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Le Maroc Dans La Cedeao : Au-delà De L’économie, Un Déterminisme Historique

Le Président Macky Sall, lors de son déplacement au Maroc pour participer à la 12ème édition des MEDays, a loué les efforts du Roi du Maroc qu’il a qualifié de «champion de la coopération inter-africaine» tout en précisant que sa Majesté a toujours cherché à «redonner au Maroc sa vocation naturelle d’être africain».

Cet engagement vis-à-vis de l’Afrique, le Maroc ne cesse de le proclamer haut et fort au sein de toutes les tribunes internationales. A ce titre, M. Bourita, ministre des Affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, dans une allocution prononcée à l’ouverture du 3ème Sommet «G20 Compact with Africa» le 19 novembre 2019, a déclaré : «Dire que l’Afrique est une priorité pour mon pays, n’est pas un “statement’’», mais une réalité. Elle est inscrite au centre de la politique étrangère du Royaume.

C’est dans le cadre de sa politique africaine que le Maroc, sous l’impulsion de sa majesté le Roi Mohammed VI, a déposé officiellement sa demande d’adhésion à la Cedeao en février 2017, une démarche hautement saluée par la majorité des membres.

Alors que plusieurs pays voient en cette démarche une preuve de bonne volonté et un gage de sérieux et soutiennent naturellement cette adhésion à l’exemple du Cap-Vert dont le ministre des Affaires étrangères, des communautés et de la défense, Monsieur Luis Felipe Tavares, a déclaré lors de sa dernière visite au Royaume que son pays soutient l’adhésion du Maroc à la Cedeao, malgré les obstacles et les groupes de pression, ajoutant que le Cap-Vert œuvrerait pour que le Maroc obtienne cette adhésion, d’autres pays avancent des arguments économiques, géographiques ou d’une autre nature pour s’opposer à cette adhésion pourtant nécessaire dans le contexte économique et géopolitique actuel.

La complémentarité des échanges prime sur la concurrence

Les détracteurs de l’adhésion du Maroc à la Cedeao avancent l’argument économique qui consiste à dire qu’elle constituerait une concurrence déloyale. On oppose à cet argument deux contre arguments.

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Le premier est d’ordre conceptuel : une concurrence déloyale consiste en l’usage de pratiques commerciales abusives vis-à-vis de la concurrence. L’excellence n’étant pas une pratique abusive, la position du Maroc comme un des leaders économiques au niveau continental ne peut être considérée comme une pratique douteuse, bien au contraire, cette position ne peut être que bénéfique.

En effet, l’arrivée d’une nouvelle offre dans la zone insufflerait une dynamique et enclencherait le cercle vertueux de la concurrence avec le consommateur final comme bénéficiaire indéniable.

Le deuxième argument est d’ordre purement statistique : seulement près de 2,5% des produits échangés entre le Maroc et la Cedeao peuvent faire l’objet de concurrence.

En termes d’échanges commerciaux, le Maroc et la Cedeao échangent près de 4 349 produits. Dont 80,7% sont importés ; ce qui exclut les possibilités de concurrence pour la majorité des produits. Aussi, 11,6% des produits échangés sont des spécialisations du Maroc et la Cedeao en est un importateur net et 5,2% des produits sont des spécialisations de la Cedeao. On ne peut que relever l’existence d’opportunités de complémentarité «souhaitable» pour les deux parties.

Dans une logique actuelle, l’adhésion du Maroc à la Cedeao va dans le sens de la vision panafricaine qui promeut un développement de l’Afrique par l’Afrique en privilégiant les coopérations et les échanges intra-africains.

Une appartenance géographique injustement contestée

Depuis la demande d’adhésion du Maroc à la Cedeao, des voix se sont élevées, brandissant l’argument géographique. Le Maroc, selon eux, est un pays d’Afrique du Nord et non d’Afrique de l’Ouest.

