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Guy Marius Sagna, La Patrie Ou L’amour

Guy Marius Sagna, La Patrie Ou L’amour

Il a été l’un des acteurs majeurs de la scène politique sénégalaise de cet été. Arrêté, incarcéré, puis libéré provisoirement par le régime de Macky Sall, pour ses prises de positions et déclarations, l’activiste Guy Marius Sagna incarne une nouvelle génération de la lutte anti-impérialiste avec son collectif « FRAPP France Dégage ». Un mouvement que le pouvoir sénégalais regarde avec crainte et méfiance. Rencontre avec une icône naissante et portrait d’un humaniste radical.

Le matin du 16 juillet 2019, peu après 8 heures, Guy Marius Sagna reçoit plusieurs appels d’un numéro qui ne figure pas sur son répertoire. Il se tâte mais ne décroche pas. Dans la foulée, il reçoit un SMS du commandant de la section de recherche de la gendarmerie de Colobane lui intimant l’ordre de le rappeler dès réception du message. Il s’exécute. Le commandant lui notifie alors sa convocation, qu’il a le choix d’aller chercher ou de recevoir. Il choisit la seconde option. Les gendarmes viennent le trouver à Dieuppeul, une commune au centre-sud de la capitale sénégalaise, lui remettent l’enveloppe, et à sa grande surprise l’embarquent et le mettent en garde à vue, puis en prison. La suite est connue, Guy Marius Sagna restera détenu jusqu’à la mi-août, avant de bénéficier d’une liberté provisoire.

L’affaire a fait les grands titres de la presse sénégalaise et internationale. Fanny Pigeaud, journaliste correspondante de Médiapart et co-autrice du livre contre le CFA, avec l’économiste Ndongo Samba Sylla, s’en émeut sur le site payant d’Edwy Plenel, article abondamment repris. A l’indignation collective face à cette détention qui paraît arbitraire, s’ajoute une forte mobilisation qui se concrétisera par des marches, jusqu’à une tribune collective, inédite et rare, d’intellectuels de renoms sur le continent et ailleurs, qui demande « la cessation de la violation des droits des citoyens au Sénégal, le respect de la liberté d’opinion et la libération immédiate de Guy Marius Sagna ». Au bas du texte, de signataires prestigieux : Cornel West, Makhily Gassama, Boubacar Boris Diop entre autres. La mobilisation qui fédère les organismes de défense des droits de l’homme (Raddho, Amnesty international…), fait mouche, même si à postériori, l’intéressé confie, avec une pointe de modestie « ne pas comprendre ce qui s’est réellement passé avec cet engouement et informe que les limiers de Colobane ont eu un autre détachement qui s’est rendu à son domicile le jour de son interpellation ».

Genèse d’un nouveau visage de la lutte anti-coloniale

Quand on lui propose l’idée de ce portrait, quelques jours seulement après sa sortie de prison, on est d’abord frappé par son endurance et son humeur. Il est volontiers souriant et disponible. A peine est-il sorti de prison que Guy Marius Sagna, né en 1979, marié et père d’une petite fille, enchaîne les émissions sur les plateaux. Sollicité, il est prolixe, ne rechigne jamais à expliquer son combat. Ce bon client des médias, dynamique, à l’aise dans ses dossiers, engageant dans ses réponses, sait qu’il tient là un bon outil pour étendre son combat. Le « repos » que lui conseillent des proches, « peut attendre » semble-t-il dire : l’urgence c’est son combat, un amour à plein temps.

