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IndÉpendances Africaines, Un Cocasse Harmattan Ininterrompu

Cette année, dix-sept pays africains fêtent le soixantième anniversaire de leur indépendance, dont quatorze anciennes colonies françaises. Nous avons choisi de donner la parole à de jeunes auteurs de la diaspora et du continent, afin qu’ils nous en parlent soit à travers leur expérience, soit à partir d’œuvres africaines qui les ont marqués. Née en 1982, à Douala, au Cameroun, Danielle Eyango est juriste de formation, aujourd’hui en charge du dialogue social au sein d’une grande entreprise camerounaise. Elle est la présidente de la Fondation Kotto Bass – qu’elle a créée en 2015, en hommage à son oncle maternel, feu l’artiste Kotto Bass – qui accompagne notamment les enfants à mobilité réduite. En mars dernier, la Société des Poètes et Artistes du Cameroun lui a décerné le 3e prix Africa Poésie. Intitulé Kotto Bass, comme un oiseau en plein, son premier roman est paru en 2012, aux éditions Protocole. Elle évoque pour nous « l’indépendance de la honte ». Une série proposée par Christian Eboulé.

L’indépendance de la honte ! Je n’étais pas dépendante avant… Debout sous le soleil, je portais déjà en mon sein une vieille tradition égyptienne d’organisation spirituelle, étatique, lettrée et économique, comme l’a raconté feu Iwiyé Kala Lobè dans son livre Douala Manga Bell. Héros de la résistance douala, paru en 1977, aux éditions ABC. J’avais ma propre monnaie et je pouvais compter jusqu’au million, « ndun éwo » disait-on en ma langue duala, bien avant que le premier bateau pâle n’accoste à mon port. 

J’avais une organisation économique établie et florissante, à travers les commerces sur mes multiples comptoirs au bord du fleuve Wouri. J’ai toujours connu Dieu que j’appelle Nyambé, à savoir l’Etre Suprême. D’ailleurs, contrairement à ce que l’on dit de moi, j’ai toujours été monothéiste. J’appelais déjà l’esprit « Mudi ». 

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J’avais le Ngondo, sorte de sénat politico-religieux qui assistait mon Roi dans ses prises de décisions, tout en étant le gardien de la Tradition. Oui, ma Tradition était ma religion. Ma Tradition était ma Constitution. Chez le peuple bamoun, j’avais même déjà inventé une écriture, un alphabet. J’écrivais les mémoires et les hauts faits des grands souverains bamoun. J’écrivais l’histoire de ma nation. Oui, j’écrivais la mémoire de mon peuple. 

J’étais entière et non à compléter. J’étais une adulte émancipée et non en voie de maturité. J’étais accomplie, digne, libre et debout : « Na ta ndé muna wonja ! » di-t-on en duala. Toutefois, dans toute la splendeur de ma civilisation, aucun mot en ma langue ne désigne indépendance ; car j’ignore anthropologiquement ce que c’est. 

Clochardisés, traités de maquisards, les nationalistes de ma terre sont effacés de l’Histoire et du système éducatif depuis 60 années : aucune statue, même pas une statuette. Aucune stèle. Rien. Près de la pagode de Rudolph Duala Manga Bell [le palais construit au début du 20e S., à Douala, par son père, Auguste Manga Ndumbe, NDLR], mon Roi Martyr, se dresse incongrument le monument d’un certain De Gaulle…

Mes martyrs sont ensevelis dans l’abysse de l’oubli.  Je subis un viol incestueux et systémique de ma mémoire collective. Car, le colon m’a donné l’indépendance (Ciel ! Ce mot sonne comme une claque ! Mon orgueil bantou en fait des ulcères !). Je demeure insincèrement emmurée, sous tutelle. Les indépendances ? Un cocasse harmattan ininterrompu, et une sodomie cérébrale de mes richesses plurielles. 

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Ma liberté renaît dans le bouillonnement des jeunes, dans leur orgueilleux fourmillement intellectuel et socio-politique, qui glorifie nos Pères. Elle arrive. Je peux humer sa nidation dans l’air du Temps. Comme grand-mère prophétisait les couleurs des saisons dans l’odeur de la poussière. C’était sa Tradition. C’était son Identité. C’était sa Liberté. Elle savait.







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