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Partir Quand Le Linge Sale Salit

Au Sénégal, la phrase la plus populairement adressée à toute nouvelle mariée c’est « sey neexul » pour souligner que le mariage n’est pas facile. Certes, vous me direz tous que c’est vrai. Vivre avec quiconque, que ce soit la famille ou même avec des amis, c’est difficile car l’humain est un être complexe, qui a des facettes qui sortent et se cachent en fonction des situations dans lesquelles il se trouve, qui a un passé rempli d’émotions, de vécus, des hauts, des bas, des valeurs et des habitudes.  

Et même si chacune de ses caractéristiques est fort probablement palpable chez tout être, l’humain restera toujours complexe. Les façons de penser, les visions et les aspirations diffèrent aussi, de même que sur le plans spirituel, professionnel et même du côté sportif et des loisirs.   

Une multitude de choses vécues différemment et l’absence même d’expériences communément vécues, font qu’il soit très complexe de vivre avec quelqu’un et, naturellement, un défi de trouver l’équilibre entres les similitudes et les différences. Mais au Sénégal, quand la nouvelle mariée reçoit ce commentaire tout au long de son jour de mariage qui est supposé être spécial, ce n’est pas de cette complexité humaine qu’on fait allusion. C’est plutôt une introduction à une soumission qui doit être et paraitre à tout moment en elle, au profit de son bien-aimé chef de famille et dont les fruits seront inévitablement dégustés par la belle-famille aussi.   

Pour l’homme, ce sont plutôt des commentaires à titre tacitement sexuel, sexiste et glorieux (comme le fait de ne pas porter de culotte le jour où la femme rejoint la demeure de son mari, des chahuts au sujet de la lune de miel, des félicitations à n’en finir d’avoir rejoint la cour des Grands) qui lui sont copieusement servis. Alors que la femme sénégalaise, en ce même jour, doit comprendre sa destinée, la complexité de la vie de couple et être prête à accepter toute calamité. Également, une autre phrase qu’on lui dit : « sey, da ngay nango muñ », dans le ménage, il faut endurer et accepter d’endurer. Il faut tout simplement être soumise. Ceci est un dit dont les suites se capturent dans le fameux dicton wolof « ku muñ, muuñ » qui proclame que tout endurance sera gratifiée. Ainsi, quand les deux égaux s’adonnent à entamer leur aventure de couple légitime, là où l’un est couronné de compliments et de tapages cocasses, l’autre reçoit des rappels de devoirs de soumission et à se préparer à être heureuse, même dans la misère. C’est cela le mariage.    

Tout ceci, j’en ai bien discuté avec mon mari, lui demandant s’il avait bien remarqué, même si, à la fréquence de cette dichotomie et impartialité de la nature des commentaires faits, il était impossible de ne pas remarquer que le Bon était à venir pour lui alors que misère me guettait, inévitablement, et que je devais me préparer et supporter tout sur terre, pour une grande récompense au-delà. Il me sourit, soit envouté par la vénusté du maquillage ou n’en faisant pas un problème du tout, et me dis : oui j’ai bien remarqué, mais il faut comprendre qu’ils ne vivent pas dans le même nouveau monde que nous. Par ‘nouveau’, j’ai compris modernité, évolution, justice et égalité des sexes dans tout, en particulier dans la vie de couple. Un autre aspect sur lequel je me suis basée fortement pour choisir un partenaire égal, moderne et éveillé. Tout me disait, en ces moments, que j’avais choisi le bon. N’est ce pas cela le mariage ?   

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Je m’étais mal préparée au fait que tout ce qui allait être bon en moi, ou perçu comme tel, allait être fortement relié au fait que j’avais un mari. De la même façon qu’une femme, voulant se débarrasser d’attentions non-voulues venant des quelques hommes, peut leur dire qu’elle est mariée et automatiquement imposer ainsi et obtenir, avec succès, le respect qui fera disparaitre aussitôt cette convoitise masculine. Les hommes se respectent-ils beaucoup plus entre eux ? « Tu es toute belle ma chère, cela se voit que monsieur te traite bien. Tu es si bien habillée. Monsieur te traite bien. Tu es si radieuse. Monsieur te va bien. » Et j’avoue que c’était un peu le même de son côté, du moins tout au début du mariage. Je m’occupais bien de lui, il avait même commencé à grossir, signe que son épanouissement était dans mes mains sûres, d’après les commentaires. Le mariage c’est le bonheur visible.   

