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Senghor Aujourd’hui : Actualites De La Negritude (suite Et Fin)

En septembre 1960, dès son accession à la magistrature suprême, le poète – Président s’attelle, en toute cohérence, à baliser et éclairer la position centrale de la Culture et donc des Arts et des Lettres, dans la construction d’une identité nationale et négro – africaine. Auparavant, il aura donné l’exemple en composant les paroles de l’hymne national qui commence par appeler les arts à l’exaltation du sentiment national : « Pincez tous vos koras, frappez les Balafons, le Lion rouge a rugi !». Il s’en est expliqué. « Sur un plan plus général, il s’agit, toujours, de créer un art nouveau pour une nation nouvelle » Ainsi, le nouvel Etat du Sénégal se devait d’être demandeur en œuvres de l’esprit, c’est – à – dire, en créations artistiques et littéraires, supports des repères culturels à élaborer selon le principe de « l’Enracinement » et de « l’Ouverture ». Les symboles de la République matérialisés, les artistes et les écrivains, étaient invités à revisiter l’histoire et la géographie, afin de permettre aux populations de puiser dans leurs œuvres mobilisatrices, les forces nécessaires au Développement économique et social de la Nation. « Ce sont nos poètes, nos conteurs et romanciers, nos chanteurs et danseurs, nos peintres et sculpteurs, nos musiciens. Qu’ils peignent de violentes abstractions mystiques ou la noble élégance des cours d’amour, qu’ils sculptent le Lion national ou des monstres inouïs, qu’ils dansent le Plan de développement ou chantent la diversification des cultures, les artistes négro – africains, les artistes sénégalais d’aujourd’hui nous aident à vivre aujourd’hui, plus et mieux. »

Senghor rêve également d’ériger à Dakar un musée des civilisations noires, une Maison de la Culture, une Bibliothèque nationale et des Centres culturels régionaux. S’il n’a pas finalisé ces projets avant son départ volontaire du pouvoir, l’éducation artistique plastique et musicale était présente dans le système éducatif sénégalais, de la maternelle au cours secondaire. Tandis que l’Université se réserve la philosophie de l’esthétique. Des artistes et des enseignants, formés aux diverses techniques d’expression, expérimentent leurs idées dans des espaces mis gracieusement à leur disposition, pour se produire régulièrement à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. L’appui technique, juridique et financier de l’Etat permet aux créateurs d’accéder à de grandes manifestations au Sénégal et à l’étranger. Les artistes sénégalais, toutes disciplines confondues, dialoguant ainsi avec le monde, participent déjà à l’élaboration de la civilisation de l’Universel. Tantôt ce sont les tournées internationales de la compagnie du Théâtre national Daniel Sorano à travers les prestations de l’Ensemble lyrique traditionnel, de la Troupe nationale dramatique et du Ballet national « La Linguère ». Tantôt c’est l’exposition itinérante que le Commissariat aux Expositions d’Art à l’Etranger, présente dans des espaces culturels de prestige, des années durant. Les tapisseries de laine des Manufactures sénégalaises des Arts Décoratifs de Thiès trônent dans les salles et les salons des institutions internationales et des résidences privées. Elles étaient déjà les cadeaux préférés du chef de l’Etat à ses hôtes. A l’intérieur du pays des centres culturels régionaux polarisent l’action culturelle décentralisée, afin de permettre aux terroirs d’alimenter, en éléments de Patrimoine culturel et de création artistique, les recherches alors abritées respectivement par le Centre d’Etudes des Civilisations et le Service des Archives culturelles du Sénégal. Tandis que dans la sérénité de l’Université des Mutants pour le Dialogue des Cultures, installée sur l’Île de Gorée, des Intellectuels d’avant – garde, expérimentaient la pédagogie de l’éclosion des Mutants, futures sentinelles de la civilisation de l’Universel. Le Centre africain pour le Perfectionnement et la Recherche des Interprètes du Spectacle, l’Ecole de danse « Mudra – Afrique », sous la direction de Germaine Acogny et avec l’appui de Doudou Ndiaye Rose, a mis en gestation des symbioses majeures inédites, dont l’actuelle Ecole des Sables est l’héritière. Son fondateur était Maurice Béjart, le Picasso de la Chorégraphie moderne, mais aussi le fils du philosophe d’origine sénégalaise Gaston Berger le père de la Prospective.

