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Masalik Al-jinan Et La Longue Marche De La Mouridiyya à Dakar

Le 27 Septembre 2019, la communauté mouride, en solidarité avec les musulmans du Sénégal et la Oumah islamique, inaugure la majestueuse mosquée Masalik al-jinan à Dakar. Cette occasion qui offre l’opportunité de donner un bref aperçu sur l’histoire de la Mouridiyya dans la capitale du Sénégal et ancienne capitale de l’Afrique occidentale française (Aof). Un tel aperçu permet de situer l’évènement phare d’aujourd’hui dans la longue marche pour la construction d’un espace mouride à Dakar.

L’histoire de la Mouridiyya à Dakar commence avec le premier séjour de Shaykh Ahmadou Bamba dans cette cité en 1895. En route vers le Gabon, où il passera plus de 7 ans de sa vie en exil, le Shaykh arrive à Dakar dans la soirée du 18 septembre. Il quittera la ville trois jours plus tard, le 21. Shaykh Ahmadou Bamba foulera le sol de Dakar de nouveau le 11 novembre 1902, de retour du Gabon. Ces deux courts séjours ont donné naissance à plusieurs lieux de mémoire de la Mouridiyya à Dakar et sont commémorés à travers deux magals célébrés près du port de Dakar et au marché Sandaga. Le troisième et dernier séjour du Shaykh à Dakar se déroule en mars-avril 1921 lorsqu’il a été invité par le Gouverneur général de l’Afrique occidentale pour une consultation.

Entre les séjours du Shaykh en 1895, 1902 et 1921, la présence de la Mouridiyya à Dakar est devenue graduellement plus significative. Shaykh Ibra Faal et Shaykh Anta Mbakke ont joué les premiers rôles dans ce processus. Le leader des Baay Faal était propriétaire de plusieurs maisons à Dakar, Thiès et Saint-Louis. Vers 1910, il avait un pied-à-terre dans le quartier de Lambinaas situé dans la zone du plateau à Dakar. Ses talibés avaient également une présence sur la zone longeant l’avenue Lamine Guèye connue aujourd’hui sous le nom de Pakku Lambaay. Du fait de ses démêlés avec l’administration coloniale, les Français ont empêché l’installation de disciples de Maam Shaykh Anta au niveau de certaines villes, mais il était propriétaire de maisons à Dakar. Un document d’archives datant de 1912 nous informe qu’il a acheté une maison d’un coût de 30,000 Francs à Dakar. Il est probable qu’il était propriétaire d’autres maisons dans la capitale de l’Aof.

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La migration des disciples mourides à Dakar devient perceptible après l’installation de Shaykh Ahmadou Bamba à Diourbel en 1912. Elle a d’abord pris la forme d’une migration saisonnière. Les disciples, dont la plupart étaient des cultivateurs, passaient la saison sèche à Dakar où ils s’adonnaient à des travaux manuels. Ils retournaient à leurs champs dans le Bawol, le Kajoor et le Saalum avant la tombée des premières pluies en juin.

C’est après la fin de la deuxième guerre mondiale que les mourides ont commencé à se sédentariser en masse à Dakar. Cette vague d’immigrants permanents était composée principalement d’artisans et de salariés travaillant dans le secteur formel et informel de l’économie, mais occupant des postes subalternes parce que n’ayant pas bénéficié d’une scolarisation poussée. Avec l’avènement de l’indépendance en 1960, et surtout les sècheresses des années 1970, l’immigration mouride à Dakar s’accéléra, et cette fois-ci les commerçants formeront la majorité des migrants. Gra­duellement, ils émergeront comme la force dominante au marché Sandaga. L’adminis­tration coloniale concevait Sandaga comme un marché de viande et de légumes, dédié aux classes moyennes africaines qui n’avaient pas accès au marché Kermel réservé aux Blancs, mais à partir des années 1960, les marchands mourides transformeront le marché en une sorte de bazar pour la vente de divers produits importés. Ces mourides travaillaient en ville mais la plupart d’entre eux vivaient dans les quartiers périphériques de Yaraax, Daaruxaan, Pikine et dans le village traditionnel de Ouakam. Quelques Shaykh mourides, comme Seriñ Shaykh Gaynde Faatma et Seriñ Moodu Maamun avaient des maisons dans la Médina, Grand Dakar, au niveau des Sicap et au Plateau. Kër Seriñ bi situé au 70 Avenue Blaise Diagne continuait d’être le quartier général de la communauté mouride à Dakar.

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Avec la massification progressive, l’organisation de la communauté mouride de Dakar devint un impératif. Les dahiras seront à la pointe des efforts d’organisation. Le premier dahira mouride à Dakar a été fondé en 1948 dans la maison de Gumalo Seck dans la Médina. Ce dahira fit face à l’hostilité de l’administration coloniale qui, au nom de la laïcité de la République mais surtout à cause du mépris qu’elle avait pour la Mouridiyya, considérée comme une organisation obscurantiste opposée à la mission française de civilisation, va s’ingénier à bloquer ses activités, dispersant les réunions des disciples et leur refusant l’autorisation d’organiser des manifestations religieuses dans la capitale du Sénégal. Les dahiras serviront comme des lieux de consolidation de l’identité des disciples mourides récemment urbanisés et comme un cadre pour la défense et promotion de leurs intérêts professionnels.

Les archives nous apprennent que c’est en 1953 que le bureau du lieutenant-gouverneur de la colonie du Sénégal a accordé à la communauté mouride de Dakar l’autorisation d’organiser les prières collectives de la Korité et de la Tabaski au niveau d’une place publique située à Bopp. Cette attribution a été faite à la suite d’une demande introduite par le représentant du calife général des mourides, Seriñ Falilu Mbakke, dans la région de Dakar. A ma connaissance, ceci marque la première fois que les disciples mourides ont officiellement bénéficié d’une permission pour l’utilisation de l’espace public à des fins de pratiques cultuelles. La place connue sous le nom de Guy Senghor sera rebaptisée Tuubaa Guy Senghor par Seriñ Falilu. A la suite de son accession au califat, Shaykh Abdul Ahad donna l’ordre aux Mourides d’adopter le nom Masalik al-jinaan pour la place. Ces changements de nom indiquent une volonté consciente d’appropriation de l’espace en lui procurant une identité mouride.

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Pendant les dernières décennies, la présence mouride à Dakar s’est renforcée de façon considérable. Elle est non seulement visible sur le plan démographique et sur le plan économique, avec la domination des entrepreneurs mourides dans le secteur informel et les petites et moyennes entreprises, mais également sur l’occupation de l’espace. Il y a maintenant plusieurs rues, écoles, quartiers, cités et places publiques portant le nom de Shaykh Ahmadu Bamba, de dignitaires mourides, de villages mourides, ou d’évènements liés à l’histoire de la Mouridiyya. La construction de la mosquée Masalik al-Jinan apparait donc comme le couronnement d’une longue marche en avant de la Mouridiyya à Dakar.

Cheikh Anta BABOU Ph.D

Professor of history, University of Pennsylvania

Est l’auteur du livre : Le jihâd de l’âme : Ahmadou Bamba et la fondation de la Mouridiyya du Sénégal, 1853-1913

(Karthala, 2011).

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