Si l’argent est le baromètre des vertus d’une société comme le soutient Ayn Rand, la pression des valeurs sociales et morales au pays de Kocc Barma semble avoisiner zéro chez beaucoup de personnes.
Dans une société qui devient de plus en plus matérialiste ; où le paraître tend à supplanter l’être ; où ce que l’on a est en train de devenir plus important que ce que l’on est ; où pour nombre de gens être équivaut à beaucoup avoir, que ne ferait-on pas pour devenir riche ? Pour beaucoup de nos compatriotes la réponse à cette question semble évidente.
Chez les politiciens, certains, au vu et au su de tout le monde, volent des milliards de l’État et n’hésitent pas à s’exhiber, voire à s’en glorifier à travers villas, voitures, belles femmes… Les millions ne satisfont plus leur appétit pécuniaire de plus en plus boulimique. La danse, naguère activité récréative dans nos sociétés traditionnelles, est devenue aujourd’hui un métier où il faut rivaliser d’indécence et d’insolence pour réussir à se faire une place et un nom dans le gotha des danseuses et danseurs de plus en plus portés au pinacle par les médias. Certaines danseuses défraient souvent la chronique, non par leur créativité, mais par la vulgarité dont elles ont fait montre en allant jusqu’à montrer leurs parties intimes à la télévision moyennant quelques billets. Ce qui prouve, entre autres, la décadence morale qui est en train de s’opérer dans ce pays. Aujourd’hui, beaucoup de parents préfèreraient inscrire leurs fils à l’école de la force plutôt qu’à celle du savoir. Ils pensent souvent qu’ils deviendront plus vite millionnaires en devenant un grand lutteur plutôt qu’un bon intellectuel. L’envie de céder à la tentation de devenir riche dans les plus brefs délais peut être grande, car un lutteur peut gagner en un combat ce qu’un intellectuel, qui aura passé toute sa vie à apprendre, gagnera le long de sa carrière. Pourtant ce sport, non seulement, semble juste enrichir un cercle restreint de personnes, mais qu’il cause à la société est profond : violence, animosité entre écuries, parfois même meurtres. L’arène est aussi financée par de l’argent aux origines pour le moins douteuses. Les promoteurs de lutte sont les seuls Sénégalais, que je connaisse, qui pratiquent du dumping. Selon eux, ils organisent des combats à perte depuis des années, mais persévèrent quand même. C’est bigrement étonnant non ? Les lutteurs et les danseurs sont de plus en plus érigés en héros et modèles par une jeunesse de plus en plus en perte de repères. Ils font la plupart du temps la une des journaux et sont souvent sur les plateaux de télé. Leurs faits et gestes sont épiés par des paparazzis, qui prennent de plus en plus du galon dans un pays où la presse people et les journaux à sensation tendent à remplacer les livres de culture générale et de littérature chez beaucoup de jeunes.
À travers les programmes de télévision et les émissions de radio, toute personne bien avisée peut voir les transformations qui sont en train de se produire dans la société sénégalaise. Comment ne pas avoir peur quant à l’avenir intellectuel du pays qui semble compromis, surtout en voyant le niveau des élèves et étudiants qui devient de plus en plus faible, à en croire les observations du comité chargé du projet de réforme de l’enseignement supérieur. Les charlatans et les voyants, jadis très discrets, sont maintenant souvent invités dans les médias. Ils sont aujourd’hui devenus des travailleurs professionnels à temps plein, parce qu’ils savent qu’ils auront toujours des clients à qui ils pourront promettre monts et merveilles sans crainte d’être démasqués ou inquiétés. Car beaucoup de gens, dans ce pays, veulent un raccourci qui mène à la réussite, sans pourtant avoir à fournir les efforts nécessaires que cela exige. Sans doute ignorent-ils que le dictionnaire est le seul endroit où la réussite vient avant le travail. De nombreux jeunes ont bravé les océans, quelquefois les déserts (à tort ou à raison, Dieu seul sait) pour rejoindre un hypothétique eldorado qui leur permettrait de revenir au pays avec l’argent plein les poches. Ils espèrent ainsi gagner, à leur retour, le respect social qui leur avait été refusé pendant leur période de galère, puisque pour nombre de gens dans ce pays, la pauvreté est un défaut. Ils oublient souvent que c’est le bon Dieu Le pourvoyeur qui restreint ou élargit ses dons à qui Il veut, bien que recommandant les efforts et les sacrifices licites et nécessaires pour se sortir de la pauvreté, comme l’a bien illustré cette pensée du regretté sage historien Amadou Hâmpaté Bâ : « L’abandon à Dieu prêché par l’Islam ne supprime pas la nécessité de l’action, mais consiste à garder un cœur paisible devant les résultats, car les résultats sont entre les mains de Dieu, alors que l’effort est le propre de l’homme.»
