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Comment Fonctionne Un Contrat De Recherche Et De Partage De Production Sous La Loi 98-05 Du 8 Janvier 1998 Portant Code Petrolier

Mr Amadou BA, du Mouvement des Cadres Patriotes / PASTEF, a signé un article paru à la page 10 du journal ENQUETE N° 2438 du vendredi 23 août 2019, dans lequel il traite de la manière dont fonctionnerait le Contrat de Recherche et de Partage de la Production (CRPP), dans les blocs de Cayar et de Saint Louis Offshore profond (Yakaar et Grande Tortue).

Son article est une opportunité pour expliquer comment fonctionne en réalité, un CRPP. La présente contribution a pour objet de donner les moyens pour comprendre et d’interpréter un CRPP. Il n’a donc pas pour but, d’instaurer une quelconque polémique sur ce sujet.

Dans son article, Mr BA a adopté une vision ramassée des deux projets Yakaar et Grande Tortue et une démarche de calcul que nous maintiendrons pour permettre une comparaison au niveau des résultats finaux.

A l’analyse du tableau 1 ci-dessous, tiré de l’article de Mr BA, la seule estimation de la production annuelle pour les deux gisements, et l’application sans précaution ni limite dans le temps, du taux de prélèvement de 75% pour le recouvrement des coûts pétroliers, ne constituent pas des éléments suffisants permettant la détermination du Cost Oil et du Profit Oil. Il faut nécessairement avoir une estimation des charges d’exploitation (coûts pétroliers ou Cost Oil et coûts opératoires ou dépenses de fonctionnement).

Selon la Procédure comptable (Annexe 2 du CRPP), le Cost Oil dépend du montant réel, affecté aux amortissements pour chaque année civile. Le Profit Oil appelé Production restante, est en fait la rente ou manne pétrolière que doivent se partager l’Etat et le Contractant (Pétrosen et ses Associés).

Pour une bonne interprétation du CRPP, il faut, en plus de l’estimation de la production annuelle, donc du chiffre d’Affaires, tenir compte des trois éléments suivants :

1) l’estimation, pour les deux gisements évoqués, des coûts pétroliers réellement encourus ;leur recouvrement en dépend et implique que ces coûts soient clairement identifiés et chiffrés par nature.

2) l’article 22 du CRPP intitulé “Recouvrement des coûts pétroliers et partage de la production” compte en son l’article 22.1 deux alinéas :

• le premier alinéa fixe le principe et indique que : le taux de 75% de la production nette ou production commercialisable (donc celle disponible pour la vente, après déduction de la redevance), est celui que le Contractant peut prélever pour chaque année civile pour le recouvrement des coûts pétroliers;

• le deuxième alinéa en précise les limites et indique que “si au cours d’une année civile, le taux de prélèvement de 75% est supérieur au montant des coûts pétroliers à recouvrir durant ladite année civile, le Contractant recevra seulement tel pourcentage inférieur de la production qui serait nécessaire et suffisant pour recouvrer les coûts pétroliers”.

Le taux de 75% est donc un taux plafond qui ne peut être dépassé au cours d’une année civile. Il obéit à des règles. Le Contractant ne peut, dans une année civile, prélever 75% de la production commerciale, si dans l’année civile considérée, les coûts pétroliers à recouvrir sont équivalant à 50 ou 60% de la production commerciale. Il ne prélèvera alors, au cours de ladite année civile que 50 ou 60% de ladite production, et enfin, 3) la Procédure comptable qui constitue l’Annexe 2 du CRPP, a été complètement ignorée par Mr Amadou BA dans son raisonnement comme dans sa démarche de calcul.

Ainsi, lorsque Mr BA écrit : “L’état des lieux du secteur du pétrole et du gaz permet d’estimer les revenus attendus sur le gaz naturel de St Louis et de Cayar Offshore Profond sur une durée de 40 ans avec une exploitation qui démarrerait en 2022 comme suit :

• Réserves estimés à 700 milliards de m3 (420 Yakaar, 280 GT),

• Production totale : 630 milliards de TOE (tonne équivalent pétrole),

• Production totale : 4800 millions de barils,

• Production annuelle : 120 millions de barils,

• Production brute annuelle : 7 200 millions USD, et donne le tableau 1 ci-dessous, pour illustrer la manière dont s’opérerait le partage de la production sur ces deux gisements, on s’aperçoit que les résultats auxquels il a abouti sont erronés.

