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L’opium De L’opposition

L’opposition peut être définie comme une organisation politique partisane qui a pour vocation d’animer une critique contre les tenants du régime, de définir un programme alternatif et de prendre le pouvoir. Mais dans certaines démocraties surtout parlementaires, cette opposition bénéficie d’un statut qui lui permet de se préparer à l’exercice dans les meilleures conditions. Et l’exemple le plus célèbre est celui que trouve dans les pays utilisant le système parlementaire de Westminster (district du centre de Londres où se trouve le Parlement du Royaume-Uni réunissant la Chambre des Communes et la Chambre des Lords). Et dans un tel système, le Leader of the Opposition est le leader du principal parti d’opposition au sein du parlement. Ce dernier disposant de certains attributs institutionnels et de certains avantages pécuniaires et matériels qui attestent de son statut particulier au sein du système.

Généralement dans un système parlementaire d’inspiration westminstérienne, on observe un bipartisme élargi qui permet l’alternance entre les deux formations politiques les plus importantes. Ce Leader of the Opposition forme, à l’instar de l’exécutif, son shadow cabinet c’est-à-dire un cabinet fantôme. La Toupie nous définit le shadow cabinet comme «une équipe de membres influents de l’opposition officielle, constituée en une sorte de gouvernement virtuel. Le cabinet fantôme, institution officiellement reconnue, est constitué par le chef du principal parti de l’opposition. Chacun des « ministres fantômes » a pour mission d’analyser le budget, de surveiller et de critiquer la politique du ministre en place. Le cabinet fantôme est un moyen très pragmatique de questionner la politique de la majorité en place dans chaque domaine d’intervention de l’Etat et de préparer une politique alternative. Ses membres, porte-parole de leur parti dans leur domaine, sont ainsi préparés, par leur connaissance des dossiers, à devenir éventuellement ministres le jour où leur parti remporte les élections.»

Si le parti d’opposition gagne les élections, les membres du cabinet fantôme héritent souvent du portefeuille gouvernemental qu’ils avaient la charge de surveiller. Dans un système pareil, la reconnaissance juridique et la codification du rôle du chef de l’opposition est une nécessité, voire impératif catégorique démocratique.

Statut du chef de l’opposition, une futilité dans les régimes présidentiels

Dans les pays qui adoptent les régimes présidentiel, semi-présidentiel ou présidentialiste où l’on retrouve un bipartisme absolu ou une flopée de partis ou de coalitions de partis politiques qui peuvent prendre le pouvoir alternativement, statufier le rôle du chef de l’opposition peut paraitre beaucoup plus complexe. Dans de tels régimes, le leader du parti le plus représentatif de l’opposition ne siège pas en général au sein de l’Assemblée nationale. Tout le contraire des régimes parlementaires d’inspiration westminstérienne où les deux leaders de partis se font face au sein du Parlement. Etre chef de l’opposition ne se limite pas simplement à être le deuxième parti après la majorité en termes de suffrages ou de députés mais dans sa capacité à tenir tête au pouvoir avec ses contre-propositions et son offre programmatique. Au Sénégal, le chef de l’opposition conduit son parti ou sa coalition à l’Assemblée mais il démissionne toujours pour laisser la place à son suppléant au moment de l’installation des députés. Puisque le régime présidentiel donne tous les pouvoirs à l’exécutif, le chef de l’opposition juge inutile sa présence à l’Assemblée nationale pour mener son combat politique. Il préfère déléguer son combat à ses députés au lieu de diriger les troupes. L’autre complexité du statut du chef de l’opposition résulte de la difficulté à identifier le véritable chef de la majorité. Est-ce le président de la République ? La réponse est négative parce qu’il est le président de tous les Sénégalais même s’il est le chef de son parti. Cet enchevêtrement dialectique des deux postures président de la République / chef de parti, complexifie la désignation du chef de la majorité. Un chef de la majorité doit pouvoir face et échanger avec le leader de l’opposition. C’est le partage régulier du même espace institutionnel définit les rapports de force et donnent un sens à la relation duale entre le président de la République et le chef de l’opposition. Et le professeur de droit El Hadji Mbodj, qui a travaillé depuis plus de deux décennies sur le statut du leadership de l’opposition, soutient une telle position : « En effet, le leadership de l’opposition n’a de sens que si celui qui l’incarne est avant tout un représentant du peuple siégeant à l’Assemblée nationale. Il doit s’intégrer dans les structures républicaines et s’exprimer à travers des courroies institutionnelles. Il sera commode d’aménager un statut sur mesure à ce chef de l’opposition. Il devra disposer d’un statut ex officio. Il pourrait être membre de droit du bureau de l’Assemblée nationale s’il ne l’est pas ; il devrait avoir droit à la couverture médiatique des manifestations liées à l’accomplissement de sa mission, à un droit de réplique aux messages et/ou autres interventions médiatisés du président de la République ou du chef du gouvernement. Une place de choix dans le protocole républicain devrait lui être réservée dans le décret sur les préséances. Il devrait être invité à toutes les cérémonies officielles de la République et traité avec les égards et honneurs dus à son rang. Il pourrait faire partie des délégations qui accompagnent le président de la République lors de ses déplacements à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire national. Il pourrait être associé à l’accueil des hôtes de marque de la République. Il pourrait lui être confié des missions spécifiques d’envergure nationale ou internationale et, surtout, être consulté ou reçu en audience par le chef de l’État chaque fois que de besoin ».

En Angleterre, le Premier ministre est chef le chef de la majorité et il face à son alter ego de l’opposition accompagné toujours de son shadow cabinet.

