Il y a dans le débat entre Boris et Bachir, le dit, un non-dit, un malentendu et une perspective qui se dégage, au sens d’une révolution conceptuelle.
Sur le dit. Boris a dit. Bachir a dit. Presque tout a été dit sur le sujet. Sauf qu’encore que tout ce qui a été dit, ait été compris par tout le monde….Si temps est qu’il n’en est jamais eu, c’est la première fois que Boris et Bachir se montrent à travers leurs écrits respectifs, incisifs et piquants. Ils s’interrogent et nous interrogent, dans leurs choix de leurs éléments de langage. Mais bon bref.
Sur le non-dit. Entre Boris et Bachir, c’est le dialogue entre deux illustres héritiers de deux écoles de pensée : celle de Léopold Sédar Senghor et celle de Cheikh Anta Diop – de la Négritude et de la Francophonie vs du Panafricanisme et des langues africaines. Tant du point de vue culturel (la négritude ouverture vs le panafricanisme fédérateur) que du point de vue philosophique (l’Universel vs les Particularismes) en passant par le point de vue politique (les idéaux de Gauche vs les idéaux de Droite).
Sur le malentendu. C’est la pomme de discorde de toujours, dans la communauté des intellectuels sénégalais, nés dans les années 40 et 50. Et la pomme de discorde est celle-ci : quelle doit être la posture du sachant et/ou du savant, dans la marche de sa propre société ? Neutralité ou engagement ? Dans le champs intellectuel tout comme dans la vie civico-politique.
L’intellectuel, doit-il être un “engagé” et prendre position en défendant un camp ou une cause ? Ou peut-il être “neutre”, voire même centriste, en ne prenant pas position pour aucun camp ? Chez mes chers grands aînés de cet âge et pour la plupart d’entre eux, les rapports de conflictualité et d’adversité de leur époque, à la fois diffuses et apparentes, sont tels qu’il faut, à leurs yeux, voir la vie soit en rouge (Est) ou soit en bleu (Ouest), soit en noir ou en blanc, mais jamais dans les couleurs de l’arc-en-ciel. Point de centrisme, encore moins d’équilibrisme. Il faut choisir. Choisir son camp. S’engager dans la lutte. Mener le combat. Prendre position. Aller au front. A l’abordage…..
C’est ainsi que dans ces deux écoles de pensée, les héritiers vont s’engager chacun.e à sa façon, dans son tempérament et dans son style, dans la lutte qui mérite à ses yeux, d’être menée pour donner un sens à son existence. C’est ainsi que certain.e.s vont se lancer dans la politique au sens de conquête, d’exercice et de transmission du pouvoir d’Etat, d’autres dans les Arts, la Culture et les Lettres, d’autres dans la Société civile et d’autres dans….. la spiritualité et dans le fait religieux. Quand d’autres vont ‘’transmuter/transhumer’’ sur le plan politico-idéologique, de la Gauche ; vers la Droite voire au Centre.
Une perspective, au sens de révolution conceptuelle : Senghor (avec Damas et Césaire), avait mené et bien mené le combat de leur époque des années de l’entre deux guerres mondiale – le combat de la Négritude – en (re)donnant la parole au monde noir, en réhabilitant l’homme noir et ses valeurs. Par le biais des Arts, de la Culture et des Lettres. Et ce leur combat qui fut l’acte fondateur du processus irréversible vers la décolonisation. Cheikh Anta Diop, poussera le bouchon au plus fond de la bouteille. Déjà en 1974, à la conférence du Caire, il renverse la charge de la preuve et crée un secousse sismique mondial : l’Egypte antique est nègre. Mais, bien avant 1974, en 1954, dans “Nations nègres et Culture”, et à propos duquel Aimé Césaire écrit : « … le plus audacieux livre qu’un Nègre ait jusqu’ici écrit et qui comptera à n’en pas douter dans le réveil de l’Afrique » (Discours sur le Colonialisme, 1955), Cheikh Anta nous avait prévenu tout en traçant le chemin pour l’Afrique dans son livre “Les fondements culturels, techniques et industriels d’un futur État fédéral d’Afrique noire” (1960). Hélas !
Senghor et Cheikh Anta, ce fut le combat de la (dé)colonisation et le temps de la guerre froide. La colonisation est finie depuis et la guerre froide est terminée faute de combattants. En cette XXI siècle, nous sommes d’une part, à l’ère de la globalisation qui est à la fois totalité et morcellement et, d’autre part, à l’ère des (nano)technologies qui ont fini de façonner nos rapports, d’abord à soi, ensuite à Nous et enfin aux autres.
Et c’est là qu’un croisement fertile entre la Négritude et le Panafricanisme, par le décloisonnement, pourrait nous conduire vers une révolution conceptuelle, pour qu’une Afrique reclassée prenne le dessus sur une Afrique déclassée et dont les africain.e.s (d’ici et de la diaspora), feront de l’Afrique, leur berceau et le monde, leur lit.
Plus que l’Afrique-les Afriques- c’est le temps des Africain.e.s., qui reprennent petit à petit, leurs destins en main et qui (re)négocient leurs places dans la globalisation. Il y a donc de l’espace dans l’intervalle, pour une possible évolution raisonnée des idéologies et des positions, dans la lutte et dans le combat des ‘’pères fondateurs’’. Pour notre part, ‘’l’enracinement et l’ouverture’’ de l’époque se transmute en ‘’enracinement et enrichissement’’ d’une part et d’autre part, ‘’le Panafricanisme pour un Etat fédéral africain (Etats-unis d’Afrique)’’ se décline en ‘’Panafricanisme pour des Etats Mutualistes Africains (EMA). Pour une mise à niveau avec la marche du monde.
La révolution conceptuelle-croisement fertile entre la Négritude francophilie et le Panafricanisme Etat fédéral, est donc un discours de l’altérité et de la différence. Du contenant (l’Afrique-Les Afriques) au contenu (les Africain.e.s).
Merci à Boris et à Bachir, d’ouvrir la perspective pour une révolution conceptuelle.