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Un Voile Et Des Viols

C’était une conférence de presse, pas comme celles qu’on à l’habitude de couvrir tous les jours dans l’exercice de notre métier. Sur le lieu, je rencontre un grand frère journaliste très ‘’Boy Dakar’’. A la fois choqué et peut-être surpris. Il me souffla ‘’ celle qui a été violée est ici. Mais si tu la voyais… ‘’ Il pose sa main sur la bouche comme le font souvent les violeurs pour étouffer les cris de douleur, de détresse de leurs victimes.  A la vue de Fatou Jallow, j’ai compris les mots que mon ainé a lâchés. J’ai  imaginé ceux qu’il a retenus… par pudeur. J’ai ressenti la même douleur en imaginant les maux perpétrés par un violeur en série, drapé d’un manteau religieux souillé par le sang des multiples fillettes triées par un escadron de sanguinaires pour satisfaire la libido d’un président dictateur.

Fatou Jallow se tenait majestueusement devant nous. Elle portait un pantalon noir et un haut blanc très serrés. Collés à sa peau, ses vêtements dessinaient les courbes généreuses d’une « Jongoma » sénégambienne modelée à la perfection par la pratique du sport.  Son corps respirait la forme. Et personne ne pouvait imaginer l’atrocité de la douleur enfouie dans sa chair avant sa prise de parole. Face aux lumières des projecteurs, son sourire s’éteignit progressivement sur son visage.  De ses yeux, jaillissait une détermination à remporter le dernier round  d’un combat dont elle a été invitée à prendre part de force.  ‘’ J’avais 18 ans… je venais de remporter le concours Miss Gambie initié par le président Yayah Jammeh. Ce n’était pas un concours de beauté comme les autres. Ici, l’esthétique était au second rang. L’excellence était le critère déterminant. Le président Jammeh que je regardais comme un père m’invita à son palais pour discuter de mon projet. J’étais enthousiaste et naïve. Un jour, il me demanda de l’épouser’’, témoigne-t-elle. Toufa, comme l’appellent ses proches, avaient ses propres rêves à cette époque.  Le mariage ne faisait pas partie de son projet. Croyant aveuglement aux cadeaux et conseils désintéressés de son bienfaiteur très intéressé par son corps, elle en est même arrivée à penser que celui-ci essayait de la tester pour avoir une idée de son envie de réussir.  

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‘’Je ne voulais pas me marier à cet âge. Je voulais poursuivre mes études et accomplir mes rêves. Au début, je pensais qu’il me testait parce qu’il me disait toujours de poursuivre mes études. Je lui ai répondu que je ne voulais pas me marier ni avec lui, ni avec personne d’autre’’, raconte Fatou. Son refus, le fait de dire ‘’non’’ n’a pas plu à ce prédateur sexuel qui a usé de son pouvoir pour faire venir à nouveau la jeune fille au State House en prétextant qu’elle devait assister à un récital de Coran marquant le début du Ramadan. ‘’Ce jour-là, il m’a enfermé dans une pièce et m’a dit : ‘’ Il n’y a aucune femme que je veuille et que je ne puisse pas avoir. Tu te prends pour qui ? ’’ – Je lui ai encore dit ‘’non’’.  Il m’a alors frappée, m’a injectée une substance. Il releva ma robe, frotta son sexe contre le mien et dit ; ‘’On va voir si tu es vierge. ‘’  –  avant de me violer. ‘’ Des ses beaux yeux coulent des larmes. Elle prend un mouchoir, et les essuie. La salle de conférence est envahit par les frissons qu’émet la voix tremblotante de Fatou. La douleur rejaillit de sa chair et pénètre atrocement dans les nôtres.

Ce jour là, Fatou Jallow est sortie de la State House en titubant. Les jambes lourdes, dans sa tête elle cherchait comme toutes les filles victimes de cette atrocité, le moyen de récupérer une innocence volée avec une brutalité inouïe. La succession des bains à s’arracher la peau dans l’espoir d’enlever une souillure indélébile s’avère vaine. Pour Fatou, c’est le début d’une maturité à la fois physique et intellectuelle. Pour le prédateur, c’est la première fois qu’une de ses victimes refuse de revenir de son propre gré pour être transformé en objet sexuel. Le deuxième round du combat ne commence pas comme Yayah l’avait imaginé. Malgré les cadeaux, dignes d’une princesse d’un conte de fée et les demandes en mariage répétées de la part du ‘’Roi’’, la petite fille refuse de céder. Elle porte toute seule le fardeau pour protéger sa famille. Sa dignité en bandoulière, elle fait face au dictateur malgré les intimidations et les menaces. Fatou réussi à quitter la Gambie à bord d’une pirogue. Elle vient de renverser la situation en sa faveur. Au Sénégal, elle goutte à la téranga et reprend confiance en elle avant de s’envoler pour le Canada. Même loin de la Gambie, dans sa chair la plaie reste toujours béante. Elle comprit que son bourreau continuera son sale besogne comme d’autres prédateurs tapis dans l’ombre de la société attendant une proie.  Ainsi, elle engage le troisième round de son combat avec détermination non pas contre le président Jammeh, mais contre tout un système social. ‘’ Le plus difficile pour moi était d’affronter le regard des gens. D’habitude dans nos sociétés les victimes de viol en plus d’être dévastées, sont stigmatisées et rejetées. C’est pourquoi la majorité des filles et des femmes victimes de viol ont souvent peur de raconter ce qu’elles ont subi ou même de trainer en justice leurs bourreaux’’, déplore-t-elle. Oui Toufah a du cran. Elle a d’abord fixé droit dans les yeux les regards accusateurs et parfois teintés de pitié à chaque coin de rue de son Banjul natal. Ces tableaux, des stéréotypes de la société africaine qui peignent les victimes de viol comme les principales responsables de  leurs mésaventures. Fatouh Jallow témoigne à visage découvert pour dire non aux viols que le regard de la société continue de perpétrer sur les personnes qui l’ont été.

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Aujourd’hui, je reviens sur cette conférence de presse inédite au moment où sur les lieux du crime perpétré contre Fatou, elle et des femmes violées, certainement influencées par sa bravoure, racontent dans les détails, sans sourciller, l’horreur qu’elles ont aussi subi. Une reconstitution des faits à visages découverts. Comme Fatou, elles viennent de dire la vérité. Mais le plus important dans le combat de ces femmes terrassées par le destin, ne se résume pas uniquement à l’emprisonnement de leurs bourreaux. Il faut que les regards portés sur ces victimes, souvent trop jeunes, changent. Oui, arrêtons tous les violeurs. Arrêtons de fantasmer sur le corps déjà meurtri des victimes de viol en les dévorant du regard. Arrêtons de porter un doigt accusateur sur leur mésaventure. Ecoutons-les en les couvrant d’un voile qu’aucun prédateur sexuel ne peut déchirer. C’est le dernier round engagé par Fatou Jallow dans un combat qui s’annonce déjà très rude.

bbadji@

Retrouvez chaque semaine sur SenePlus, notre chroniqueur Boubacar Badji, dans sa tranche « Courriers du cœur ».







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