Des amis de très longues dates, qui n’ont pas eu la chance de connaitre mon mari, soit parce qu’ils sont à l’étrangers ou par le simple fait que le mariage fut célébré si rapidement et discrètement sans aviser au-delà de la famille proche, se sont eux-aussi joints au discours. Après les salutations coutumières, « et monsieur ? Il va bien ? Tu t’occupes très bien de lui j’espère ? » Une soudaine grande importance accordée à l’existence d’un homme dans ma vie, à mon propre détriment, au prix de mon inexistence soudaine… Il faut reconnaitre que là, mon bonheur n’inquiétait personne apparemment et que la seule chose qui importe est de savoir si je m’occupais bien de mon mari. A quelques reprises, je n’ai pas hésiter à souligner cette inquiétude si déséquilibrée, cette tendance à me rendre absente et irréelle. La société autour de moi me sembla si différente, transformée, et détachée de mon bien-être. Avec le temps, j’ai quand même compris que mon mariage à lui-seul ne pouvait pas transformer une société tout entière. La société sénégalaise a toujours été comme telle.  

C’est mon changement de statut matrimonial qui faisait que j’étais maintenant, plus que jamais, en contact directe avec ces enjeux. C’est le mariage.   

En gros, à part ces analyses, tout allait bien jusqu’à ce que les problèmes commencent à faire surface. Des problèmes à n’en finir, des incompréhensions comme je me disais à l’époque, après tout, il ne faut surtout pas divulguer les vraies raisons des disputes, jamais. Il faut savoir les termes synonymement employés : des disputes de couples pour dire des violences conjugales, il est trop tendu pour dire il me bat, je suis toujours critiquée pour dire que mon travail le dérange, il n’est jamais là pour dire il a une maitresse. Néanmoins, comprenons qu’au Sénégal, un mari ça se protège, même si tout au début, on fait comprendre à la femme, clairement, qui est le sexe fort, d’où la fameuse phrase, le linge sale se lave en famille. Et si la famille n’a pas le détergent qu’il faut ? Et si le linge venait de ladite famille ? Donc, le linge sale ne se lave jamais en public ? Même s’il y a une toute petite chance que ledit linge s’y sèche très rapidement, comme le démontrent les bonnes dames qui sèchent leur linge dans les rues ?  

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Le linge sale se lave en famille.  

Si les commentaires sexistes et les déséquilibres d’approche et de traitement à l’encontre des 2 sexes commençaient à devenir la norme dès le début, ils attendaient ce moment précis pour me rendre furieuse. C’était la fameuse phrase de soumission et d’endurance qu’on me servait au menu quotidien, me rappelant toujours que le mariage n’était pas que bonheur. Avec toute cette base socioreligieuse fortement protectrice de l’homme marié sénégalais, je n’avais donc aucune chance de divulguer toute la vérité sur la saleté qui m’envahissais. J’utilisais des synonymes pour ne pas être une mauvaise épouse. Les lois de jure, de discrétion et du silence faisait que l’autre était bien protégé et il s’en jouissait pleinement aux yeux de tous. Ses actes offensifs étaient légitimisés par le discours de la famille et les attentes de la société sénégalaise. Et tout ce qu’il me fallait faire, c’était de masquer, de « muñ. » Le mariage, c’est la misère cachée.   

Des mois passèrent, aucun changement. Le linge resta sale. Cette saleté empestait mes nuits, me volait le sourire, me rendit si malheureuse que je compris immédiatement qu’effectivement le mariage n’est pas que bonheur.  

Le mariage était devenu que misère pour moi, si rapidement. Une misère que j’étais appelée à déguiser continuellement aux regards de la société. Une misère que je ne pouvais dénoncer aux risques d’être amèrement jugée, critiquée, perçue comme une mauvaise épouse, et ainsi marginalisée. Par peur d’arriver à ce stade, je trouvais refuge dans le silence et le retrait. J’avais du mal à répondre aux cérémonies festives, le sourire se faisait rare sur mon visage. Tout ceci commençait à se faire sentir au bureau où j’avais du mal à me concentrer. Les questions telles que « tu t’occupes bien de monsieur » m’enrageaient. Je voulais crier haut et forts et devant tous, faire tomber les masques, étaler les abus, démystifier les mensonges, et libérer mon âme.  