Ce n’est pas la première fois que ce gaillard qui frise le quintal, au visage débonnaire, à l’abord chaleureux, et à la carrure imposante, se retrouve en prison, incarcéré par le régime pour divers chefs d’accusation, dont le dernier « diffusion de fausse alerte terroriste ». Un délit que l’on attribue à son mouvement politique FRAPP (Front pour une révolution Anti-impérialiste Populaire et Panafricaine), accusé de prêter à la France des intentions de déstabilisation du Sénégal par la diffusion d’un communiqué sur Facebook. Il botte en touche ce qu’il considère comme un prétexte fallacieux et dépeint un pouvoir aux abois qu’il décrit inique : « la justice tout comme la démocratie est nécessairement une justice de classe », martèle-t-il. « La néocolonie du Sénégal n’échappe pas à cela. Il y a assurément des juges indépendants mais la justice sénégalaise est une justice aux ordres de l’exécutif », poursuit-il, assertif. Sur le vrai motif de son incarcération, il enchaîne, toujours catégorique, c’est que son mouvement dérange : « On reproche au FRAPP sa contribution à tenter de mettre au cœur du débat politique, économique et social de l’Afrique en général, du Sénégal en particulier, les questions de souveraineté économique et de souveraineté démocratique à travers des campagnes comme « pour la souveraineté monétaire France dégage ! », « Non aux APE ! », « bases militaires étrangères hors d’Afrique ! ». L’affaire est toujours en cours d’instruction. La demande d’annulation de la procédure de son avocat n’a pas encore été tranchée. Il faut dire que l’activiste ne compte plus ses démêlés avec la justice, l’administration, les intimidations et les coups de pression. Le régime peine à expliquer sa détention sur des bases légales, sauf à interpréter abusivement la législation. L’inconfort des hommes forts du pouvoir en atteste d’ailleurs, muets dans cette affaire.

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Humanisme et racines de la colère

De ces épisodes, qui ont forgé sa carapace, il ajoute autre chose : un portrait de la prison centrale de Dakar, de l’intérieur, qui émeut et indigne. « Trois milliers de détenus, pour une prison de 500 places, ont une infirmerie, note-il, dans laquelle il n’y a que paracétamol et antibiotique. L’alimentation n’est pas suffisante et elle est d’une mauvaise qualité. » Plus loin, il ajoute « Des prisonniers sont entassés à 300 dans des cellules prévues pour 50 avec une toilette pour se laver et une autre pour les autres besoins. Certains détenus du fait de cette surpopulation restent des mois sans se coucher la nuit »

Alors que la maison de Rebeuss qui fait face à la corniche est la scène annexe du jeu politique sénégalais depuis des lustres – jadis Wade et Idrissa Seck, aujourd’hui l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall – beaucoup de figures de l’opposition ont joué une partie de leur destins politiques dans ces geôles. Pour Guy Marius Sagna, cette évocation est encore lointaine, de la prison il fait simplement le récit des conditions indignes et de la déshumanisation des détenus. Ce qu’il donne à voir de cet endroit écœure, même si la presse, d’anciens détenus, des visiteurs, ont déjà dépeint la triste condition de cette prison, son récit est empreint d’empathie et de témoignage. Pour lui, nul doute que le pouvoir s’invite dans la justice, il en veut pour preuve les incarcérations du maire de Dakar, celle du journaliste Adama Gaye, alors que des scandales qui accusent le frère du président Aliou Sall, révélés par un document de la BBC, sont étouffés comme d’autres affaires impliquant les proches du chef de l’Etat, épinglés par les organes de contrôle comme l’inspection générale d’Etat et l’office de lutte contre la corruption, l’OFNAC (Office National de lutte contre la Fraude et la Corruption).