Leadership de l’opposition, un os à ronger

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Dans notre pays, la querelle sur les critères de choix du leader de l’opposition fait rage. Au sein de la commission du dialogue politique, les partis d’opposition ont stérilement engagé une réflexion sur l’incarnation du leadership de l’opposition. Si Macky Sall s’ingénie à instituer un leadership de l’opposition, ce n’est point pour renforcer la démocratie mais pour diviser et fragiliser l’opposition. En bon lecteur de Joseph Joubert, il sait qu’en politique, il faut toujours laisser un os à ronger aux opposants. Faute de déjouer le piège mackyste, certains opposants déclarent que le leader du parti d’opposition le plus représentatif au Parlement doit incarner ce rôle, d’autres soutiennent qu’il revient de droit au parti arrivé deuxième après la présidentielle. Dès lors, une guerre entre Abdoulaye Wade, première force de l’opposition parlementaire et Idrissa Seck, premier opposant investi de la légitimité populaire lors de la dernière présidentielle, sourd même si, dans leur camp respectif, leurs militants feignent de ne pas s’intéresser trop à ce statut qui divise l’opposition. Et voilà que les haines recuites entre la triangulaire PDS-Rewmi-Pastef refont surface et la scène politique se transforme en véritable pancrace. On se livre des duels à fleurets mouchetés, on s’écharpe, on se harpaille au lieu de plancher sur un vrai projet alternatif unitaire qui mettrait fin à l’hégémonie politique de Bennoo. On se souvient en 2001 du crêpage de chignons entre Ousmane Tanor Dieng dont le parti avait glané lors des législatives plus de suffrages et Moustapha Niasse dont le parti avait obtenu plus de députés à l’Assemblée nationale quand le président Abdoulaye Wade avait agité l’idée du statut du chef de l’opposition.  

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Leadership de l’opposition en Afrique, un subterfuge machiavélique

Par conséquent, ce statut du chef de l’opposition n’est qu’un stratagème hypnagogique pour endormir ou anesthésier une opposition dont le rôle essentiel est de trouver des plages de convergences entre ses acteurs pour mieux face à la machine de Bennoo. Il ne sert à rien d’avoir un chef de l’opposition s’il ne peut pas jouir des libertés constitutionnelles sans être matraqué par les forces de l’ordre. Il est inutile d’instituer un chef de l’opposition s’il n’a pas accès aux médias d’Etat.

En Guinée-Conakry, le 23 octobre 2018, lors d’une journée de manifestations organisées par l’opposition guinéenne, le chef de l’opposition guinéenne Cellou Dalein Diallo a été victime d’une tentative d’assassinat par les forces de l’ordre. Alors à quoi sert donc au leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) son statut de chef de l’opposition s’il ne peut pas jouir de la première liberté démocratique qui est le droit à la manifestation ?

Au Tchad, le député Saleh Kebzabo, président de l’Union national pour le développement et le renouveau (UNDR), a perdu, après une décision de la Cour suprême, son statut de chef de file de l’opposition au profit de Romadoumngar Félix Nialbé, leader de l’Union pour le Renouveau et la Démocratie (URD). Ayant perdu deux ses députés (pour cause de décès et de démission), Kebzabo a perdu, non sans contester, le leadership de l’opposition. Où est passé le principe de la séparation des pouvoirs ?

Dans l’île de Madagascar, la proposition de loi modifiant celle de 2011, relative au statut de chef de file de l’opposition, a été adoptée à l’Assemblée nationale au d’août dernier dans le but de mettre un terme à la carrière politique du principal opposant Marc Ravalomanana. Cette nouvelle disposition de la loi indique, en effet, que seul un député peut prétendre au leadership de l’opposition. Ce qui n’est pas le cas de l’ex-chef d’État malgache qui n’est pas député. Tous ces exemples montrent à suffisance que le statut du leader de l’opposition en Afrique est plus un subterfuge machiavélique pour mieux neutraliser l’opposition qu’une saine initiative pour renforcer la démocratie.

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Si Abdoulaye Wade dans les années 80 avait insisté pour que l’on codifiât le statut du chef de l’opposition copié sur le modèle canadien, c’était pour rompre avec l’image d’un chef de l’opposition charismatique avilie par les arrestations et les incarcérations récurrentes. C’était également pour la reconnaissance de son rang de futur présidentiable qui devrait remplacer Abdou Diouf à la tête de l’Etat. Déjà à l’époque, Wade menaçait de mettre en place un shadow cabinet, un contre-gouvernement qui allait faire face à l’équipe de Diouf. Sachant qu’une telle initiative allait confusément empirer le contexte de crise dans lequel les Sénégalais vivaient depuis le début de l’ajustement structurel, Abdou Diouf opta le 7 avril 1991 pour un gouvernement de majorité élargie avec l’attribution d’un certain nombre de portefeuilles qui allaient donner plus de poids, d’importance et de dignité au leader de l’opposition Wade. Ce partage des responsabilités gouvernementales éloigna de la tête de Wade le statut du chef de l’opposition jusqu’en 2000 après son accession au pouvoir. Diouf avait triomphé dans sa stratégie d’apaisement, du moins temporairement puisqu’il avait en face un renard avec ses calculs politiques. Dans l’actuelle commission du dialogue politique, Macky manœuvre en miroitant aux opposants un statut du leadership de l’opposition avec ses passe-droits matériels et pécuniaires afférents. Peut-être qu’un gouvernement de majorité élargie version d’inspiration dioufienne viendra couronner cette opération de déstabilisation de l’opposition entamée depuis de 2012. 

sguye@







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