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Le Port De Foulard N’est Pas Incompatible Avec Le Principe De LaÏcite

L’interdiction  du voile à l’institution Sainte Jeanne d’Arc et  les réactions médiatiques, politiques, idéologiques auxquelles elles donnent lieu, montrent la difficulté des écoles d’obédience Française à gérer la différence en milieu scolaire et révèle le dilemme qui existe entre un être humain qui devrait faire abstraction de toute identité pour accéder à l’universel et un individu assujetti à une identité de groupe.

Cela n’est pas nouveau, l’école publique Française a longtemps discriminé les gauchers, leur imposant d’écrire de  la main droite ce qui n’avait aucune justification autre qu’implicitement religieuse. La gauche étant symboliquement le coté néfaste.

A  l’institution Sainte Jeanne d’Arc, la tenue, selon le règlement intérieur, devrait se composer, à partir de la rentrée scolaire de septembre 2019, de l’uniforme habituel, avec une tête découverte, aussi bien pour les filles que pour les garçons.

On assiste ici  à ce que certains appellent  une  discrimination indirecte, c’est-à-dire « (d’) une règle ou (d’) loi « neutre » qui s’applique à tous de la même façon » mais peut produire un effet discriminatoire non intentionnel, sur un seul groupe de personne, en lui imposant des obligations ou des conditions restrictives qui n’affectent pas les autres citoyens »(Milot M.,2002).

Pourtant, dans la loi d’orientation, il est précisé que  la connaissance du règlement intérieur, par une présentation claire et transparente, contribue à leur application perçue comme juste, sur laquelle s’appuie tout naturellement l’autorité au sein de l’établissement. Il doit être communiqué en début d’année aux parents, le cas échéant expliqué et commenté, dans le respect des règles qui régissent le service public d’éducation(laïcité, neutralité, respect mutuel..), avant d’être signé  par l’élève et les parents.

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 C’est un document de nature juridique  qui se réfère à la déclaration des droits de l’homme, à la constitution  et ne peut contredire la législation. Le règlement intérieur est élaboré et révisé par le conseil d’administration après une large concertation avec tous les membres de la communauté éducative. Il s’impose à tous les membres de la communauté scolaire et fixe la réglementation des droits et obligations de chacun.

Le statut du chef d’établissement dans l’enseignement catholique stipule qu’il «  inscrit et éventuellement exclut les élèves, dans le respect du règlement intérieur de l’établissement et de la législation en vigueur ». Si, évidemment, le chef d’établissement a le droit d’exclure des élèves en porte à faux avec le règlement intérieur, on peut se demander,  au vu de la réaction des parents d’élève, si l’élaboration du règlement intérieur a été participative et inclusive de l’ensemble de la communauté éducative.

En France, le  port de foulard par des élèves de confession musulmane a engendré une suite d’affaires qui renaissent périodiquement depuis 1989 et ont même tendance à remplacer la question de l’école privée comme problème central de la laïcité française. Pourtant, Le conseil d’Etat français  a mis le foulard et d’autres « signes d’appartenance religieuses » dans la sphère du toléré : leur port, par les élèves, n’est pas lui-même incompatibles avec le principe de laïcité. Il peut le devenir notamment si ces signes constituent « un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande».

En « accordant le droit de porter le voile s’il n’y’a pas  de prosélytisme. Le conseil d’Etat fait bien la distinction entre ce qui relève de l’affirmation de la foi personnelle et ce qui relève d’une affirmation communautaire avec une dimension coercitive »(Roy O.,2002).

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De même en interdisant le port d’un signe  qui perturberait » le déroulement des activités d’enseignement », il a clairement réfuté la création d’un enseignement différencié. Mais outre que sa position a été récusée, son application n’est pas toujours facile. C’est d’ailleurs pourquoi il vaut mieux ne pas parler de «  voile », désignation religieuse, mais de « foulard », ce qui rend plus prosaïque l’expression de la conviction.

Au Sénégal, Si le conseil d’Etat ne s’est pas prononcé sur ce fait, d’autres l’ont fait et  sont même allés plus loin, c’est le cas de l’ancien président de la république Abdou Diouf pour qui, dans son allocution prononcée le 07 novembre 1984 à l’occasion de la rentrée des cours et tribunaux, soulignait que «  La laïcité peut être une manifestation du respect d’autrui. Chacun, quelle que soit sa religion et la faveur dont elle jouit dans son pays, doit respecter celui qui ne partage pas sa foi ou qui a choisi de l’exprimer autrement. Je dis bien « respecter » car il ne s’agit pas seulement de « tolérance », comme on le dit très souvent. Il ne s’agit pas d’ignorer et d’excuser ou même d’admettre, mais de respecter la croyance d’autrui et son expression »

Certains pays  comme le canada ( et en particulier au Quebec), ont pu faire face à ces problèmes de discriminations en milieu scolaire en mettant au point un dispositif qui s’intitule «  l’accommodement raisonnable ». L’obligation d’accommodation induit, dans certains cas, la modification de normes ou de pratiques pour tenir compte des besoins particuliers des minorités. Mais, cette accommodation doit rester « raisonnable », c’est-à-dire ne pas avoir d’aspect excessif dans les contraintes qu’il impose à l’institution, à l’entreprise ou à l’Etat mis en demeure de trouver un arrangement. Voila une ligne de conduite qui peut être utile.  Dans la constitution de notre pays, la liberté de conscience ainsi que la liberté de religion et de culte apparaissent comme des droits fondamentaux, inaliénables et imprescriptibles, qui trouvent leur seule limite  dans la nécessité légale de la préservation de l’ordre ou de la moralité publique.

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Ainsi, autoriser un foulard d’une certaine dimension et pas d’une autre, arriver à des compromis  pour que  le foulard porté ne gène pas les activités scolaires…désacralise, privilégie l’empirie sur la représentation, qui, alors, tend à redevenir « affaire privée ». D’un point de vue laïque, on n’est pas forcément une « bonne musulmane » en se « voilant » ; mais on n’est non plus une femme qui se considère comme inférieure aux hommes puisque nombres  d’études sociologiques ont montré  la diversité des significations du foulard.(notamment Gaspard F .,Khosrokhavar T., 1995).

Tabouré AGNE

 Inspecteur général des services municipaux de la ville de Pikne

 Ancien censeur du lycée Mixte DELAFOSSE

agnetaboure@yahoo.fr







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