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Comment Réconcilier Le Temps Du Pardon Avec Les Exigences De La République ?

Toujours commencer par le commencement. Toujours commencer par l’histoire. Au-delà d’une simple République, Sen­ghor – encore lui – nous a bâti une Nation et c’est cette dernière qui arbitre aujourd’hui notre actualité. Le pardon, ou la grâce du prince, vient de là où chrétiens, musulmans et d’autres couleurs de religion et de foi ont accepté de vivre ensemble, de s’unir, de s’aimer, de se respecter, de défendre l’un l’autre. Une telle Nation, un tel Peuple, finit invaincu et se retrouve toujours. Ne voyons surtout pas un hasard dans ce rendez-vous autour de la foi qui a su mener au pardon, ou à la grâce, comme on veut, que tout un Peuple attendait et qui tardait, qui tardait. Finalement, les prières et la haute générosité d’hommes de foi ont tracé le raccourci, atteint le but attendu, car celui qui a pardonné, ou libéré, ou gracié, est aussi un homme de foi, comme tous. Allah Seul sait, Lui qui lit dans nos cœurs jusqu’à ce que nous cachons à nos semblables, même à ceux que nous aimons, à ceux dont nous savons que le jour dernier, ils quitteront les derniers notre tombe, alors que le cimetière s’est vidé. L’homme peut être plus qu’une île.

C’est comme tel que m’apparaît le paysage de cette actualité récente qui a commencé par un grand acte de foi avec l’inauguration de cette fulgurante mosquée au nom si beau : «Massalikoul Jinane» ! Cette maison de l’islam honore toute la Oumma, toute la communauté sénégalaise au-delà de cette belle, solide et inaltérable confrérie mouride qui n’a pas fini de nous étonner, de nous tracer des voies de salut pour la meilleure des émergences spirituelles, sociales, culturelles et économiques venue de nous-mêmes et par nous-mêmes.

Incontestablement, Serigne Touba est une grâce. De cette mosquée nouvelle et éternelle venue purifier Dakar s’est construit un fil rouge reliant les politiques et les chefs religieux. Cela a fini par conduire les plus rebelles à la communion et au partage d’une paix qui vaudra toujours mieux qu’une guerre. Que ce soit autour de la religion et de la foi que s’est tressé cet esprit de paix et de grandeur est un signe que les religions peuvent être des oasis porteuses de tranquillité et non de mort et de haine.

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Et voici que la République reste la République dans un pays laïc, c’est-à-dire d’osmose, d’entente, de solidarité, où chaque femme, chaque homme est libre d’honorer sa foi avec le Dieu de son choix. Personne, qui qu’il soit, d’où qu’il vienne, ne peut prétendre exiger le contraire. Il s’y ajoute cette exigence première qui doit être partagée par tous : la République doit rester la République, c’est-à-dire régir l’ordre, l’éthique, la discipline, l’implacabilité des lois, la sauvegarde des biens du Peuple. L’Etat ne détient rien que le Peuple ne lui ait confié. Le prince le sait. Le Peuple le sait. A chacun de sauver son honneur, d’être digne et glorieux.

«Que chacun d’entre nous sache que nous sommes tous, pris individuellement, un ‘’khalifat’’ sur terre. Ainsi compris, à chacun alors d’agir dans le sens de Dieu, c’est-à-dire du bien», me disait un ami bien aimé, citant un sage, dans le feu de l’actualité de l’inauguration de «Massalikoul Jinane», des grâces qui ont suivi et qui ont tant apaisé le climat politique et social de notre étonnant et bruyant pays. Abdoulaye Aziz Diop de son nom ajoutait : «Il est temps que le Peuple sénégalais comprenne et mesure le poids de la bonté et des grâces que le Seigneur lui a cédées.»

L’espace politique doit continuer à être nourri non de bois mort, mais de la vie, de nos fois et de l’avancée des savoirs bienfaisants. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas pour la religion d’instrumentaliser la vie politique. Mais la religion ne saurait être comme l’esprit producteur de pensées et de savoirs, des domaines isolés, exclus de la réalité politique. En un mot, la politique ne doit pas montrer sa cellule aux idées et actes, dès que ceux-là s’opposent à elle. C’est à la fois la conjugaison et la convergence de tous les espaces de réflexions et de pensées qui doivent gouverner ensemble pour bâtir une société de justice, de grandeur, d’épanouissement, de liberté, de démocratie.

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Si la politique a un fossé qu’elle a du mal à enjamber, l’esprit le meilleur doit lui donner la main et l’aider à passer. Ce que l’on pourrait appeler l’esprit de «Massalikoul Jinane» a pleinement joué ce rôle. Ici, ce qui aurait pu être considéré à tort comme de la «dentelle» a pesé plus que ce qui a toujours été considéré comme de «l’or». N’oublions jamais cette leçon, à condition de savoir être intelligent dans sa foi ! Ayons une «raison» hospitalière et non guerrière, oppressive !

L’esprit de «Massalikoul Jinane», comme nous l’appelons, nous pousse à réfléchir davantage sur ce que nous sommes et comment nos Etats ont été structurés. Avons-nous encore besoin d’Aristote, de Platon, ou pouvons-nous créer un nouveau modèle politique de gouvernance endogène qui réinventerait la notion de République autrement qu’elle a été créée et pensée jusqu’ici, hors de nos identifiants culturels ? Nous avons besoin de rêves, même si nous savons qu’il n’existe pas de lieux vierges d’injustice et d’oppression et que les «concours de beauté morale» sont trompeurs. Mais nous avons besoin de «faire sourire le bon Dieu».

Nos systèmes politiques de gouvernance moderne sont de véritables embuscades. Main­tenant que nous savons d’où nous venons, pensons où nous allons ! Ce qui est en jeu, ce sont les valeurs et ce par quoi une société est une référence et non plus des «miroirs qui étincellent, mais qui n’éclairent plus rien». Des «Nègres gréco-latins» ? Nous n’avons pas eu le choix, puisque nous sommes le berceau de l’humanité, donc porteur du monde et poreux à tout. Qui disait que «les poètes sont rares et que les raisonneurs foisonnent» ? Mais retournons aux sources dont nous sommes les jardiniers ! L’Afrique est bien prodigieuse.

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Il nous a semblé que le Sénégal était un pays vieux avant l’âge. Et si nous le réinventions pour qu’il montre un nouveau chemin au monde ? Avec nous ou après nous, sa jeunesse peut le faire et réinventer un futur enchanteur. Nous avons besoin de nouveaux «enfants d’Icare» avec de vraies ailes pour affronter tous les soleils. Mais le rêve a un prix : surmonter l’ignorance et vaincre la peur ! Le développement économique, c’est d’abord le développement de l’esprit et l’esprit est une culture !

Quel grand esprit disait «qu’un oiseau qui vole et qui entre dans un avion ne vole plus. C’est l’avion qui vole». Les politiques qui volaient tout seuls ont longtemps volé sans pouvoir se poser. Quand ils sont entrés dans «Massalikoul Jinane», ils n’ont plus volé et toute leur peine a été prise en charge par quelque chose de plus puissant qu’eux, de plus apaisé qu’eux. Ils ont trouvé dans la foi et dans ses mystères divins un poste budgétaire important, le seul à pouvoir solder le poids moral infini de leur silence.

Amadou Lamine SALL

Poète

Lauréat des Grands prix de l’Académie française

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