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L’hÉritage De Mandela Face À La XÉnophobie Sud-africaine

La xénophobie en Afrique du Sud, serait-elle devenue cyclique ou pire, une ritournelle dont usent certains sud-africains pour exprimer leur désespoir face au chômage, au bas niveau de vie ou même simplement à la pauvreté endémique dans les « townships » ? Depuis 2008, de pareilles tensions se répètent de manière pernicieuse dans cette société arc-en-ciel. Quand le ministre sud-africain de la Police Bheki Cele, croit que les actes posés par ses concitoyens sont plus criminels que xénophobes, le Nigéria lui, pose un acte à enjeu diplomatique en faisant rapatrier des centaines de ses ressortissants dont les commerces et autres activités ont été vandalisés par les émeutiers. En réalité, quelle que soit la nature des actes, les immigrés noirs ne se sentent plus en sécurité en Afrique du Sud.

Partout, on a tendance à rappeler à l’Afrique du Sud qu’il y a à peine 25 ans tout le continent la soutenait pour qu’elle sorte de l’Apartheid. Il y a à peine 25 ans, beaucoup d’artistes musiciens chantaient pour la libération de Mandela et de son peuple opprimé. Aujourd’hui, à peine 25 ans après la fin de l’Apartheid, on boycotte des rencontres inscrites dans l’agenda continental parce qu’elles se tiennent en Afrique du Sud «devenue » xénophobe. L’on pose la question en écarquillant les yeux : est-ce bien le pays de Nelson Mandela ? Pour des raisons économiques, dit-on, les sud-africains ne supportent plus la présence des immigrés qui, pourtant  hier seulement se sont battus à leur côté pour le respect de leurs droits fondamentaux et de leur dignité humaine.

En 25 ans, seraient-ils devenus amnésiques, ou sont-ils simplement ingrats au point de ne vouloir partager leur émergence économique, qui attire leurs voisins ? Qu’ont-ils vraiment fait de l’héritage de Nelson Mandela qui, pour permettre cette émergence économique a pardonné et commencé à travailler dès la fin de l’Apartheid, évitant ainsi des représailles sur le « blanc » oppresseur.

N’était-il pas suffisamment panafricain, Nelson Mandela, pour que son héritage si humain prenne le dessus sur le mal être de la jeunesse ? Ou bien les sud-africains d’aujourd’hui pensent que le panafricanisme est plus une idéologie politico-culturelle et moins une intégration socio-économique? 

Liberté, démocratie, pauvreté !

Essayant de trouver des réponses à toutes ces interrogations, je me suis  rappelée  l’Afrique du Sud, la terre de Mandela, pays arc-en-ciel, a aussi et surtout la particularité d’être une société post-conflit dans laquelle, 25 ans après tout est en pleine reconstitution. Ce conflit a laissé des traces, que dis-je ? Plutôt des stigmates à impact considérable dans les lendemains de ce pays. Rappelons juste une chose, la guerre et les conflits armés en général causent des pertes physiques, économiques, culturelles et cultuelles mais aussi et surtout des dégâts sur le plan mental des principales composantes de la société.  Gustave Le Bon disait à propos des premières conséquences de la guerre mondiale « La sombre catastrophe dont l’Europe est le théâtre n’atteint pas seulement l’existence matérielle des peuples, mais encore leurs pensées. Beaucoup d’illusions tenues pour des certitudes s’évanouissent. Des théories, jadis sans prestige, deviennent des vérités éclatantes. Le bloc des traditions se désagrège. D’antiques assises de la vie sociale s’effondrent. Tout a changé ou va changer… *

Ce dérèglement de la société qu’a décrit Gustave Le Bon, entraîne plusieurs conséquences que l’on peut mesurer sur l’organisation familiale, économique, politique et, qui nécessitent des stratégies efficaces de consolidation de la paix acquise. En Afrique du Sud, le « Pardon » développé comme nouveau véhicule du vivre ensemble par Nelson Mandela et Desmond Tutu à travers les CVR*, est l’une des stratégies de consolidation de la paix qui y a facilité une transition sociétale. D’une oppression des noirs on est arrivé à leur liberté suivie d’une égalité de toutes les (races/ethnies) composantes de cette société. Cette nouvelle conception d’une Afrique-du-Sud multi-race dans le respect des droits de tous, a évité un cycle de conflits armés à tour de force dirigeante. Ce qui pourtant, était craint ou attendu par les blancs si on s’en réfère aux chiffres. En effet, après l’élection du président Mandela en 1994, «entre 100.000 et 300.000 sud-africains blancs auraient quitté  leur pays»*. Selon l’Institut Sud-africain de Relations Raciales, entre 1995 et 2005 environ 841.000 sud-africains blancs ont  aussi quitté le pays*, même si ces derniers départs sont considérés comme du «brain-drain», il n’est pas injuste de penser que la peur de représailles a poussé les blancs à l’exile.