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Selon Mr Amadou BA (Source : Article Journal ENQUETE N° 2438 du vendredi 23.8.2019 page 10)

En effet, à la lecture de son article, on comprend que pendant les 40 ans d’exploitation :

– le Cost Oil, est de 75% de la production commerciale donc de : 5 076 000 000 USD/an et,

– le Profit Oil (qui est la rente pétrolière) sur la même période est de : 1 692 000 000 USD /an.

Mr BA en conclut que, la part du Sénégal, constituée par : la Redevance + sa Quote-part du Profit Oil + l’impôt sur les sociétés + les revenus de Pétrosen après impôts s’élèvent à : 1 676 296 000 USD /an soit 23,28% des 7 200 000 000 USD de la production annuelle brute.

Cette interprétation du CRPP est trop courte et la comparaison de la part du Sénégal au chiffre d’Affaires n’a pas sa raison d’être. Dans un CRPP, il faut donner un sens et un contenu aux pourcentages affectés au Cost Oil (Coûts pétroliers), au Profit Oil (ou Production restante) et comprendre ce que recouvrent les pourcentages de participation de Pétrosen et de ses associées.

Le Cost Oil n’est pas un revenu. C’est une charge d’exploitation. C’est la quote-part affectée au remboursement de l’investissement engagé par le Contractant, qui n’en tire aucun profit. En cas de découverte commerciale, il faut distinguer deux phases : Phase 1 : celle de la Recherche, de l’exploration et de l’évaluation de la découverte.

Tous les Coûts Pétroliers encourus durant cette période qui peut durer de 6 à 10 ans, sont identifiés et chiffrés par nature. Ils peuvent être gelés jusqu’au démarrage de la production. A l’issue de cette phase 1, le Contractant (Pétrosen et ses Associés) présente et fournit à l’Etat, tous les éléments pertinents chiffrés, permettant d’obtenir de l’Etat, l’approbation de la Décision Finale d’Investissements et l’Autorisation d’exploiter ladite découverte.

Phase 2 : celle du développement et de la production. Elle va de la date de notification par l’Etat, de l’Autorisation d’exploiter pour une période initiale d’exploitation de 25 ans y compris les 5 ans nécessaires à la réalisation des forages de développement, à la construction et la mise en place de l’ensemble des infrastructures de production. Les coûts pétroliers encourus au cours de ces 5ans sont également identifiés et chiffrés par nature.

Au démarrage de la production, tous les Coûts pétroliers des deux phases citées ci-dessus sont donc connus. Leur mode de recouvrement, leur montant ainsi que le taux réel de prélèvement applicable par année civile, conformément à la procédure comptable, sont connus.

La Procédure comptable considère, en ce qui concerne les coûts pétroliers, deux éléments :

• les immobilisations : forages productifs, installations de production, de traitement, de liquéfaction, de transport, aménagements portuaires de chargement etc, et,

• les coûts qui ne sont pas des immobilisations : ce sont les études géologiques, les études et les travaux géophysiques (sismiques), les études d’ingénierie, les forages secs non productifs, réalisés pendant les deux phases décrites ci-dessus etc.

Les immobilisations sont amorties au minimum sur 5 ans et les coûts correspondants sont recouvrés sur la même période. Les autres coûts peuvent, selon le CRPP, être recouvrés dès la première année de production sous réserve qu’avec les amortissements de la première année, le tout ne dépasse pas 75% de la production commerciale.

En cas de dépassement, le reliquat est reporté à l’année suivante. Par souci de simplification, considérerons que tous les coûts pétroliers sont des immobilisations et qu’ils sont amortis de manière linéaire sur 5ans. Ces précisions étant faites, tous les éléments sont désormais réunis pour expliquer le fonctionnement d’un CRPP. Pour permettre la comparaison, considérons le présent exemple comme un cas d’école.

