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La Problématique De La Révision Des Contrats Extractifs

La Problématique De La Révision Des Contrats Extractifs

La concession à Petro Tim par l’Etat du Sénégal des blocs gaziers de Saint-Louis et Cayar a poussé des Sénégalais de l’intérieur et de la diaspora à réclamer la révision de ces contrats qu’ils considèrent comme non conformes à l’intérêt national. Cette revendication politique, qui met en cause la responsabilité des gouvernants, a installé une polémique entre partisans et adversaires du pouvoir qui ne cesse d’enfler et qui se manifeste au quotidien dans les colonnes des journaux, sur les plateaux de télévision ou à bout d’ondes et d’antennes. Mais cette question n’est pas seulement politique. Elle est aussi juridique. Est-il alors possible de réviser les contrats pétro-gaziers ? On peut dans tous les cas constater que ces joutes d’opinions ont surtout une saveur idéologique et partisane, mais mettent rarement en avant un argumentaire juridique et politique pouvant aider à répondre à cette question. Si du point de vue juridique et formel il y a deux parties signataires de ce type de contrat, en réalité ce dernier met en jeu la responsabilité de trois acteurs : le gouvernement, l’investisseur et la communauté. L’examen de cette triple responsabilité permet d’avoir une vue globale du champ contractuel qui doit assigner à chaque acteur des droits et obligations majeurs.

L’Ocde, organisme multilatéral regroupant pas moins de 127 pays et véritable laboratoire d’idées pour la bonne gouvernance, tenant compte des intérêts majeurs de chaque acteur, a identifié et validé, sur une base consensuelle, huit principes directeurs qui doivent sous-tendre la rédaction des contrats miniers. Nous les exposerons dans l’optique de mettre en évidence leur pertinence et de voir dans quelle mesure les contrats signés avec Petro Tim par l’Etat respectent ou non ces standards internationalement admis, sans nous écarter toutefois du consensualisme, c’est-à-dire de l’accord de volonté entre parties qui demeure le moteur du droit contractuel. Ce sera donc sous ce double prisme qu’on essayera de répondre à la question posée à l’entame de cette réflexion.

A/Huit principes directeurs pour la rédaction des contrats extractifs durables

1/le principe d’articulation du secteur extractif aux objectifs globaux de développement durable.

Le contrat extractif doit être conçu dans le cadre d’une vision globale en s’appuyant sur une stratégie définie dans le long terme par le gouvernement hôte qui doit articuler son secteur extractif aux objectifs globaux de développement durable.

2/le contrat doit reposer sur une relation transparente de partage des objectifs et des attentes sur toute la durée du projet.

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Ce principe signifie que le contrat durable est bâti sur une relation qualitative de partage de l’information, un partenariat opérationnel entre gouvernement, investisseur et communauté dans toutes les phases du projet. La transparence est ici essentielle.

3/ La prise en charge des intérêts légitimes de chaque partie dans le respect du droit international et du droit national applicables.

Le contrat durable prend en charge les intérêts légitimes du gouvernement hôte, de l’investisseur, mais aussi les préoccupations spécifiques des populations locales et dans le respect du droit international et de la législation nationale. Cette dernière exigence est importante, car il peut exister des cas où une disposition contractuelle viole la légalité internationale ou nationale.

4/ le principe de sécurité, de précaution, de prise en charge et de réparation des conséquences négatives du projet.

Le contrat durable doit non seulement tendre au développement économique et social, mais tenir compte des conséquences de l’activité sur l’environnement, la santé, la sécurité des populations en établissant clairement les responsabilités du gouvernement et de l’investisseur dans la prévention, la mitigation et la détermination des impacts en concertation avec les populations affectées.

5/ le principe de partage des informations techniques et financières Le contrat extractif durable repose sur une négociation fondée sur le partage des informations techniques et financières pour construire la même compréhension de la performance, des risques majeurs et des opportunités sur toute la vie du projet. Les clauses de confidentialité sont en principe étrangères aux contrats miniers, même s’il existe un grand nombre qui s’en prévalent. Dans le même ordre d’idées, toute rétention de l’information, surtout dans les situations d’asymétrie scientifique et technique qui caractérisent cette activité, est prohibée.

6/ le principe du respect de l’Etat de droit.

Le contrat durable est conclu dans un climat des affaires où prévaut l’Etat de droit ; c’est-à-dire un cadre juridique équitable, clair et transparent. De ce point de vue, les litiges qui pourraient naître recevraient un traitement judiciaire approprié parce qu’équitable.

7/le principe de révision : La possibilité de révision est-elle même un principe consacré par l’Ocde.