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Le dispositif institutionnel que voilà, installé en conformité avec les préoccupations et la vision du Président Senghor, était également un outil diplomatique efficace, parce que mis au service de la coopération culturelle internationale. Par le biais de la Collection artistique privée de l’Etat, dont une partie alimentait les expositions itinérantes, les Palais nationaux, les bureaux de la haute Administration, dont les Ambassades, abritaient les œuvres des artistes sénégalais. La radiodiffusion nationale,  la revue Sénégal d’aujourd’hui, les courts – métrages des cinémas de quartier comme  le Quotidien Le Soleil, rendaient compte de tout cela. Ce dernier éditait son supplément Arts et Lettres. Senghor a créé aussi la Fondation Léopold Sédar Senghor, pour lui assigner le même rôle de recherche et de mécénat que les institutions culturelles, pour toujours scruter et amplifier la contribution de la création littéraire, artistique, scientifique et technique négro – africaine à la civilisation de l’Universel. La revue Ethiopiques rend compte des activités scientifiques de ladite Fondation.  Dès lors, une impulsion de l’action culturelle d’une telle envergure, vécue consciemment ou non par les populations sénégalaises, sur le territoire national comme à l’extérieur, est sans doute à prendre en compte dans toute entreprise d’analyse du fait esthétique sénégalais. La « Téranga » et l’élégance y puisent aussi leurs racines profondes.

Quelles actualités de la Négritude ?

Que deviennent les dispositions de l’Etat du Sénégal, initiées sous l’impulsion du poète – Président Léopold Sédar Senghor ? L’article 42 de la Constitution dans son alinéa premier est ainsi libellé : « Le Président de la République est le gardien de la Constitution. Il est le premier Protecteur des Arts et des Lettres du Sénégal. » Ensuite, l’Etat du Sénégal reste fidèle à l’esprit de Présence Africaine. Le président Macky Sall a présidé à Paris la cérémonie de célébration des 70 ans de ladite Maison d’édition. Enfin, le ministère en charge de la culture est une constante gouvernementale depuis 1966. Dans ce sens, les Fonds de soutien à la création culturelle ont été diversifiés et revalorisés en faveur des Arts, des Lettres, du Cinéma et même des Cultures urbaines. La Galerie nationale d’Art est créée en 1983. Les Grands Prix du Président de la République sont également institués. Les Nouvelles Editions Africaines du Sénégal, les Manufactures Sénégalaises des Arts Décoratifs, et la Compagnie du Théâtre National Daniel Sorano, depuis leur création, sont des institutions d’anticipation sur les industries culturelles et créatives. De même, les Presses universitaires et les Maisons d’Editions privées se multiplient et contribuent, avec les librairies, à la révélation de nouvelles étoiles de la littérature sénégalaise en langue française et en langues nationales.

Le dispositif des infrastructures est renforcé et des projections sont annoncées. D’abord, sont construits le Grand Théâtre national, le Monument de la Renaissance Africaine et le Musée des Civilisations noires. Ensuite, le Président de la République  Macky Sall a pris des mesures importantes au Conseil des ministres du 30 octobre 2019 : En effet, selon le communiqué du Conseil, « Il a réaffirmé la place primordiale qu’il accorde à la culture dans le Plan Sénégal Emergent. » Il a également « réitéré ses instructions relatives à la construction de l’Ecole nationale des Arts et de la Culture (ENAC) De même, il a donné le coup d’envoi « de la construction de la Bibliothèque nationale, du Mémorial de Gorée et du Hall des Arts de Dakar. Cette dernière structure étant un aménagement de l’ancien Palais de Justice pour abriter le Musée national d’art contemporain. » En outre, le chef de l’Etat, offre une voie de retour possible de l’ancienne Université des Mutants, lorsqu’il décline la mission de la structure : « Ce nouveau creuset du génie créateur sénégalais et africain sera ouvert à tous les souffles féconds du monde pour stimuler le dialogue des cultures et des civilisations, qui est le socle même de la paix.» Enfin, le chef de l’Etat a demandé « la réalisation d’infrastructures culturelles multifonctionnelles et modernes sur l’ensemble du territoire national, ainsi que la construction de « Maisons  de la Jeunesse et de la Citoyenneté à vocation culturelle et artistique, à l’échelle des Départements du pays »

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En matière d’événements – phares, la Foire internationale du Livre et du Matériel Didactique de Dakar, Le Salon national du Livre, Le Festival national des Arts et des Cultures, Le Salon national des Arts visuels, La Biennale de l’art africain contemporain et les Rencontres cinématographiques de Dakar, sont autant de plateformes offertes aux artistes, aux écrivains, aux cinéastes, aux critiques et autres spécialistes, pour des dialogues pluriels. Or donc, nos créateurs d’œuvres de l’esprit sont dans les conditions de porter l’esthétique des valeurs qui imprègnent leur manière de vivre la diversité culturelle, tout en nourrissant leur créativité régulièrement reconnue et distinguée. Trois belles illustrations : En décembre 2018, Ismaël Lô, après un travail de longue haleine sur la chanson populaire « Taajaboon » a vu ses efforts récompensés, outre le succès commercial, par l’interprétation de sa composition par La Philharmonie de Paris. AL FARUQ a été lauréat de la Coupe d’Afrique de Slam – Poésie en 2018 à Ndjaména. Tandis que  Mati Diop, avec son film Atlantique a été distinguée par le Grand Prix du jury du 72è Festival de Cannes édition 2019. Le même film vient de remporter le Tanit d’Argent et le Prix de la meilleure musique originale aux 30è Journées cinématographiques de Carthage.

