Entre Montpellier, Paris, Dakar et Mont Rolland son village natal, Dread Maxim est à la recherche d’un second souffle. Au téléphone, pour notre entretien, sa voix est restée la même : chaleureuse, hésitante au début mais progressivement plus à l’aise. Avant une tournée au Sénégal pendant la période festive de noël dans le cadre du Sen Jamm festival, l’artiste mesure à peine, dans un mélange d’humilité et de détachement, ce qu’il a pu incarner pour nombre de sénégalais au début des années 2000 : une grande source de bonheur. De nombreux mélomanes et admirateurs, sevrés brutalement, sont partis à la recherche de ce chanteur de qui ils espèrent une renaissance après près de 15 ans de discrétion. Parcours et portrait.
C’est en 2003 que le grand public sénégalais découvre les locks et la voix chaude de Dread Maxim Amar. Jah Fire, le titre de l’album qui le propulse, est alors un pari audacieux qui se révélera être une belle promesse. Pour qui s’y intéresse, séduire avec le reggae n’est pas une mince affaire dans le paysage national vampirisé par le Mbalax. Pourtant l’artiste déjoue les pronostics. Une entrée fracassante, portée par une écriture, une patte artistique, une véritable poésie ; un message d’espoir et de combat que subliment une voix presque candide et des notes entrainantes. Les quatorze titres qui composent l’opus ne tardent pas, dès la sortie en janvier, à inonder les ondes des radios et à s’entendre dans les airs que fredonne l’agora. On s’échange alors des cassettes, des disques que l’on grave clandestinement, accompagné par ce garçon qui booste le timide créneau du reggae. Malgré les contours de ce succès naissant en 2003, Dread Maxim reste pourtant pour beaucoup une énigme, de quoi alimenter le puissant mystère : un chanteur presque sans visage en ce temps, à la veille de l’ère numérique, où la vidéo n’est pas un réflexe. Pour les images et toucher du doigt à l’icône, il faut prendre son mal en patience quand on n’est pas familier des scènes où il joue : au mieux sur la couverture de l’album, où l’on voit à peine les traits pleins de pudeur de ce visage redessiné, mangé par d’imposants rastas qui lui chatouillent le dos, et cette silhouette fine, rêveuse, aérienne ; la carcasse fragile qu’elle dessine et qu’on aperçoit dans un des rares clips disponibles. Ce retrait dope le mythe. Sa voix et ses textes restent ses empreintes.
Un coup d’essai, un coup de maître
Le contexte y est pour beaucoup dans l’attachement et l’amour que le chanteur suscite. En 2003, l’emblème de l’album, c’est la chanson Joola, requiem-hommage aux disparus du naufrage survenu une année plutôt. Une chanson qui pique aux tripes et presse à la communion, avec des notes intimes et bouleversantes, comme cet hommage à Las MC, rappeur talentueux venu des Parcelles Assainies, et ami du chanteur, mort dans un accident de scooter. Ils prévoyaient un album ensemble. Quelques jours avant, confie-t-il, ils planchaient ensemble sur ce projet : à Dread les mélodies, à Las MC, le rap. Las MC lui avait même montré son nouveau scooter. Beaucoup de souvenirs, les proches disparus, comme cette équipe de minimes de football, morts dans le bateau, le hantent encore. Ils les chantent tous. Sensibiliser est l’autre engagement du jeune chanteur. Il leur dédie alors cette longue prière aux morts, avec en notes d’ouverture de l’éloge funèbre, ces mots : « la faucheuse une fois de plus a frappé fort… ».
Ecouter cette chanson, la vue sur l’avenue des 54 mètres de Ziguinchor, qui mène au cimetière de Kantène où reposent quelques corps des victimes de la catastrophe, c’est prendre avec soi un morceau d’histoire. S’il a investi tant dans cette chanson, c’est que cela faisait écho à des émotions personnelles. Le but est atteint pour le chanteur, « soucieux » de chanter pour « toucher », « émouvoir », inciter à « l’éveil des consciences » et chanter pour ne « pas oublier ». On retrouve cette même fibre dans toutes les chansons, d’une égale qualité sans jamais s’essouffler. Lir bi que le chanteur a écrit en hommage aux enfants démunis, peint une enfance volée, Mbollo met en scène une chorale pour l’unité, Jah Fire ose une spiritualité revisitée, To be one esquisse les contours du rêve panafricain…Tout l’album, le premier qu’il écrit et compose entièrement, est habité par ses joies et ses démons personnels. Un chef d’œuvre qui reste frais dans les mémoires comme une tranche du début du millénaire, miroir alors dune jeunesse désireuse de transformation.
Le chemin de la révélation
Dread Maxim le sait mieux que quiconque : écrire un album entièrement, donner libre cours à son inspiration, ne subir aucune intrusion des producteurs, est un privilège rare dans le milieu. Il l’a appris précocement. Dès 1999 en effet, pour son premier album, produit par un allemand, il doit faire dans le compromis. Le chanteur qui rêve de reggae doit composer avec la logique du marché et les genres porteurs comme le rap et la pop. L’album Révélations, au titre quasi-biblique, baptisé ainsi pour décrire l’envol, touchera les mélomanes et bien plus encore, mais son cercle d’irradiation restera plus limité que Jah Fire. L’album est bien reçu, le talent sûr, les professionnels conquis, mais il y a comme un goût d’inachevé, le sentiment de ne pas avoir eu la main sur tout le travail. Quelques chansons, rescapées, renaitront dans Jah Fire après une première naissance dans Révélations. Plus personne ne se pose vraiment la question : Dread Maxim est le joyau du Reggae. Aïsha Dème, observatrice fine de la scène musicale et activiste de la scène culturelle, se souvient de Dread Maxim comme « un des meilleurs produits du reggae qu’on ait eu au Sénégal, celui qui a su fédérer une très grosse masse (pas seulement les puristes ou public classique des sound system) ». Elle se souvient encore plus de la générosité et de l’énergie du chanteur sur scène en se demandant « qui n’a pas aimé les chansons de Dread Maxim et les ambiances folles de ses concerts ? Il savait toucher son public, par ses mots, ses thèmes, sa musique. » Depuis, l’artiste a connu une baisse de régime. Presque disparu des radars, forcé à la discrétion. La question est sur toutes les lèvres alors : pourquoi, depuis 2003, un autre album n’est-il pas venu confirmer la promesse de ce début tonitruant ? Dread Maxim répond sans détour : il n’a pas de producteur. Peu armé, avec un entregent mince, il a eu des propositions, de grandes sollicitations, mais l’amateurisme et la restriction de sa liberté, ont eu raison des collaborations envisagées.
