Le souhait d’une introduction de l’enseignement des langues nationales dans le cursus scolaire a été exprimé dès les premières années qui ont suivi l’indépendance.
En 1978, l’enseignement du poulaar est introduit à l’université de Dakar comme matière facultative dans un premier temps.
L’enseignement des langues nationales, wolof, poulaar, sérère et diola, est aujourd’hui intégré à la filière des langues à la faculté des lettres et sciences humaines.
D’immenses progrès ont été réalisés dans la maîtrise de nos langues à tous les niveaux, tant du point de vue de la syntaxe que de la grammaire, de l’écriture que du vocabulaire.
Le Sénégal dispose désormais des atouts nécessaires à l’introduction de l’apprentissage généralisé des langues nationales : d’une part les outils de base ont été élaborés et sont bien fixés, d’autres part les moyens institutionnels, humains technologiques pour appuyer un tel projet sont disponibles. Cela peut donc se réaliser, et pour un coût on ne peut plus raisonnable eu égard aux enjeux.
Envisager l’introduction de ce processus d’apprentissage généralisé à l’école primaire.
Tous les enseignants des écoles parlent couramment au moins une langue nationale et peuvent prendre en charge son enseignement.
Il s’agira de commencer par le CP, puis de le poursuivre année après année.
En l’espace de cinq ans, l’ensemble du cycle primaire serait entièrement couvert.
L’enseignant apprendra à maîtriser les outils en même temps qu’il enseignera la langue à ses élèves. Dans chaque région, deux langues seraient obligatoirement enseignées, le wolof (langue communément parlée dans toutes les régions) et une seconde langue au choix plus spécifique à la population de l’environnement, pulaar, sérère ou diola, sans exclure pour autant les autres langues. Chaque langue pourrait disposer d’une heure à une heure trente minutes de cours par semaine prise en charge par l’enseignant ou, exceptionnellement, par un vacataire en concertation avec le chef de village ou de quartier.
Coordonner et accompagner ce processus
Une équipe pédagogique et technique devra bien sûr être créée pour coordonner et accompagner ce projet. Cette équipe devrait être relayée à terme par une commission au niveau de chaque académie. Le rôle de cette équipe sera d’élaborer un programme d’apprentissage par niveau ainsi que de son suivi. Celui-ci n’a pas besoin d’être entièrement prêt pour commencer l’opération. Il suffit de le préparer pour le CP d’abord, puis année après année, en gardant à l’esprit qu’il devra être amélioré en permanence grâce à la remontée des enseignants eux-mêmes et au suivi de la commission chargée spécifiquement de l’élaboration des programmes.
Les outils technologiques permettent d’assurer un tel suivi avec toute la souplesse nécessaire et une réactivité optimale.
Il faut pour cela exclure l’idée d’un programme fixé dans un livre imprimé, à tout le moins durant les premières années de l’opération. Il faudrait au contraire effectuer la transmission par internet des programmes par tranche bimensuelle, ce qui permettrait d’améliorer les tranches précédentes et les suivantes au fur et à mesure de la remontée des critiques et suggestions.
Cela évite la réédition systématique des livres, opération particulièrement coûteuse, et la nécessité d’attendre une à plusieurs années pour en améliorer le contenu, ce qui ne ferait que décourager les acteurs de terrain, favoriser le mécontentement et encourager les inerties.
L’option envisagée ambitionne au contraire à l’excellence, avec la possibilité d’une amélioration systématique et rapide des outils et accompagnements humains.
Une formation des formateurs
Des outils pédagogiques devront être réalisés et mis à la disposition des enseignants. De même que pour les programmes, ces outils, qui devront être simples et très légers, pourront être améliorés régulièrement.
De plus, un ou deux week-ends de formation et d’échanges seraient organisés chaque année à une échelle géographique limitée pour éviter les grands messes et les frais de déplacements et d’hébergement inutiles et coûteux. N’aurait donc à se déplacer que le formateur dont le rôle sera essentiellement de favoriser les remontées d’expérience, les échanges, l’expression des critiques et des propositions pour améliorer et enrichir la démarche.