D’une part, sur le plan géographique, le Maroc est indéniablement situé à l’Ouest avec une grande façade maritime qui donne sur l’océan atlantique, et n’est donc pas moins ouest africain que le Nigeria, la Sierra Leone ou même la Mauritanie, qui a été longtemps membre de la Cedeao, et cela personne ne pourra le contester et d’autre part, le Maroc n’est pas le seul pays à faire partie de plusieurs groupement régionaux. D’autant plus que ces groupements régionaux ne sont que des étapes dans la longue marche vers l’unité du continent qu’annonce la Zleca, donc le protectionnisme et les barrières géographiques sont anachroniques.

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Par conséquent, cela nous amène à penser que derrière cet argument dit d’appartenance géographique se cache une théorie, léguée par la colonisation, qui a malheureusement la dent dure en Afrique et qui oppose l’Afrique dite «Blanche» à l’Afrique dite «Noire». Cette théorie est non seulement insensée, étant basée sur des considérations purement ethniques et de surcroît erronées, mais elle est également contre-productive et dangereuse, car nuit à cette unité africaine nécessaire et sans laquelle le continent ne pourrait se développer, l’heure étant au rassemblement et non à la division.

Le «temps», un argument

à double tranchant

Peu après son retour à l’Union africaine le 30 janvier 2017, le Maroc a officiellement fait acte de candidature à la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest en février 2017.

On a reproché au Maroc son attitude jugée trop hâtive, une critique qui est vide de sens.

Tout d’abord, le Maroc est connu pour être un pays qui tient ses engagements et qui s’implique dans tout ce qu’il entreprend. La présentation de sa candidature à la Cedeao à ce moment tombait sous le sens et montre que le Royaume prend très au sérieux son retour à l’Ua. Elle démontre aussi une grande cohérence dans la politique africaine du Maroc qui se veut ambitieuse, claire et engagée. A mon sens, une attitude contraire à celle-ci aurait pu être annonciatrice d’un certain laxisme et susciter des questionnements sur les véritables motivations du Royaume.

Ensuite, on peut poser une question très simple qui est «Pourquoi attendre ?», trop de temps a déjà été perdu et l’heure aujourd’hui est à l’action et non à l’attentisme stérile. Quel aurait été l’intérêt du Maroc, et de la Cedeao d’ailleurs, d’attendre ? Une manœuvre stratégique peut-être ? Le Maroc ne veut pas de ce type de relations avec les pays africains, il a davantage le désir de mettre en place une coopération sincère, loin de tous subterfuges politiques.

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Enfin, il serait important de préciser qu’il ne faut pas confondre empressement et souci d’efficacité. Faire acte de sa candidature à la Cedeao dans la foulée de son adhésion à l’Ua ne prouve en aucun cas un quelconque empressement, bien au contraire le Maroc est prêt à accorder le temps qu’il faut aux Etats de la Cedeao pour étudier son dossier et statuer dessus, mais met en exergue une recherche d’efficacité nécessaire et utile.

Sachant que le Royaume du Maroc est d’ores et déjà très présent économiquement sur le continent africain, il est en effet le 2ème investisseur africain dans le continent et le premier dans la région de l’Afrique de l’Ouest, l’adhésion du Maroc relève plus de la simple officialisation d’un état de fait, mais une officialisation qui reste indispensable. Aussi, en prenant en considération que le Maroc regarde l’Afrique comme l’a déclaré M. Nasser Bourita «à travers la lunette de ses intérêts, et non pas la lunette d’autres intérêts, quels qu’ils soient», ce qui est une preuve de pragmatisme, il apparaît que l’adhésion du Maroc à la Cedeao n’est qu’une question de temps, car au-delà de l’évidence économique, c’est un déterminisme historique qui permettra au Royaume d’être un pont entre la Cedeao et l’Union du Maghreb arabe.

Sarah BOUKRI

Docteur en Sciences Politiques

Experte au NewMed Research Network

Membre de l’Institut Marocain des Relations Internationales

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