Le premier but de l’Islam est la construction d’une communauté musulmane qui croit en Dieu, et ce, par la science et la pratique du bien. L’endroit qui conduit à cette excellence est la mosquée, lieu de convergence et de prières des croyants. Si le rituel le plus apparent de la mosquée est la prière, l’adoration, la glorification et l’imploration de Dieu, sa mission première est l’enseignement de la conduite et de la dignité, aux gens, dans ce monde et de leur faire connaître leur récompense dans l’autre. La mosquée indique le « siratoul moustaqim » d’une vie spirituelle intense qui confère la paix et le salut. Elle fait progresser les fidèles chaque jour dans la bonne direction indiquée par le Seigneur.
C’est dire que la mosquée jouit indubitablement d’une place privilégiée et d’une influence importante dans la pratique de la religion musulmane. Elle est une maison de culte, une école de prédication et un creuset de connaissances. C’est pourquoi l’islam exhorte à construire des mosquées, à les fréquenter et à en prendre soin, promettant en contrepartie les rétributions généreuses de la part de Dieu. Et cela est mis en relief par les propos de Mohamed, prophète de l’Islam à travers les hadiths suivants : « Quiconque construit une mosquée en quête de la Face de Dieu, Dieu lui construira une maison au Paradis » ; « Mes Maisons sur terre sont les Mosquées et mes visiteurs sont les fidèles qui les remplissent. Il sera mieux pour un serviteur de se purifier dans sa maison, et de visiter la Mienne car Dieu veut honorer son visiteur ». Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du Mouridisme et serviteur du Prophète, était tellement conscient de cela que sa première volonté en fondant Touba était d’y ériger une mosquée qui serait le refuge des âmes pures. « Rien en ce monde ne m’intéresse comme la construction de cette mosquée », avait-il déclaré en 1926, c’est-à-dire un an avant sa disparition. Son vœu a été exaucé puisque son fils Mouhamadou Moustapha a commencé les chantiers de la mosquée de Touba en 1932 et son autre fils, Serigne Fallou, deuxième khalife du mouridisme, l’a achevée en 1963. Depuis lors, ce majestueux édifice construit sur une superficie de 8790 m2 ne cesse de prendre de l’ampleur avec les différents travaux de modification effectués régulièrement par les différents khalifes.
Massalik Al Jinân, refuge des âmes pures
56 ans après l’inauguration de cette maison de Dieu, une autre presque de la même dimension voit le jour au sein de la capitale de notre pays. Il s’agit de Massalikoul Jinane construite sur une superficie de six hectares et presque sur le même modèle que celle de Touba. Une pareille mosquée, fruit de la technologie moderne, change radicalement le paysage urbain et modifie la sociologie du quartier de Colobane qui l’abrite. Elle comporte un complexe religieux qui comprend une grande salle principale de prières de 7 000 places, une autre plus petite (pour les femmes) de 3 000 places, une grande esplanade aménageable pour 20 000 personnes (pour les jours de grandes manifestations). A terme, elle abritera un institut islamique avec une salle de conférences de 2 200 places ainsi qu’une vaste résidence pour le Khalife et ses éventuels hôtes. L’étude du contenu du livre de « Massalik Al Jinane » suffit pour montrer l’universalité de l’œuvre du Cheikh. C’est un condensé du « Hâtimat-attasawwuf », (le complément du soufisme) de Mohamad Al Deymani, du «Al dahab al ibrïz » (l’or pur) et du « Junnat Al Murid » de Muhammed Al-Kunti. C’est dire que l’œuvre du Saint homme est un carrefour de la quintessence d’ouvrages de grands penseurs.
Dans la même trajectoire que l’œuvre éponyme, Massalik Al Jinân construite à quelques encablures de la stèle qui symbolise notre souveraineté — la Place de l’Obélisque ou Monument —se veut un pôle de convergence pour toute la Ummah islamique et de confluence pour tous les musulmans de toutes les obédiences. En entamant la rédaction de son œuvre, Massalik Al Jinân (Itinéraire des Paradis), Cheikh Ahmadou Bamba avait formulé dans le préambule une prière à l’endroit de son Seigneur : « Que cet ouvrage nous procure les deux lumières par la Grâce et la Clémence d’Allah, dans ce monde et dans l’autre ! Qu’Allah Très-Haut nous procure davantage la droiture, la connaissance ésotérique et l’inspiration, grâce à cet ouvrage. » Le khalife Serigne Saliou Mbacké, en entamant ce projet cultuel et culturel en 2005, avait formulé les mêmes prières pour la mosquée Massalikul Jinane. Aujourd’hui, l’actuel khalife Serigne Mountakha Mbacké, finisseur de l’œuvre de 5e khalife de Serigne Touba, peut répéter ces vers contenus dans l’épilogue de l’œuvre poétique les Itinéraires du Paradis. Après avoir fini la rédaction de Massalik Al Jinane, le Cheikh avait remercié Dieu en ces termes : « Nous avons réalisé une bonne fin ici pour notre ouvrage, nous prions Allah d’en faire de même pour notre vie. Par Sa Grâce et par Sa Générosité, par Sa Bonté, Sa Mansuétude rayonnante Massalik Al Jinân a pris fin ici, par la Grâce de notre Seigneur Munificent. Louange à Allah qui nous a permis de terminer notre ouvrage qui nous avait tant préoccupé. ».