Un cycle continu de formation par session d’une semaine devrait être mis en place durant l’année scolaire.
Cela suppose, bien sûr, la formation de formateurs, sélectionnés sur la base du volontariat, essentiellement parmi les personnels de l’éducation nationale, actifs ou à la retraite.
Du primaire au collège, puis au lycée
Ces cinq années d’expériences acquises, de plus à une très large échelle, seront un puissant levier pour réitérer l’opération au niveau des collèges tout en l’adaptant à leurs spécificités et contraintes, levier psychologique, levier pédagogique, maîtrise des outils.
En l’espace d’une quinzaine d’années au maximum, nous pourrions obtenir une généralisation de l’enseignement des langues nationales dans l’ensemble de l’Éducation nationale du premier et du second degré, avec la possibilité d’un cursus universitaire spécialisé ouvert à un niveau de licence, master et doctorat, et à terme l’enseignement de certaines matières en langues nationales, comme le font les écoles bilingues.
On peut raisonnablement attendre qu’un tel projet, avec les perspectives qu’il ouvrirait, encouragerait fortement des vocations à poursuivre des études supérieures dont l’objectif est l’enseignement de langues nationales au même titre que le français, l’anglais, l’arabe ou autre.
Favoriser l’édition en langues nationales
Des romans, des essais et autres documents sont édités aujourd’hui en langues nationales. Tous ces écrits restent très circonscrits à quelques cercles intellectuels volontaires et persévérants. L’introduction de l’apprentissage généralisé des langues nationales dans le primaire devra servir de levier pour favoriser l’édition de livres et d’albums destinés à cette tranche d’âge, popularisant par là même la démocratisation de la lecture dans la langue maternelle. Nous n’aurions plus des livres édités à quelques petites centaines d’exemplaires au mieux, mais à des milliers régulièrement réédités comme c’est le cas pour les livres Jeunesse lorsqu’ils sont d’excellente qualité. Cela constituerait un puissant facteur de développement de l’édition et préparerait dans la même logique à l’émergence future de livres pour adolescents puis adultes à grand tirage.
Penser l’édition simultanément pour le livre imprimé et le livre électronique
Les smartphones et tablettes sont aujourd’hui largement présents dans toutes les classes moyennes, voire au-delà. Ils sont ainsi accessibles aux enfants, leur usage est courant dès leur plus jeune âge et ils ne s’en privent pas, bien au contraire.
Leur utilisation est généralement réduite aux dessins animés et aux jeux.
La disponibilité de livres électroniques ouvre un champ nouveau et d’autant plus attractif qu’il sera exprimé dans la langue maternelle. Mieux, cela valorisera naturellement celle-ci alors que la langue valorisée dès cet âge est plutôt la langue française et, quelquefois, anglaise. De fait, dans les classes moyennes, l’enfant a tendance aujourd’hui à s’exprimer en français, les parents projetant déjà l’enfant dans un avenir pré conçu. Cette langue n’est pas seulement valorisée à l’école, mais dans l’intimité familiale où la télévision, la tablette et le smartphone, quand ce n’est pas l’échange entre parents, se diffusent en français.
Loin de moi l’idée de rejeter une quelconque langue étrangère, elles sont sources de richesses irremplaçables. Mais il serait temps de donner toute leur place aux langues nationales. Et ce n’est pas les unes contre les autres, ni même les unes sans les autres, mais les unes avec les autres. L’apprentissage généralisé des langues nationales, la disponibilité des livres et documents en édition imprimée et électronique favoriseront la créativité électronique et la création à terme de jeux électroniques en langues nationales.
La place décisive que représente le numérique dans le monde, tant du point de l’économie, de la communication, de la formation et des échanges de toutes sortes et à tous les niveaux met le Sénégal comme l’ensemble de l’Afrique dans l’exigence de maîtriser ce domaine et ils ne pourront y parvenir qu’en participant activement à son élaboration et à son développement. Cela ne sera possible à grande échelle que par la maîtrise et l’usage généralisé des langues nationales.