La saleté chez moi me tuait à petit feu. La fumée se voyait par la belle famille. Et tout le monde fit semblant. Silence ou commentaires infructueux. Quels jeux ! Finalement, je devais jouer cette même comédie quand des amis et des parents nous rendez visite. Avec le sourire forcé, je leur servais à boire et à manger. Avec le sourire forcé, j’animais les discussions. Avec le sourire forcé, je riais aux tapages. Le sourire forcé.  Finalement, quand la fatigue de sourire derrière mes blessures s’en prit à moi, quand le mensonge devint trop douloureux, j’avais commencé à limiter au maximum les visites de mes proches car j’essayais toujours de laver le linge sale loin des yeux moralisateurs et des décrets oraux. Le linge sale se lave seule.    

À tout moment, je voulais que tout aille bien mais tout me brulait de l’intérieur. Je me souvenais des moments doux passés avec mon mari, des merveilleux plans de vie de couple qu’on avait, de la famille qu’on voulait fonder, de tant de promesses et de vision positives. Je me suis munie de ce passé qui était devenu, pendant longtemps, mon rêve de chaque nuit, me dorlotant dans l’insomnie, la peur, les abus, les pleurs, et me donnant la force d’affronter le jour où le seul soleil fut ma mère qui me soutenait et me faisait rire parfois et mon bureau où je me sentais à l’abris, physiquement. Chaque jour qui passe me confirmait que ma vie, mon corps, ma liberté étaient emprisonnés dans ce spectacle insensé, misogyne et injuste dont la mise en scène était parfaitement assurée par des lurettes de corruption, d’internalisation et de normalisation de l’infériorité de la femme, un héritage perpétué par de vieilles femmes dociles et de vieux ogres qui jouissaient toujours de leur supériorité.  Des femmes qui perdurent dans des entraves masculines toute leur vie… C’est cela le mariage.   

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Des jours passèrent, et des nuits durant lesquelles les quelques étoiles qui illuminaient le ciel commencèrent elles aussi à disparaitre pour faire place aux orages du sexe fort, à la puanteur du linge sale et au devoir de soumission.  Je me sentais constamment dans une situation de vulnérabilité décrite par la psychologue Aminata MBENGUE comme une condition dans laquelle « le corps de la femme est fétichisé, soumis aux regards critiques des hommes qui jugent et donnent des notes. » Mais j’ai appris que ce ne sont pas que les hommes qui donnent les notes. Les femmes elles aussi perpétuent et normalisent ce déséquilibre des deux sexes, les agressions, les violences physiques, les viols, la corruption du rôle de la femme et du mariage. Quand le linge est devenu trop sale et plein de souillure toxique, une prise-en-main des choses, une force de refus naquit en moi. Plus d’abnégation. Plus de rêve. Plus d’amour. Le linge sale se jette parfois.  

La haine m’envahit par tous mes sens. Si mon corps fut le canvas assailli par cette saleté, mon esprit fit l’espoir guéri qui me repositionna devant cette scène sociétale, où je ne m’y aperçois pas comme la belle qui vit avec la bête, mais un spectacle où la bête transformait la belle par son venin. Un spectacle où je criais de toutes mes forces mais où les assourdis ne virent qu’un ours qui danse. Ainsi, la haine qui n’a jamais séjourné dans mon cœur y trouva place. Et si j’ai commencé à la transporter au plus profond de mes chambres, c’est parce que les couloirs de mon existence dans les structures du mariage étaient pleins de couvertures de patience, de soumission, de camouflage, de dialogues échoués et de prières sans écho, qui n’ont pas pu changer l’odeur répugnante du linge sale qui l’empoisonnait. Le linge sale détruit le mariage.   

Étant une femme sénégalaise au Sénégal, me suis retrouvée avec la mission impossible de Coumba amul ndey (Coumba l’orpheline), devant ainsi laver un des linges sales de la société dans le sinistre Ndayaan du mariage, essayant de faire disparaitre la Bête pour faire paraitre sa Beauté, au prix de faire naitre en moi un animal sans cœur ni tête, au détriment de me propres droits humains.   

Le linge sale salit.







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