L’estimation de production donnée par Mr Amadou BA dans l’article du Journal l’ENQUETE pour les deux gisements, sera conservée à savoir : Production annuelle : 120 millions de barils, Production brute annuelle : 7 200 millions USD. Elle est complétée, par celle des investissements pour les deux gisements, pendant les deux phases décrites ci-dessus. Ils sont estimés, pour les deux projets, dans le présent cas d’école, au total à 20 000 millions USD répartis comme suit :

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Phase 1 : 5 000 millions USD. Ils sont entièrement financés par les Compagnies associées de Pétrosen.

Phase 2 : 15 000 millions USD, dont 10% pour Pétrosen soit 1 500 millions USD et 90% soit 14 000 millions USD pour les Compagnies associées à Pétrosen.

Amortissements sur 5ans : 20 000 millions USD / 5 = 4 000 millions USD / an (selon l’article 4 de la procédure comptable du CRPP).

Estimation des Coûts opératoires : 5 USD / baril x 120 millions de barils /an soit 600 millions USD / an.

Les coûts opératoires sont les dépenses de fonctionnement, de maintenance et de remplacement des pièces d’usure courante pendant la durée d’exploitation. Pétrosen participe à hauteur de1500 M USD / 20 000M USD soit 7,5 % du total des coûts pétroliers à recouvrer. Il recevra en conséquence, pendant les 5 premières années civiles d’exploitation, les7,5% de la part réservée au recouvrement des coûts pétroliers.

Pétrosen participera, pendant toute la durée de l’exploitation, à hauteur de 10% des coûts opératoires et aura droit à 10% de la quote-part de la rente pétrolière (Profit Oil) dévolue au Contractant. Sur la base de ces estimations et de ces considérations, les 5 premières années de la phase 2 ne génèreront pas de revenus, car la production ne démarre qu’à l’année 6. Il convient donc, de distinguer deux cas de figures exprimés dans les tableaux 2 et 3 ci-après :

Tableau 2 : Répartition des revenus pétroliers pendant les 5 premières années de production et de recouvrement des coûts pétroliers (de l’année 6 à l’année 10 des 25ans de la période initiale d’exploitation).

Tableau 3 : Répartition des revenus pétroliers de l’année 11 à l’année 25 de la période initiale d’exploitation (il n’y a plus recouvrement de coûts pétroliers, mais uniquement des coûts opératoires à assurer).

Le tableau 2 permet, dans un premier temps, de calculer la part de l’Etat seul, puis dans un second temps, la part du Sénégal (Etat et Pétrosen réunis), dans le partage de la rente pétrolière sans la redevance.

Calcul de la part de l’Etat (hors redevance) dans la rente pétrolière d’après le Tableau 2, pendant les 5 premières années de production ; elle correspond à 58% Profit Oil + Impôt sur les sociétés soit : 1 257 440 000 USD + 273 168 000 USD = 1 530 608 000 USD / 2 168 000 000 USD = 70,60 %.

Part du Contractant (y compris Pétrosen) : 29,40% du Profit Oil après impôts Calcul de la part du Sénégal (Etat et Pétrosen) dans la rente pétrolière (hors redevances) pendant les 5 premières années de production : 1 530 608 000 USD + 63 739 200 USD = 1 594 347 200 USD / 2 168 000 000 USD = 73,54 % Part du Contractant (hors Pétrosen) pendant la même période : 26,46% du Profit Oil après impôts.

Le tableau 3 ci-dessus, permet de la même manière, de calculer la part de l’Etat seul, puis celle du Sénégal (Etat et Pétrosen réunis) dans le partage de la rente pétrolière, sans la redevance, de la 11ème à la 25ème année. Calcul de la part de l’Etat (hors redevances) d’après le Tableau 3, de la 11ème année à la 25ème année de production. Elle correspond à 58% Profit Oil + Impôt sur les sociétés soit : 3 577 440 000 USD + 777 076 800 USD = 4 354 516 800 USD / 6 168 000 000 USD = 70,60 % Part du Contractant (y compris Pétrosen) : 29,40% de la rente après impôts.

