir une formule de réhabilitation, voire, leur entrepreneur, comme ce fut le cas récemment, me semble non seulement une fuite de responsabilités de la part de l’Etat, mais plus grave une volonté persistante de rester dans le cercle vicieux de l’encombrement du Centre-Ville.

L’ancien maire Fadel Gaye de Dakar Plateau avait l’habitude de dire que « dans une ville, les diverses fonctions de la voie publique, que sont la fonction commerciale et la fonction de circulation ne doivent pas entrer en conflit au point que l’une tue l’autre, mais elles doivent être en équilibre. »

Justement au Plateau, le développement tentaculaire de Sandaga est le principal facteur qui a fait que la fonction commerciale a tué toutes les autres fonctions y compris même la qualité de vie des riverains et des visiteurs du centre-ville de notre belle capitale.

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C’est pourquoi, j’exhorte l’Etat à prendre la mesure de ses responsabilités car c’est l’occasion pour que force reste à la loi et que le Centre-Ville Dakarois revienne à une perspective urbaine respectant les normes.

2. Option « Zero cantine »

La « cantinisation » débuta par l’Avenue Emile Badiane dans un premier temps à la fin des années 80, pour ensuite dans un second temps s’étendre à l’avenue Jean Jaurès, aux rue Thiong prolongée, El Hadj Mbaye Gueye (ex-Sandiniery) avec l’invasion de la Place Clarisse dès le milieu des années 90 ainsi que le pourtour des différents établissements scolaires de Dakar Plateau.

Cette « cantinisation » voulue à un certain moment par la municipalité a débouché sur un rapport de forces entre les marchands et la Commune de Dakar Plateau. Lequel rapport de forces a été défavorable a la municipalité et les différents maires de Dakar Plateau n’ont pas eu les moyens de le juguler.

Et le pouvoir central, parfois cédant à la pression des différents lobbies, voire, par calcul politicien, n’a pas vraiment aidé la municipalité.

C’est pourquoi, cette réhabilitation du marché Sandaga, peut être une occasion que le pouvoir central prenne les responsabilités qui sont les siennes. Car, en droit, lorsqu’une autorité locale, surtout en matière de police peine à trouver des solutions, au point de se retrouver dans une impasse préjudiciable a l’ordre public, le pouvoir central doit dans l’intérêt général se donner les moyens juridiques et matériels pour intervenir par substitution à l’autorité locale.

En l’espèce, la présence non maîtrisée de ces milliers de commerçants autour du bâtiment de Sandaga et sur les artères voisines nécessite une régulation, qui aura, je le répète, des objectifs de renouveau urbain, que seul le pouvoir central a les moyens de porter.

Cette question précise de bon ordre, de salubrité publique et respect des commodités de passage dans les rues, relève de la police administrative générale dont la conduite est de la compétence de l’Etat au premier chef. Et il me semble important d’insister encore sur l’urgence.

3. Mettre fin à la confusion entretenue sur l’occupation de la voie publique.

Pour rappel avec la montée en puissance des communes d’arrondissement, suite à la réforme de 1996, la répartition des infrastructures, intervenue par arrêté préfectoral en 1998 classait les Marchés Sandaga et Kermel parmi les marchés dits de Ville dont la gestion revenait à la Ville de Dakar par opposition aux marchés dits de quartier dévolus aux communes d’arrondissement.

Or, on était à une époque où la perception même de marché était devenue très …dynamique et dépassait de loin le simple équipement marchand.

Ainsi, comme dit plus haut, on assista à un phénomène partout à Dakar (HLM, Castor, Medina, Dakar Plateau) les marchés phagocytaient les quartiers.

Dans ces conditions, les Maires d’Arrondissement qui revendiquaient une compétence sur la voie publique avaient fait la promotion de l’extension des marchés sur les pourtours immédiat des différents équipements marchands, en délivrant des actes susceptibles de s’analyser permissions de voirie. C’est-à-dire des autorisations à titre précaire et révocable permettant, de s’établir sur la voie publique moyennant une redevance.

Dakar Plateau à l’époque, bien que commune du Centre-Ville Dakarois, ne fit pas exception a la règle de la « cantinisation » à outrance.

Et c’est là qu’il y a problème, le conflit de perception entre les bénéficiaires et l’autorité municipale ne tarda pas à éclater.

D’un côté, pour les commerçants, on avait le sentiment d’avoir « acheté » une portion de la voie publique, alors que de l’autre, la Mairie considérait que l’acte administratif de base et à juste raison, était une simple permission de voirie à titre précaire et révocable.

Et qu’en sa double compétence de juge de l’opportunité et d’ordonnateur en dépenses et recettes, le maire pouvait « fiscaliser » la relation juridique entreprise.