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Malgré ces départs, conséquences de la réorganisation d’une société post-conflit, l’Afrique du Sud a réussi sa transition politique. Du moins, jusqu’à l’ère Zuma (déboires : mœurs et corruption). C’est un pays libre et démocratique malgré certaines crises internes à l’ANC parti au pouvoir. L’ANC est arrivé au pouvoir à la suite d’élections libres qui ont enregistré la participation des noirs qui faisaient ainsi valoir leurs droits civils et politiques pour la première fois. L’ère de la liberté venait ainsi de souffler. La démocratie aussi s’est installée dans ce pays où désormais on respecte le Pacte International sur les droits Civils et Politiques des Nations-Unies (PIDCP).  Mais, cette transition politique et sociétale n’est pas suivie par un équilibre économique.

La force économique aurait transitée des mains blanches vers l’élite politique noire serait-on tenté de dire. En effet, en accédant au pouvoir, l’ANC avait bien planifié des stratégies de redistribution économique qui n’ont pas été mises en œuvres en même temps que celles politiques. Le pays, avec ses ressources minières (or, diamant, etc.) a  rapidement ouvert son économie à une industrialisation massive et étrangère. Ne laissant pas le temps de redistribuer les richesses longtemps inégalitaires. Et la croissance économique s’y aussi installée dans le même temps. En témoigne sa présence dans les BRICS ainsi que son entrée dans le G20. Paradoxalement, au lieu de relever le niveau de vie des peuples noirs  des « township »,  cet envol économique les a maintenus dans une pauvreté qui n’a cessé de se creuser. La nouvelle liberté politique a entrainé une libéralisation économique dont ne profitent pas les nouveaux hommes libres. Car, sur le plan économique, les opprimés d’hier restent toujours pauvres n’arrivant pas à relever leur niveau de vie, chose qu’ils croyaient automatique avec l’acquisition de leur liberté humaine et dignité fondamentale. Ce que nous nommons déception économique des sud-africains noirs des townships  ne serait pas la seule désillusion postapartheid. Il y a aussi la présence des immigrés venant d’autres pays africains qui, à la recherche d’emploi sont allés là où ils en ont trouvé. Ces immigrés, attirés par  la nouvelle  industrialisation et la liberté  du pays arc-en-ciel, s’y sont installés, occupant les emplois dans les usines, carrières, transports, commerce, etc. Pendant ce temps, les nouveaux hommes libres tendant vers une évolution sociétale, poursuivent des études auxquelles ils ont désormais accès à tous les niveaux (l’éducation étant obligatoire jusqu’à 16ans). N’est-ce-pas Mandela disait : « l’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde » !

Mais, la relation étude-emploi n’étant pas toujours linéaire en Afrique, au bout de leurs études, les postes qui correspondent à leurs profils sont occupés par la nouvelle élite politique noire ou par les « expatriés » des multinationales qui ont pris en « otage » l’économie sud-africaine. Ce manque d’emploi est une frustration/déception supplémentaire postapartheid. Ceux de ces nouveaux hommes libres qui n’ont ni les moyens ni la chance de faire des études, n’ont moins encore accès aux terres cultivables. Ces dernières étant toujours exploitées par des blancs (projet d’expropriation des blancs constituant moins de 10% de la population détenant les ¾ de terres exploitables, par le nouveau président Cyril Ramaphosa*) qui emploient  la main-d’œuvre la moins couteuse : les immigrés. Ce qui enferme les jeunes sud-africains dans une tour d’insécurité économique dans leur propre pays. C’est à leurs yeux un Apartheid économique dont les oppresseurs les plus probables sont les immigrés qu’ils voient développer et réussir des activités qui leur sont inaccessibles chez eux.