Calcul de la part du Sénégal (Etat + Pétrosen) dans la rente pétrolière (hors redevances), de la 11ème année de la phase de production à la 25ème année. Elle correspond à 58% Profit Oil + Impôt sur les sociétés + Part Pétrosen après impôts soit :3 577 440 000 USD + 777 076 800 USD + 181 317 920 USD = 4 535 834 720 USD / 6 168 000 000USD Soit 73,54% de la rente pétrolière.

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Part Contractant (autres que Pétrosen) : 26,46% de la rente après impôts. Comme il s’agit de partage de la production, tous les chiffres ci-dessus relatifs au Cost Oil, aux coûts opératoires et au Profit Oil sont traduits au début de chaque année, en termes de cargaisons d’hydrocarbures, avec une planification des rotations d’enlèvement pour chaque partie. Chacune a la responsabilité de l’enlèvement et de la commercialisation de sa quote-part de la production commerciale. L’Etat peut demander, que la redevance lui soit versée, au même titre que l’impôt sur les sociétés, en cash. Il peut confier par biais d’un contrat, à toute entité de son choix, la commercialisation de sa quotepart de la redevance et du Profit Oil.

Pour conclure, le présent cas d’école permet de constater que, dans un CRPP :

1. Pour un Contractant autre que Pétrosen, avoir 90% de pourcentage de participation dans un permis ne signifie pas pour lui, de disposer de 90% du pétrole en cas de découverte. Cette vision, malheureusement véhiculée sans précaution, à travers les médias par des intervenants non avertis, est une interprétation simpliste et erronée du CRPP. Elle n’a aucun sens et ne repose sur aucun fondement.

2. Le Contractant, à l’exclusion de Pétrosen, finance 100% de la phase risquée. En cas de découverte, il supportera 90% des investissements de développement et de production, soit globalement, dans le présent cas d’école, 92,5% de l’ensemble des coûts pétroliers. En retour, il disposera, de 90% des 42% de la rente après prélèvement des 58% représentant la part de l’Etat. Et, après acquittement de 30% de l’Impôt sur les sociétés, ses 90% après impôts, correspondront à de 26,46% de la rente.

3. Le Sénégal, à travers l’Etat et Pétrosen réunis, en n’ayant supporté que 10% de l’investissement de la seule phase de développement soit 7,5% de l’ensemble des coûts pétroliers, disposera de 73,54% de la rente, sans compter la redevance de 6% de la production brute.

4. Pour le Contractant autre que Pétrosen, disposer de 26,46% de la rente pétrolière annuelle après impôts, doit être comparé à un placement lui rapportant un taux d’intérêt de 26,46% par an après impôts. En résumé, dans un Contrat de Recherche et de Partage de la Production :

• Le taux de 75% pour le recouvrement des coûts pétroliers indiqué dans le Contrat est un plafond. Il est conditionné par le montant réel des amortissements de chaque année civile. Son application n’est ni automatique, ni systématique et elle est limitée dans le temps (durée d’amortissement).

• La répartition de la rente pétrolière (Profit Oil), est en fait le point essentiel dans les négociations, pour chaque bloc. Elle est fonction de la profondeur d’eau et des différentes tranches de production journalière, donc de la production annuelle. C’est le point crucial qui doit permettre à l’Etat d’obtenir le maximum de la rente mais il doit cependant garantir au Contractant, une part incitative, en rapport avec les critères de rentabilité en vigueur dans l’industrie pétrolière.

• Le pourcentage de participation de Pétrosen plafonné à 20% est le résultat d’une démarche calculée et mûrement réfléchie à la suite d’études de sensibilité. Il n’est pas le fruit d’un hasard.

• A 30% de pourcentage participation pour Pétrosen, on est pour le Contractant, à la limite des critères de rentabilité communément admis dans la profession, au regard de la complexité de ce type d’opérations, des moyens financiers importants à mobiliser et des risques encourus, en plus du fait que Pétrosen est portée pendant la phase risquée et qu’elle ne participe pas au financement de celle-ci.

Samba DIOUF,

CONSULTANT, Hydrogéologie – Pétrole Master Hydrogéologie, Université de Grenoble Ingénieur géologue, Recherche – Exploration Diplômé de l’Institut Français du Pétrole – Rueil Malmaison (France)







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