Pour savoir d’où vient cette fibre du combat, il faut sans doute remonter à 2005. Salarié au PCCI, centre d’appels en vogue des années 2000, il est limogé pour avoir voulu mettre sur pied un syndicat des travailleurs. Ensuite en 2013, assistant social affecté à Sédhiou, il s’insurge contre le vol des ressources de l’hôpital par la direction. Il en avise les administrateurs, sans suite, et organise une conférence de presse pour dénoncer les faits. Il en fait les frais. Il est relevé de son poste de responsable des ressources humaines. La ministre de la santé d’alors, Awa Marie Coll Seck, le balade plusieurs fois, avant qu’il ne soit pas mis au placard dans un bâtiment « sans eau, ni électricité, ni toilettes salubres ». Avant cette période d’incertitude, un autre engagement est à mettre à son actif, il est le coordinateur du mouvement M23 à Tambacounda, front civil et politique né en 2011 pour faire barrage au forcing anticonstitutionnel du président Abdoulaye Wade. Il y forge une appétence pour la contestation politique et pour la démocratie. En novembre 2017, il a le déclic et il lance le FRAPP, avec des amis, mouvement qui rassemble beaucoup d’autres organes de la mouvance anti-impérialiste : le Front anti-APE, anti-CFA, la ligue panafricaine UMOJA, Urgence Panafricaniste, etc. Ce mouvement plus radical dans la critique du néocolonialisme le met en lumière et donne de l’envergure à son combat. La notoriété s’en suit. Les cibles, elles, sont toujours les mêmes : la présence française dans ses multiples formes, le CFA, les accords de partenariats économiques (APE) jugés désavantageux pour le l’Afrique. Partout, le collectif fait parler de lui, par ses happenings tapageurs, son activisme et son slogan facile à retenir qui s’ancre dans le dégagisme ambiant qui s’est saisi du monde. C’est définitivement l’envol d’un activiste, ce qui lui attire de la sympathie mais aussi des détracteurs et de vrais ennemis, au premier rang desquels le régime en place.

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France Dégage, le cœur de la lutte finale

La critique contre la France chez Guy Marius Sagna est murie et construite, fondée par une filiation panafricaniste dont il se réclame. Pour lui, s’il admet que la France comble un vide au Sénégal, c’est en toute conscience. Il avance « pour que la France soit présente, il faut que l’Afrique soit absente ». Ce combat ne bascule jamais pour autant dans la haine ou le désir de vengeance. Il cultive la radicalité avec une certaine élégance. Tout le mal du continent semble pour lui être le fait de cette subordination à l’ancienne puissance coloniale, dont il critique toute présence. Il épingle le FMI, l’OMC et la Banque Mondiale comme agents de ce complot, « occupés à réunir les conditions d’un combat entre le pot de fer et le pot de terre. ». Sa parole n’est pas plus tendre pour la françafrique qui pour lui n’a pas véritablement évolué. Il lâche, moqueur, avec un sens de la formule étudié « elle continue à utiliser soit la carotte de la francophonie ou des financements de l’AFD, soit le bâton du bombardement du palais de Gbagbo ». Sa critique de la présence française n’épargne pas non plus les médias français de la diaspora, comme RFI, TV5, Le Monde Afrique, dont il présente les desseins ainsi : « leur objectif est moins de concurrencer la presse nationale que de la renforcer, de lui donner les grilles de lecture des dominants, de se subordonner la presse dominante des néocolonies africaines. »

Quand on attire son attention sur le fait que le discours sur la décolonisation connaît un renouveau avec notamment les Ateliers de la pensée lancés par Felwine Sarr et Achille Mbembe, il ne semble pas emballé et montre son scepticisme. « Le FRAPP ne peut savoir pourquoi il n’est pas associé aux ateliers de la pensée », abrège-t-il, même s’il admet être allé à la première édition en 2016, par amitié pour son compagnon de lutte l’économiste Ndongo Samba Sylla. Sur ce manque de jonction entre activistes et intellectuels sur un même combat, il ne comprend pas qu’on ne les associe pas, même si l’on devine que l’ombre de la France qui plane sur ces échanges, le laisse plutôt froid et achève de disqualifier ces initiatives, à son sens. L’activiste semble plus proche du combat de ses modèles, qui ont traduit le décolonialisme en combat politique : Cheikh Anta Diop, Sankara, Cabral, Lumumba, Moumié, Modibo Keïta, Lamine Arfang Senghor, Birane Gaye, Assane Samb, morts assassinés ou contrariés de leur vivant… Il ne se sent pas d’affinité naturelle avec la mouvance nouvelle, même si beau joueur, il rassure : « celles et ceux qui ont les mêmes options finiront inexorablement par se retrouver, par bâtir les nécessaires ponts pour l’unité des révolutionnaires africain.e.s ». Sur les responsabilité locales, l’activiste n’est pas très loquace. La condition de la renaissance passe pour lui nécessairement par une rupture avec la France. Même quand il critique les responsables locaux, c’est pour s’en prendre à ceux qu’il appelle les « collabos ou classes soumises ». Il précise sa pensée plus loin en désignant les « classes sociales exploiteuses locales ». On peut s’étonner que l’activiste ne mentionne aucune des problématiques intérieures du Sénégal durant tout l’entretien. Il semble ainsi uniquement accabler la France sans interroger d’autres dimensions locales qui échappent ainsi à son diagnostic, même s’il note pour se défendre que les reproches ne sont pas adressés à la France mais au peuple Sénégalais à qui « il revient d’y mettre un terme ».