La prostitution, les agressions physiques et sexuelles, la pédophilie, j’en passe, des pratiques jusque récemment méconnues de nos ancêtres s’exposent au grand jour pour des raisons plus ou moins financières. L’argent n’est plus le fruit du travail, mais de tractations. Peu importe la manière pour l’obtenir, la fin justifie les moyens lorsqu’il est en jeu (Xaalis kenn du ko liggéey da nu koy lijjanti). On devrait avoir honte de prononcer cette formule dans un pays qui se réclame musulman à 95%. Si on sait que l’Islam a enseigné l’honnêteté dans le travail et dans toutes les activités quotidiennes. Mais son usage est devenu plus qu’acceptable dans notre langage quotidien. L’élan de ceux qui sont courageux peut être brisé par une fonction publique ou un secteur privé où les relations personnelles semblent prévaloir sur les compétences individuelles et expériences professionnelles. C’est pourquoi beaucoup d’étudiants bardés de diplômes et d’autres travailleurs qualifiés compétents qui sont à l’étranger hésitent à rentrer au pays, s’ils n’ont pas les bonnes relations, dussent-ils y exercer des emplois ou fonctions moins valorisées et moins rémunérés par rapport à leur niveau d’étude ou de compétence. Si dans un pays tout le monde veut devenir riche et que peu veulent travailler ou ont la possibilité de travailler, il va sans dire qu’il y aura beaucoup de moyens illicites pour s’enrichir.
Quant aux bonnes valeurs qui font la noblesse d’une société, que sont-elles devenues ? L’honnêteté, la vergogne, la pudeur, la loyauté etc., deviennent de plus en plus des qualités en voie de disparition. Ceux qui les possèdent sont parfois traités d’arriérés. J’ai l’impression que beaucoup de gens dans ce pays souffrent d’anosmie endémique, car ils ne sentent plus l’odeur pestilentielle de l’argent sale. Il suffit parfois de lire les journaux ou d’écouter la radio pour se rendre compte à quel point la dépravation des mœurs et le changement de la société sont en train de prendre de l’ampleur, bien que la plupart des auteurs de ces articles semblent plus intéressés à vendre leurs papiers ou à avoir plus de parts d’audience qu’à donner une information utile. Pédophilie, prostitution, lesbianisme, inceste, agressions, homosexualité sont souvent à la une de beaucoup de journaux. Le tissu des valeurs morales et sociales qui s’est effiloché au fil des années semble être sur le point de se déchirer. Tout n’y est toutefois pas sombre, et heureusement! Dans cet océan de détresse, subsistent de grandes îles d’espoir. C’est encourageant de voir beaucoup de jeunes suivre le droit chemin et de travailler dur pour s’en sortir honnêtement. Mais malheureusement ces personnes intéressent peu les médias ou les journalistes, parce que ces derniers savent que l’obscénité et le sensationnel font mieux vendre. À les lire ou à en écouter certains, vous pensez que qu’il n’y a que le mal au pays, or tel n’est pas le cas, bien que les proportions qu’il a atteintes soient inquiétantes et déplorables.
Au final – tout en nous agrippant au train de l’évolution du monde -, ce qu’il nous faut ce n’est pas tant un retour aux sources qu’un recours aux sources comme le prônait Cheikh Hamidou Kane, tant ce qui se passe dans presque tous les secteurs du pays devient inquiétant.