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Les réorganisations politico-économiques postapartheid impactent directement la société qui malgré l’émergence,  traverse beaucoup  de difficultés dont les plus notoires sont :  

  • le taux de chômage  qui aurait atteint les 29% au deuxième semestre de 2019*,
  • le taux de prévalence du VIH Sida qui était à 12,6% en 2017*,
  • l’éduction : dans le classement OCDE 2015 des systèmes éducatifs l’Afrique du Sud est à la 75ème place sur 76* etc.

C’est cet ensemble non exhaustif de facteurs post-conflit qui affectent directement la jeunesse sud-africaine.

La liberté, la démocratie seraient une nouvelle réalité sud-africaine  au même titre que l’industrialisation, l’investissement étranger et  l’immigration. En parallèle,  la pauvreté  y est notoire voire endémique  et vécue par les jeunes noirs des zones défavorisées qui font en sus face, à la maladie et au chômage. Toutes ces difficultés qui résument le triptyque liberté, démocratie, pauvreté seraient à l’évidence la source des vagues de soulèvement à caractère xénophobe des jeunes qui exigent un changement immédiat de leur situation. La question que l’on se pose maintenant est : est-ce que la jeunesse sud-africaine qui croit que toute son opportunité  et sa sécurité économique lui sont usurpées, est consciente de l’héritage de Mandela ?

Un héritage humanitaire à rudes épreuves socio-économiques !

Dans presque tous les pays africains on rencontre les difficultés existentielles auxquelles fait face la jeunesse sud-africaine. Loin de la défendre, j’essaie de la comprendre. Ces jeunes dont certains seraient nés après l’Apartheid. L’héritage de Nelson Mandela, aussi beau et humanitaire soit-il, leur a été raconté même s’ils ont le devoir de le conserver. Autant ils se sentent envahis, autant d’autres peuples se sentent envahis par leurs voisins qu’ils accusent de les dépouiller en amassant de l’argent qu’ils réinvestissent dans leurs pays d’origines. Et à y regarder de très près, ces immigrés font le travail que les nationaux se refusent de faire ou ne peuvent faire en raison d’études au-dessus de ces emplois (même s’il n y a pas de sot métier) ou d’inaccessibilité aux terres exploitables. A Dakar, certaines communautés de pays voisins qui y vivent, sont indexées comme ayant la mainmise sur le commerce de quartier « boutigou- cafék meew yi » et sur celui des fruits ainsi que d’autres types d’activités que les sénégalais ne font pas toujours. Et pour ces mêmes raisons nos frères émigrés en hexagone souffrent du racisme.

Le mal de la jeunesse sud-africaine est bien partagé par d’autres peuples.  Mais la société sud-africaine garde les traces de violences inhumaines qui sont facilement ravivées par l’étincelle du désarroi économique. C’est presque à l’image du conflit opposant agriculteur et éleveur dans toutes les sociétés mais qui est exacerbé depuis le début de l’année au Burkina-Faso et au Mali, comme si d’autres raisons en seraient la cause dans ces pays. Les problèmes des jeunes en Afrique du Sud, on les retrouve dans tous les pays africains, mais il y a d’autres facteurs qui les enflamment dans ce pays post-conflit. Et le Rwanda alors, ne sort- il pas de conflit, s’interroge-ton. A la différence que le Rwanda semble avoir réussi la transition économique pendant que la démocratie resterait à la traîne ! Ce qui confirme la difficulté à reconstruire une société post-conflit.