En quelques années, on a vite glissé de manière dangereuse, vers ce que la relation juridique n’était pas : une concession de voirie.

Juridiquement, les occupants de cantines dans les artères de Dakar Plateau avaient un droit fondé sur une permission de voirie, c’est-à-dire un acte administratif unilatéral, relevant du seul pouvoir discrétionnaire du maire, excusez la redondance, et délivré à titre précaire et révocable.

Mais en fait, les commerçants se considéraient comme détenteurs d’une concession de voirie, c’est-à-dire d’une convention entre eux et le Maire de Dakar Plateau aux fins de mener une activité commerciale sur la voie publique.

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Et qu’à la différence de l’acte administratif unilatéral délivré par le maire, qu’est la permission de voirie, la concession serait un contrat, donc placerait sur un point d’égalité les parties que sont l’administration communale, qui serait le concédant, et le commerçant bénéficiaire qui serait un concessionnaire.

Cela généra non seulement des pratiques mafieuses, mais plus grave une cruelle injustice contre des propriétaires fonciers de Dakar Plateau.

En effet pour ce qui est des pratiques mafieuses, le simple fait d’avoir une cantine à Dakar Plateau, interprété a tort par les commerçants comme une concession de voirie avait rapidement abouti à asseoir de plein régime les droits accessoires d’un fonds de commerce : le droit au maintien et la cessibilité à titre onéreux. Ce fut alors une porte ouverte à la spéculation et aux trafics en tous genres.

Il fut un temps ou une cantine à Dakar Plateau était cédée sur le marché à des montants faramineux avoisinant les huit, voire treize millions de F.CFA et hors de vue de l’administration.

La persistance d’une telle situation fait désordre et l’autorité doit sévir.

Concernant, le préjudice causé aux riverains et propriétaires fonciers de Dakar Plateau, il suffit de circuler sur les avenues Emile Badiane et la rue El Hadj Mbaye Gueye (Ex Sandiniery) pour s’en rendre compte.

En effet, comme c’est le cas dans les grandes villes du monde, la valeur vénale des biens fonciers est élevée dans les centre-ville, (downton).

Aussi, même si Dakar Plateau jusqu’au début des années 2000 a enregistré des prix au mètre carré dépassant le million de FCFA, les propriétaires fonciers des artères précitées étaient injustement handicapés par une incapacité de valoriser leur bien à cause de ces énormes cantines qui en bloquaient l’accès.

Or à mon sens , c’est là une grave injustice, car ces gens qui sont titulaires d’un droit de propriété matérialisé dans un titre foncier se retrouvent lésés par des commerçants et autres marchands dont le seul droit ne repose que sur un acte administratif à titre précaire et révocable, voire parfois, pas du tout de titre, et qui, de surcroît en toute impunité ont une activité qui porte atteinte à l’environnement, en général, et particulièrement, à l’hygiène publique et au cadre de vie.

Le drame c’est que ça ne semble choquer personne, au point que les victimes de cette injustice se retrouvent comme des laissés pour compte sans droit de recours.

Il est temps que l’Etat du Sénégal examine cette situation et que l’on revienne à l’orthodoxie : la défense du droit de propriété dans ce pays, et c’est une question d’ordre public, incombe au premier chef à l’Etat.

Au demeurant, toutes les cantines, surtout celles de l’Avenue Emile Badiane surtout doivent être démantelées.

C’est ça à mon humble avis, ma compréhension de l’option « Zéro Cantine » toute autre solution de maintien serait la perpétuation d’une injustice qui n’a que trop duré.

Et la chance de l’Etat du Sénégal et des autorités municipales depuis toujours réside dans le fait que les propriétaires fonciers de cette partie de notre capitale ne se soient pas regroupés en syndicat de propriétaires pour engager la responsabilité de la puissance publique, car à l’analyse, il y a de sérieuses pistes de travail en vue d’une action judiciaire.

En conclusion, la puissance publique est interpellée dans ce dossier, et nous sommes en droit, nous populations de Dakar Plateau d’attendre une décision et des mesures fermes qui rétablissent le bon ordre et la salubrité dans le Plateau, toute autre solution serait perçue comme un acte visant à sacrifier nos populations sur l’autel des intérêts des lobbies et des politiciens.

En fondant beaucoup d’espoir sur votre action, et en vous réitérant mon soutien dans l’espoir d’une défense des intérêts de Dakar Plateau, je vous prie d’agréer Monsieur le Ministre, l’expression de ma très haute considération. 

Moussa Ndiaye est Juriste-Conseil d’Entreprise, Spécialiste de la Gouvernance Locale, cadre à la Ville de Dakar, ancien Secrétaire Municipal des Communes de Grand Dakar, Dakar Plateau et des Parcelles Assainies







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