Le contrat durable doit respecter les lois du pays hôte tout en prévoyant des possibilités d’adoption de lois ou régulations nouvelles et même de politiques nouvelles, à condition qu’elles ne soient pas arbitraires, qu’elles soient conformes aux standards internationaux, aux bonnes pratiques généralement admises en industrie et qu’elles tiennent compte de la possibilité de contre-performance dans tout projet.

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8/ Le principe de régime fiscal équitable

Le contrat durable est assorti d’un régime fiscal équitable entre le gouvernement hôte et l’investisseur. Il s’agit d’un régime fiscal qui tienne compte des risques et des gains possibles et qui admette la possibilité de renégociation des incitations pour chaque partie et qui autorise le prélèvement des recettes fiscales dès la commercialisation de la production.

Il faut toutefois noter que pour l’Ocde, il n’y a pas de hiérarchie entre ces principes et qu’il est possible de les améliorer de manière consensuelle dans le cadre d’une revue périodique.

En réalité, ces principes forgés par l’Ocde ne font que traduire de façon pratique toute la philosophie du droit des contrats qui repose sur le consensualisme. Il n’est donc normalement dans l’intérêt d’aucune des parties de s’emmurer dans une forteresse juridique qui coule dans le marbre toutes les dispositions contractuelles ; même si pour des raisons de sécurité juridique on recourt à certaines clauses de stabilité.

De façon générale, en droit des obligations, le contrat à force de loi entre les parties. Il existe néanmoins des causes de nullité de contrat, telles le dol, la violence ou l’erreur. Dans le droit des conventions impliquant l’Etat, les contrats sont rarement frappés de nullité, sauf dans les cas de motifs extra-juridiques. Il est cependant fréquent que ces contrats fassent l’objet de révision partielle sous la forme d’avenants, de révision générale ou même plus radicalement d’abrogation, l’Etat pouvant faire valoir l’argument de sa souveraineté politique.

B/ Quels enseignements tirer de ces principes

Il apparaît clairement, à l’exposé de ces principes, que tous les contrats sont en principe révisables. Mieux, toute clause de nature à s’opposer à cette possibilité viole par essence même la notion de contrat. Dans l’hypothèse où toutes les parties sont de bonne foi et qu’elles se sont donné les moyens de négocier à armes égales, le contrat acquiert alors force de loi entre les parties. Nul ne pouvant se prévaloir de ses propres turpitudes, il appartient à chaque partie de s’offrir les moyens de ses ambitions. Mais il existe, comme nous l’avons vu à travers les principes énoncés, de nombreux cas qui peuvent légitimement pousser soit à réviser un contrat, même si au demeurant aucune clause ne l’a prévu, soit à l’abroger purement et simplement. Il peut en être ainsi en cas de dissimulation d’une information ayant un impact significatif dans le projet. Par impact significatif, il faut entendre toute information dont l’ignorance par une partie peut entraîner une rupture d’égalité. C’est ce contre quoi tente de lutter le principe exposé au 2.

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La méconnaissance ou la violation des intérêts majeurs d’une partie par une autre, la violation d’une loi nationale ou internationale par une partie peuvent entraîner la révision du contrat. C’est ce que stipule le principe énoncé au 3.

La non-prise en compte des intérêts légitimes des populations, leur non implication dans des projets qui les impactent ou le refus de les dédommager en cas d’impacts négatifs, la violation du principe de sécurité sont autant de raisons pouvant entraîner la révision d’un contrat (principe exposé au 4).

A la lumière des principes Ocde dégagés au 3 et au 8, et considérant la violation répétitive de notre Code pétrolier et de notre Code général des impôts que j’ai démontrée à suffisance dans des productions antérieures (1), la révision du contrat entre l’Etat et Petro Tim  serait légitime, légale et politiquement fondée. Mais il faut bien comprendre que si l’Etat, en tant que personne morale de droit, représentant le Peuple est de jure fondé à réviser ce contrat, il ne peut le faire que par le gouvernement actuel. Nul ne pouvant se prévaloir de sa propre turpitude, l’actuel  gouvernement qui incarne l’Etat ne saurait invoquer le moyen d’avoir violé sa propre légalité pour solliciter la révision de ce contrat. Une telle attitude équivaudrait non seulement à de l’autoflagellation, mais également à la reconnaissance d’une carence politique aux conséquences incalculables. Cette faculté reste cependant ouverte dans le cas de changement de régime.

(1) : affaire Petro Tim : un pavé dans la mare de la République, article paru le 14 juin 2019 dans la plupart des quotidiens du pays et encore dans la presse en ligne.

 Cheikh GUEYE

Inspecteur des impôts,

Expert en politiques publiques de développement

Formateur certifié par l’Ocde en prix de transfert.

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