Toutefois, aucune difficulté ne justifie encore moins n’excuse ce qui s’est passé en Afrique du Sud. Les images insoutenables de massacres, rappellent un passé douloureux que nous croyions avoir enterré avec le pardon national après Apartheid. Ces actes, qu’ils soient criminels ou xénophobes convoquent directement l’héritage de Nelson Mandela qui a largement dépassé les frontières. Et c’est peut-être là où se trouve le nœud du problème. L’acte posé par Nelson Mandela, a toujours été magnifié comme un acte noble et humainement grand. Ce qui n’est pas faux. Mais n’est-il-pas temps de d’apprécier cet acte non pas seulement sur le plan humanitaire, mais le plan scientifique. Ne faudrait-il pas étudier la scientificité du pardon dans l’acquisition d’une paix définitive. Si 25 ans après apartheid, des images inhumaines refont surface en Afrique du Sud malgré un héritage aussi important, il faut peut-être prendre le pardon dans sa valeur la plus scientifique et l’enseigner aux générations postapartheid comme une donne sociologique qui permet de ne point dépasser la limite face à son prochain quel que soit le différend qui vous oppose. Si Mandela a pardonné et fait pardonner, c’est qu’il avait compris que, sans cet acte les opprimés pourraient se venger des oppresseurs. Si ce scénario s’était présenté, non seulement il n’aurait pas gouverné, mais le pays ne sortirait jamais d’un cycle de conflit. Et l’émergence économique qui a attiré les immigrés ne pourrait pas être atteinte en raison de conflits cycliques. Alors, avec le Mgr Desmond Tutu, ils ont permis, par le biais des commissions vérité et réconciliation, d’accepter la réalité des faits et de les pardonner pour avancer ensemble. Ce pardon, même s’il est un acte humain, humanitaire, il est devenu stratégique et scientifique. D’ailleurs, beaucoup de société-post conflit reprennent l’initiative pour consolider la paix acquise. C’est une méthodologie de consolidation de la paix que l’on retrouve partout. Ce qui pourrait asseoir une hypothèse de sa scientificité quand on sait que la naissance d’une théorie scientifique peut commencer avec l’observation d’un fait réel suivie du cercle d’analyse, d’expérimentation, de développement d’hypothèses, de prédictions jusqu’à la naissance d’une science qui est toujours une nouvelle source de recherche. L’héritage de Nelson Mandela ne nourrit pas la jeunesse sud-africaine mais il pourrait développer des valeurs humainement au-dessus des armes qui ôtent des vies. Il ne suffit pas de la lui raconter il faut le lui enseigner afin qu’il traverse les âges quelles que soit les difficultés.

Il y a un fascinant parallélisme entre Mandela (18 juillet 1918-05 décembre 2013) et Kalachnikov (10 novembre 1919-23 décembre 2013). Mikhaïl Kalachnikov a inventé l’arme éponyme plus connue sous l’appellation AK 47, le fusil d’assaut préféré dans les rebellions et autres guérillas, qui a facilité tant de violence et  souffrance humaine. Quant à  Mandela, il est  le héraut du pardon, il ne l’a pas inventé mais il a promu la magnificence du mot dans un domaine jusqu’alors inexploité comme tel, la gestion du post-conflit. Ces deux hommes ont partagé le même siècle, ont presque eu la même longévité et ont laissé des héritages aux générations futures. Il appartient à ces générations de choisir lequel des legs perpétrer.

Il faut juste rappeler que l’invention de Kalachnikov tend à éliminer des êtres humains et facilite le développement de la guerre là où la trouvaille de Mandela tend à rapprocher les êtres humains par ceux qu’ils ont le plus en commun, l’humanité !  Les Sud-africains ont, au-delà du devoir de mémoire un devoir d’éterniser l’héritage de Mandela sans la moindre tâche !

Sokhna Fatou Sy Mansour Sarr est Ingénieure Documentaliste en droits de l’homme, CEO SAPED SARL, Membre du Mouvement des Jeunes Madibaristes

Twitter @SokhnaMansour

* G. LE BON, Premières Conséquences de la guerre 1916: transformation mentale des peuples, Québec, 2006, p.8

*CVR : Commission de la Vérité et de la Réconciliation

* SAIRR (South African Institute of races relations), rapport 2008, In P. MALET, « En Afrique du Sud, les blancs n’ont plus d’avenir », Slate.FR, Monde, 2009 p. 3

* F. X. FAUVELLE-AYMAR, Histoire de l’Afrique du Sud, Paris, Le Seuil 2006, in L. BUCAILLE, Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud: Une mutation politique et sociale, coll. Politique Etrangère, février 2007, p.323

*RFIhttp://www.rfi.fr/emission/20181126-afrique-sud-serie-14-expropriation-agriculteurs-blancs

*Afrique du Sud : un taux de chômage historique https://www.afrik.com/afrique-du-sud-un-taux-de-chomage-historique

*L’Afrique du sud a le taux de prévalence du VIH le plus élevé au monde (Rapport) http://french.china.org.cn/foreign/txt/2017-08/01/content_41322968.htm

https://revue-afrique.com/afrique-sud-systeme-educatif/







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