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Racismes, Ne Plus Jouer Avec Les Mots

La dernière université d’été de La France insoumise (LFI) a relancé, suite à une intervention d’Henri Peña-Ruiz, la polémique autour de l’islam. L’islamophobie serait-elle un rejet de l’islam en tant que religion ou un rejet des musulmans ? On pourrait poser la même question sur la judéophobie : haine du judaïsme ou haine des juifs ? Il est vrai que dans ce dernier cas, on n’ose pas trop le faire…

Le mot «antijudaïsme», pourtant, existe bien. Il désigne une haine religieuse du juif repérable dès l’Antiquité, qui a dominé la société d’Ancien Régime mais qui a considérablement détérioré, concrètement, la condition juive. Face au christianisme, religion du «vrai Israël» spirituel, se serait trouvé le judaïsme, porté par un «Israël charnel» prétendument déchu, incapable de reconnaître la messianité et la divinité de Jésus. Peuple «déicide» qui payera lourdement le tribut de cette infériorité…

Alors, l’«islamophobie», rejet de l’islam ou rejet des musulmans ? Les deux. Comme la judéophobie est à la fois haine du judaïsme et haine des juifs. L’ambiguïté persiste dans le cas de l’islamophobie sans doute parce qu’il n’existe pas un autre terme se référant spécifiquement à la religion, comme ce fut le cas de celui d’antijudaïsme. Mais aussi en raison de la réalité concrète ordinaire à laquelle le mot renvoie, qui est en fait un rejet du musulman plutôt que de l’islam.

Le racisme antimusulman contemporain s’enrichit d’un autre amalgame avec la figure du migrant récent ou actuel. Si l’immigration actuelle était composée de migrants d’origine chrétienne, on peut penser que l’opposition de la population française à ces vagues de migrants aurait été moindre.

Il va de soi qu’on peut critiquer l’islam comme n’importe quelle religion. Curieusement, pourtant, c’est l’islam, et d’abord lui, qui est aujourd’hui critiqué et non le bouddhisme ou le catholicisme, etc. Encore moins le judaïsme et cela pour des raisons historiques bien précises. Après la Shoah, ce n’est tout simplement plus aussi simple. Ceux qui se hasarderaient à le critiquer trop violemment savent à quelle accusation ils s’exposeraient : celle d’antisémitisme, tout simplement.

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Qu’on passe au tamis de la critique certaines pratiques et certains discours de l’islam d’aujourd’hui devrait être considéré comme possible et légitime dans un pays laïc dont la loi de 1905 appelle au respect de tous les cultes sans en reconnaître aucun. Les attentats terroristes et leurs répercussions désastreuses ont nourri cette critique. Mais les polémiques autour de l’islam et des musulmans – port du voile, prières de rue, burkini – datent d’avant ces attentats.

Un islam d’Europe va bien finir par se construire. Mais pour qu’il se construise sans trop de heurts, encore aurait-il fallu depuis longtemps œuvrer à endiguer les discriminations, les humiliations et le racisme antimusulman qui sévissent dans nos territoires. Aucune réforme concernant l’organisation du culte musulman n’a vraiment abouti. Parce que les pratiques sont déjà ancrées, avec ses poches de racisme systémique dans la société et au sein même des différentes strates de l’Etat. Même s’il n’y a pas, en France, d’islamophobie ou de racisme d’Etat ouvertement institué.

 

Lorsque Lilian Thuram a évoqué le complexe de supériorité qui traversait les supporteurs blancs dans les stades, il ne se doutait pas, quant à lui, de l’ampleur de la levée de boucliers qu’il susciterait. Des protestations incroyablement nombreuses ont fusé pour dénoncer la prétendue essentialisation du groupe «blanc» commise par l’ancien footballeur. Des dénonciations bien tonitruantes au regard de l’indifférence suscitée par les manifestations racistes qui faisaient l’objet des commentaires de Thuram.

Depuis des décennies, les joueurs de football noirs sont exposés à toutes sortes de vexations racistes allant des cris de singes au lancer de peaux de bananes en passant par des injures racistes. Etrangement, alors que jamais ces agissements inadmissibles n’ont mobilisé une telle énergie, il a suffi d’évoquer la position dominante des personnes blanches dans la hiérarchie raciale pour que de toutes parts l’on accuse Thuram de racisme… anti-Blancs !

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Le racisme ne se résume pas à des interactions individuelles désobligeantes, il s’agit d’un système découlant d’une histoire. La place des minorités en France est conditionnée par un passé colonial et esclavagiste, elles ont fait l’objet de théories raciales qui les ont mises dans une condition d’infériorité. Cette condition se traduit aujourd’hui par un traitement structurellement inégalitaire dans l’accès à des biens ou à des services (logements, emplois…) et dans le traitement institutionnel (contrôles au faciès, situation des outremers…).

Si des personnes blanches peuvent être exposées à des déconvenues du fait de leur appartenance, ce qui est tout à fait condamnable, elles ne sont désavantagées ni politiquement ni socialement par le fait d’être blanches. On ne peut en aucun cas comparer la position de personnes qui subissent un racisme protéiforme et systémique et peuvent se voir questionner quant à la légitimité de leur présence sur le sol français, avec une interaction – si malheureuse soit-elle – qui s’inscrit dans un rapport strictement interpersonnel.

Lorsque Lilian Thuram évoque un complexe de supériorité, il fait écho au fait que la société est organisée pour conforter les personnes blanches dans l’idée qu’elles sont la norme. En réalité, cet engouement pour la notion de racisme anti-Blancs masque la volonté de minorer la réalité du racisme en France et de concevoir un bloc de solidarité entre les personnes qui sont placées au sommet de la pyramide raciale et qui, qu’elles le veuillent ou non, en sont les bénéficiaires. Comme l’invocation d’une laïcité déformée, visant à exclure des minorités religieuses de la sphère publique, l’invocation du racisme anti-Blancs est un mécanisme de préservation visant à stigmatiser les minorités pour mieux ignorer leurs problématiques. C’est aussi le moyen de les présenter comme des menaces pour la majorité.

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Qui croit vraiment qu’une religion ou une population minoritaire puisse un jour dominer l’espace public ou que des minoritaires, arabes, musulmans ou noirs puissent jamais accaparer le pouvoir ? Tout cela est surtout la traduction d’une angoisse profonde, celle de voir une identité nationale fantasmée se dissoudre au profit de groupes dont on imagine qu’ils sont structurés dans une optique de «grand remplacement».

C’est surtout le constat de la perte de privilèges. Il n’est aujourd’hui plus possible de se soustraire aux discours antiracistes portés par les minorités, ce confort qui permettait de balayer leurs revendications d’un revers de main est aujourd’hui remis en question. Et au lieu d’être entendus, ces questionnements sont rejetés, critiqués. Et chacun croit pouvoir jouer avec les mots pour s’épargner la confrontation au réel.

Rokhaya Diallo journaliste et réalisatrice , Esther Benbassa directrice d’études à l’EPHE (Sorbonne), sénatrice de Paris







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