Finalement, tout se passe comme si le Sénégal d’aujourd’hui, avec ses institutions et ses populations, intègre l’esprit de la Négritude, grâce à une présence remarquée au « Rendez – vous du Donner et du Recevoir » N’est – pas une telle intégration des valeurs dans le quotidien des populations sénégalaises qui a valu au Sénégal l’image d’un « pays de Culture et de Droit, de Droit parce que de Culture » selon le mot du Président Abdou Diouf ? Le Président Abdoulaye Wade avait dit du Musée des civilisations noires : « Senghor l’a rêvé et je vais le réaliser. » Mieux, il a fait ériger le Monument de la Renaissance Africaine devenu symbole signalétique et touristique de la ville de Dakar. Au siège de l’ONU, devant la tapisserie « Le grand Magal de Touba » de l’artiste Papa Ibra Tall, cadeau du Sénégal à l’organisation internationale depuis 1971, le Président Macky Sall rappelait : « Chaque jour, ce chef d’œuvre identifie le Sénégal autant, voire mieux, que toutes les informations scientifiques, les dépliants touristiques, voire le travail au demeurant excellent de générations de diplomates chevronnés. »

Ainsi, nous venons de passer en revue un enchaînement d’actualités de la Négritude comme référentiel de valeurs de civilisation. Grâce à un recours à l’histoire, nous avons rencontré bien des outils face à nos responsabilités individuelles et collectives. A partir de l’action militante du poète – Président, déroulée sur des décennies, il a été possible de mieux comprendre, je l’espère, sa puissance d’impulsion à travers ses formules désormais assimilées : « Enracinement et Ouverture », « Rendez – vous du Donner et du Recevoir », « Civilisation de l’Universel » « Sens de l’Autre », « Illustration des valeurs de civilisation négro – africaines », etc. Or donc, son attachement légitime à l’esthétique dans ses traductions diverses, notamment celles artistiques, architecturales, littéraires et cinématographiques,  jette un éclairage sur nos besoins de résilience, d’équilibre intérieur, de libre expression, de démocratie, de paix et de fraternité. Si bien que les idées – sentiments du Poète – Président auront traversé le 20ème Siècle, en se destinant tour à tour au peuple négro – africain et aux autres peuples du monde. Au premier il exhortera à une meilleure connaissance, donc à une valorisation de ses lois culturelles originales, pour une émancipation véritable. Aux autres peuples, il demandera l’acceptation et le respect du principe de la diversité fécondante. L’élaboration de la civilisation de l’Universel est à ce prix. Enfin, ayant bénéficié de l’opportunité d’être élu Président de la République, Senghor s’imposera le devoir, devant l’histoire, de transformer sa vision en politique culturelle déclinée en programmes hardis et actions vigoureuses qu’il tenait à suivre personnellement.  Sa démarche est aussi un message à la jeunesse du monde, par – delà celle de la Francophonie. Car, nos efforts de sauvegarde des valeurs de civilisation sont bien le reflet du véritable statut de la créativité culturelle, pour se poser en nourritures spirituelles pour notre jeunesse. En effet, après avoir reçu une éducation digne de ce nom et une formation adéquate, puis un entraînement au leadership et au développement personnel, nos jeunes concitoyens sont en mesure d’accéder plus aisément au champ de l’entreprenariat économique. Il s’y ajoute le développement de la civilisation du numérique, si apte à investir tous nos espaces de vie. Léopold Sédar Senghor, même après avoir quitté le pouvoir, volontairement, n’a cessé de prodiguer ses conseils ni d’exprimer sa disponibilité de poète, pour que fleurisse le dialogue des cultures avec sa condition sine qua non, la créativité. Message ultime de Sédar – Le – Lion!

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En définitive, la vocation de la culture n’est – elle pas repositionnée au cœur du projet de développement économique et social de la nation que représente le Plan Sénégal Emergent ? Le Salon international du Livre d’Alger, en désignant notre pays comme invité d’honneur, ne nous a – t – il pas renvoyé l’image confortée de pays de culture parce que de peuple de grands penseurs ? Rien que cela, vaudrait bien l’expression de la gratitude, de la disponibilité et de la vigilance des créateurs culturels, à l’endroit du Premier Protecteur des Arts et des Lettres du Sénégal. Ses nombreux actes posés contribuent assurément à favoriser l’ancrage de notre pays dans les principes « d’Enracinement et d’Ouverture », de présence au « Rendez – vous du Donner et du Recevoir », de contribution à la « Civilisation de l’Universel », du « Sens de l’Autre » et « d’illustration des valeurs de civilisation négro – africaine ». Y contribue aussi notre « Téranga » mondialement connu et admiré.

Lettre d’Alger, novembre 2019

* Vice – président de l’Université du Troisième

Age du Sénégal (UNITRA.S)







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