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Sublime Tunisie !

Au lendemain de l’élection de Kaïs Saïed comme président, on peut légitimement se dire : « Ah, si l’Afrique et le monde arabe avaient écouté Bourguiba ! » C’est vrai qu’écouter un homme tel que Habib Bourguiba est une chose, mais le comprendre en est une autre. Homme complexe lui-même, il avait parfaitement assimilé la complexité de son époque. Les idées courtes, les formules à l’emporte-pièce, très peu pour lui. Cet animal politique, cette machine intellectuelle savait à merveille lier les émotions aux pensées et les idées à l’action. Non, tout ne fut pas parfait chez lui. Il fut même un temps où les gens de ma génération le vouaient franchement aux gémonies. Notamment au début des années 1980 lors des fameuses émeutes du pain. J’étais alors friand de boums et de manifestations de rue. Des amis tunisiens m’avaient facilement convaincu de marcher avec eux. Et l’on bavait de rage et l’on criait à tue-tête : « Bourguiba, assassin ! Nous irons, cracher sur ta tombe ! » Les années ont passé et pour rien au monde je n’irais cracher sur sa tombe. Maintenant qu’il est mort, maintenant que j’ai mûri, je mesure toute l’étendue de sa grandeur, toute la grandeur de son œuvre. Mes crachats, je les réserve à d’autres tombes.

Bourguiba, un bâtisseur même de l’au-delà

Bourguiba était un penseur et un bâtisseur. Un penseur sobre, quelqu’un qui détestait les acrobaties intellectuelles et qui avait une sainte horreur du bavardage inutile. C’était un bâtisseur, quelqu’un qui maîtrisait la réalité, qui savait la pétrir. « Être réaliste, c’est préférer un projet modeste qui en appelle d’autres à un miracle impossible », disait-il. Et la Tunisie, c’est comme si du fond de sa tombe, il continuait à la bâtir, comme s’il tenait le destin de son pays, un peu comme l’on tient un journal et qu’il en écrivait chaque jour une nouvelle page. Les différents hommes qui ont occupé, ces derniers temps, l’avant-scène de la vie politique tunisienne ont leur mérite, mais ils savent, de quelque bord qu’ils soient, qu’ils ont agi sous la houlette d’un chef d’orchestre qui n’est plus de ce monde, un maçon qui manie la truelle à titre posthume.

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La Tunisie a maintenu le bon cap 

La petite voiture Tunisie a connu quelques secousses, quelques embardées, mais elle n’a jamais quitté la route. Elle a su, au fil de sa difficile expérience, créer des espaces de négociation. Cette société sophistiquée du fait de son très haut niveau intellectuel a réduit les fossés qui séparent les contradictions apparentes : arabité-berbérité, tradition-modernité, islam-laïcité. Je me garderai de dire qu’elle est devenue parfaitement homogène (on ne serait plus chez les humains), mais enfin, des passerelles existent. La Tunisie est l’unique pays musulman à avoir recyclé ses islamistes, à en avoir fait des démocrates, le seul à avoir promu une véritable émancipation de la femme par l’éducation de celle-ci et par le dépoussiérage de son statut juridique. Et pourtant, il y a peu, Ennahdha passait pour l’un des mouvements islamistes les plus radicaux. Aujourd’hui, c’est une pure merveille que d’écouter ses élus reconnaître leur défaite. Une femme islamiste est maire de Tunis. Que c’est beau, mon Dieu !

Après avoir ouvert le glorieux chapitre des Printemps arabes, la Tunisie, à la différence de l’Égypte et de la Libye, a fondé sa démocratie, une démocratie telle qu’il est inutile de lui accoler quelque épithète que ce soit. Une démocratie telle, que deux illustres inconnus se sont imposés pour le second tour. Le débat politique a, par la force de choses, pris de la hauteur. Les scrutins se sont déroulés sans accroc. Les garde-fous ont fonctionné et ont rendu les dérives difficiles à imaginer. De quoi créer les conditions pour qu’on dise au nouveau locataire du palais de Carthage : « Bon vent, président Saïed ! »

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