Massalik Al Jinane, victoire éclatante
Aujourd’hui, sans verser dans des parallélismes anachroniques, on peut dire que Massalik Al Jinane est une victoire de Bamba sur les colons qui, lors de la période de domination, se sont beaucoup employés à anéantir son projet expansionniste de l’Islam. Mais rien n’y fit ! « J’ai reçu de mon Seigneur l’ordre de mener les hommes vers Dieu, le très haut. Ceux qui veulent prendre cette voie n’ont qu’à me suivre », exhortait le saint homme. Grâce à son charisme et à son érudition, l’islam s’est renforcé et s’est bien propagé au Sénégal et même au-delà. Se basant sur le potentiel idéologique de l’islam, Serigne Touba a réalisé l’émancipation culturelle, religieuse, politique et économique du peuple sénégalais. Les nombreuses foules qu’il drainait lui ont valu de fausses accusations venant de chefs royaux dont les sujets étaient devenus ses talibés.
A cela s’ajoute la méfiance que les colons ont toujours nourrie vis-à-vis du saint homme. Cette situation de peur et de crainte conduit les colons à l’éloigner du Sénégal. Ainsi, en vertu de l’article 4 du décret du 30 septembre 1887 relatif aux pouvoirs disciplinaires des administrateurs coloniaux, ils ont décidé de l’exiler et de l’interner administrativement pour quelques années au Gabon où ses prédications n’auraient plus aucun effet sur les populations. C’est ainsi que Cheikh Ahmadou Bamba est arrêté le 10 août 1895 à 14 h, présenté devant le Conseil privé de l’AOF le 5 septembre suivant, qui prononce sa déportation au Gabon où il est resté sept ans durant. « Traduit au palais du gouverneur de Saint-Louis, Cheikh Bamba répondit à tous les griefs en accomplissant une prière dans la salle du Conseil et en remettant au gouverneur la sourate Ikhlass relative à l’Unicité de Dieu. De cette manière, il réaffirma sa conviction que, quelles que puissent être la force et la puissance d’un pouvoir terrestre, personne ne pouvait se comparer à celle de Dieu. L’éminente autorité d’Allah fait de Lui le seul vrai souverain. L’homme est donc créé pour l’adorer et l’attester seigneur unique », rapporte feu Mbaye Guèye, maître de Conférences à l’Ucad dans un article paru dans les Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines en 1995. La captivité gabonaise se transforme en victoire, le retour triomphal du Cheikh dans son pays en 1902 en témoigne. Face à cette situation, le pouvoir colonial l’exile à nouveau, dès 1903, en Mauritanie, à Guet-el-Ma, auprès de Cheikh Sidya où il reste de 1903 à 1907. Ces épreuves qui l’ont éloigné de ses fidèles, plutôt que d’amoindrir son influence, ont été des occasions de mobilisation et de propagation du message du Cheikh. C’est l’échec du colon dans sa volonté d’anéantir le projet islamique du Cheikh pour ne pas dire la victoire de la Lumière sur l’obscurité, de la Vérité sur le mensonge.
Dans la sourate 48, Al-Fath, qui signifie la Victoire éclatante, Dieu s’adresse à Mohamed (PSL) en ces termes : « En vérité, Nous t’avons accordé une victoire éclatante ». Cette sourate évoque la victoire de la tribu de Mahomet (PSL) sur ses ennemis, victoire attribuée à la soumission de cette tribu à Dieu tout autant qu’à la mécréance de ses adversaires. Aujourd’hui, il est permis de dire de la même façon que Dieu a accordé encore une victoire éclatante à Cheikh Ahmadou Bamba avec la réalisation de cette superbe mosquée de Masssalik Al Jinane qui trône au milieu de la capitale et qui vient défier le projet colonialiste tendant à circonscrire l’Islam. Massalik Al Jinane est une réponse victorieuse au projet d’anéantissement du mouridisme par le colon. Ce dernier avait fortement pensé que la disparition de Serigne Touba allait disloquer sa confrérie en de multiples pôles de décision où chacun de ses fils, de ses frères et de ses adeptes voudrait être l’héritier légitime. Ce qui ne s’est jamais produit (malgré quelques tentatives au tout début de la disparition du fondateur du mouridisme) puisque le centre décisionnel demeure toujours le khalife choisi en vertu du droit de primogéniture. Aujourd’hui plus que jamais, le combat entre Serigne Touba et les colons continue à travers la prolifération des talibés et des œuvres culturelles et cultuelles. Et Masssalikoul Jinane en est la dernière preuve patente.