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Si Guy Marius Sagna est devenu ainsi une icône du combat anti-impérialiste, il suscite pourtant de vives critiques qui brocardent, avec des mots tranchants : « cette impuissance à grands cris » ou encore « la race éternelle des rebelles ». Ces contradicteurs qui préfèrent l’anonymat, déconsidèrent son combat qu’ils jugent « excessif et irréaliste ». Il est perçu par l’analyste politique sénégalais Barka Ba, comme « l’incarnation d’une nouvelle gauche de combat, voire une figure du populisme ». Ousseynou Nar Gueye, journaliste qui suit son combat, raille gentiment son nihilisme, comme ambassadeur « d’un front du non » pour qui il éprouve cependant une sympathie, même si la formule « France Dégage » le blesse. Il lui reconnaît de ne pas être « à la solde des ONG internationales » et ainsi d’avoir une certaine cohérence. Selon le journaliste, « il pose de bonnes questions mais y apporte des réponses erronées car binaires ». On pourrait rajouter qu’il incarne une figure du courage solitaire, beaucoup de ses admirateurs ne prennent pas part à son combat, curieusement. Un fétiche qui a des soutiens innombrables et tardifs qui ne se traduisent pas en compagnons de lutte.

La décomposition/recomposition de la scène politique sénégalaise – pour reprendre l’idée du journaliste Samba Dialimpa Badji – qui a vu la disparition ou l’éclatement des partis historiques (le PS et le PDS), a laissé un vide. Depuis la lutte anticoloniale et son aboutissement par l’indépendance, le marxisme sénégalais a eu du mal à transmettre son flambeau, à démocratiser son héritage et à inclure une masse de jeunes pour vivifier le legs. La disparition d’Amath Dansokho récemment a encore permis de voir la mort de l’héritage et les mutations dans le militantisme, où les corpus idéologiques qui cimentent les partis, cèdent la place à des aventures solitaires où la personnalité, et les moyens d’activisme et de radicalité, l’emportent sur l’offre politique fédératrice. La bascule d’influence du politique à l’activisme, accélérée par les réseaux sociaux et la promotion des mouvement civils, crée ainsi une scène sans repères historiques, où l’activisme ne se confond pas nécessairement avec le militantisme. C’est dans ce chaos que surgissent des figures comme Guy Marius Sagna : un activiste avec un vrai ancrage, qui assume ses fragilités et ses impuissances mais qui n’abdique pas la lutte. L’homme qui a répondu à nos questions semble pétri de qualités mais il n’est pas infaillible, il dit l’esquisse d’une nouvelle scène, avec ses excès, ses passions, et ses folies, sur toutefois de vieux combats, sans doute éternels, de souveraineté dans un monde qui, lui, s’ouvre dans une tectonique permanente. C’est une figure du patriotisme, mais plus encore, celle de l’amour…du combat. Guy Marius Sagna donne à la formule célèbre de l’ancien président burkinabé Thomas Sankara, « la patrie ou la mort », une éternité, au prix d’une petite nuance : la patrie ou l’amour.

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