«On ne peut pas faire son temps et prétendre faire celui de ses enfants. » C’est la réponse d’Alpha Oumar Konaré, l’ancien président malien, à des journalistes qui l’interrogeaient sur ses intentions avant la présidentielle de 2013. Sage adage dont pourraient s’inspirer nombre de nos chefs, en Afrique centrale notamment, puisque c’est le mauvais élève, en la matière, de notre continent.
Car la question de la longévité au pouvoir des hommes politiques et du renouvellement des générations de dirigeants de tous bords est délicate. Elle est aussi… vieille comme le monde. L’enquête que nous consacrons cette semaine aux ambitions contrariées des quadragénaires de la classe politique ivoirienne en atteste. La plupart racontent les écueils, les chausse-trapes et les résistances auxquels ils ont été et restent confrontés. Mais le problème est identique, voire plus aigu sous d’autres latitudes.
L’expérience mais plus les capacités
En Algérie, par exemple, qui attend désespérément que la génération de l’indépendance et celle qui a suivi passent la main. Et aussi au Cameroun, où la plupart des hauts postes de dirigeants sont accaparés par des gérontes.
Et ce n’est pas seulement une question d’état-civil. En Afrique comme ailleurs, la moyenne d’âge des présidents est légèrement supérieure à 60 ans. Partout dans le monde, on a vu réussir de « jeunes » chefs d’État, comme d’autres pourvus d’une longue et riche expérience. Pas question, donc, de faire du jeunisme à tout prix, mais il va de soi que, plus le temps passe, plus on doit affronter de sérieuses difficultés physiques et/ou intellectuelles.
La vitalité d’un homme ou d’une femme de 80 ans n’est plus la même qu’à 50 ans. Les anciens savent, sans doute, mais ils ne peuvent plus. En tout cas pas suffisamment pour exercer d’aussi lourdes responsabilités. Surtout, comment pourraient-ils rester en phase avec des administrés en moyenne trois ou quatre fois plus jeunes qu’eux ? Comprendre leurs aspirations et l’évolution de leurs modes de vie ? S’adapter à des changements sociétaux beaucoup plus rapides que naguère ?
Rôle néfaste
À vrai dire, le vrai problème est moins celui de l’âge que de la longévité au pouvoir. Car ce dernier use, isole, déforme la perception de la réalité. Au bout de dix, vingt ou trente ans (suivez mon regard), ils sont immanquablement rattrapés par leur hubris : ils se croient indispensables et tout-puissants. En ces circonstances, l’entourage des chefs joue le plus souvent un rôle néfaste.
Pour conserver leurs privilèges, conseillers, ministres et thuriféraires s’emploient à convaincre le « patron », mais aussi ses concitoyens, que le pays a encore besoin de lui. Qu’il lui faut parachever son œuvre. Que personne n’est à son niveau et ne peut rêver s’en approcher un jour. Argument spécieux s’il en est : comment une nation pourrait-elle dépendre à ce point d’un seul homme, aussi providentiel soit-il ? Comment ce qui n’a pas été fait en quinze ans pourrait-il l’être au cours d’un nouveau mandat ? Quel constat d’échec !
Il faut aider les hommes de pouvoir à s’autolimiter, à apprendre à passer la main. « Seul le pouvoir peut arrêter le pouvoir, mais il est clair que si un seul, ou un clan, monopolise le pouvoir de légiférer, de décider et de juger, il risque fort d’y avoir une corruption du système », écrivait déjà Montesquieu. C’est peu dire. La plupart de ceux qui s’accrochent à leur poste modifient à loisir la Constitution pour pouvoir briguer un énième mandat.
Généralement au dernier moment… Ils le font aussi parce qu’ils ont peur de l’avenir. Le leur et celui de leurs proches. Certains s’efforcent quand même d’organiser leur succession en respectant les règles. Hier, ce fut le cas du Mauritanien « Aziz ». Ce sera sans doute celui, demain, du Nigérien Issoufou. Ce n’est certes pas la panacée, mais c’est mieux que rien…
Marwane Ben Yahmed est directeur de publication de Jeune Afrique.