On pourrait sans doute se suffire d’une telle réponse, honnête et sans dissimulation, d’autant plus qu’elle n’est pas le signe d’une résignation, mais plutôt un symptôme de l’univers fragile ou embryonnaire du reggae qui peine à faire son nid. Ce que confirme Aïsha Dème, co-fondatrice du site Agendakar.com : « la scène reggae nationale est dure, elle n’est pas vendeuse. Les seuls moments où on les programme en concert c’est pour faire la première partie d’une tête d’affiche internationale. Sinon il faut organiser soi-même son concert, depuis que le just 4U (salle dakaroise) est fermé on ne les programme plus, cette scène est quasi inexistante. Il y a pourtant des musiciens et un backing band au moins de disponible à ma connaissance. Bref le reggae n’est pas vendeur ». Il y a aussi, plus incernable, l’établissement de cercles restreints qui ont la mainmise sur les productions, ce qui ne manque pas d’agacer le chanteur qui fustige un « entre-soi » et la prime accordée au « divertissement ». La monomanie de la scène musicale sénégalaise est une critique largement partagée. L’impression d’une scène figée dans la cire, avec l’irruption de personnages fantasques sur la scène, le goût immodéré pour les paillettes, sont devenus l’identité d’une scène nationale qui pousse bien souvent le talent à s’exporter pour être reconnu. Destin commun de beaucoup de chanteurs de reggae, note, la promotrice culturelle qui plonge dans ses souvenirs : « On a eu ARRA, Akibulan, excellents (et aussi ces gars qui marchent bien en Europe comme le très talentueux Meta), mais seul Dread Maxim a pu lever tant passion et de foule au Sénégal. Peut-être que la renaissance viendra de lui s’il arrive à rebondir. » Le salut se trouvera-t-il ailleurs, dans cet occident faiseur de destin ? Rien n’est sûr mais Dread Maxim, désormais partiellement établi en province, dans le midi de la France, garde espoir. Dans ce mélange d’infortune personnelle et de paysage musical exsangue, le chanteur opte pour la patience. Et pas question pour lui de se travestir, de s’offrir au premier venu, il cultive ainsi un attachement à certaines valeurs qu’il a réaffirmées tout au long de l’échange.
Le berceau et les mentors
Direction Mont Rolland, village au nom plein de charme, terre chère à son cœur, pour percer à jour la nature et l’origine du chanteur. Vers Mboro, sur la côte, dans la région de Thiès. C’est là-bas que naît le chanteur. Son grand-père, chanteur lors des battages et des récoltes, laisse un grand souvenir dans la mémoire locale. Un talent bien connu, qui a perlé de génération en génération. Dread Maxim apprend au village l’importance des « liens avec la nature », ses clips font corps avec elle. L’importance aussi de la communauté de classe d’âge, l’attachement à la langue et à la culture sereer. Ces valeurs humaines essentielles deviennent vite pour lui à la fois le berceau et l’objectif, le rétroviseur et l’horizon. Il met un honneur à les entretenir. Dans ses chansons, apparaissent régulièrement des incursions dans beaucoup de langues nationales, le mélange entre le français, le wolof et l’anglais, d’un couplet à un autre. Pour cet enfant qui a chantonné « toute son enfance », l’oreille familière des notes de Soul qu’écoutait le père, et de la variété française qu’écoutait sa mère, le chant est l’art premier. Il chante à s’user les cordes vocales. D’abord de petites scènes dans les écoles, dans un groupe, Family MC, où son talent séduit vite la bande. Fêtes d’écoles, radios, événements festifs, les premiers cachets tombent et la vocation se précise. Pour le pensionnaire du collège Saint-Gabriel, institution prestigieuse de la région, le dilemme s’annonce rude : il est bon à l’école et ses parents – son père ouvrier, sa mère institutrice – souhaitent pour lui un destin de premier de classe. D’autant plus qu’en plus d’être studieux, le garçon a hérité du talent du père. Il est fieffé bricoleur, dégourdi, la main experte. Il y a un choix à faire. Et ce choix se dessine clairement en classe de seconde, grâce à de petits détails. Le désir de liberté qui affleure avec l’âge pousse le garçon modèle à adopter des dreads locks, coiffure vue dans la légende populaire comme signe de perdition. Le chanteur a une excuse : il a « un cuir chevelu fragile. » N’empêche, cette désinvolture ne plaît pas à la maison. Ses parents qui misaient de grands espoirs sont décontenancés par le choix du garçon. La vocation et l’envie gagnent, Didier Maxime Mbengue, sa véritable identité, fait sa mue, il sera chanteur, malgré tous les avertissements.
Direction ensuite la capitale, Dakar, pour se façonner un destin pour le chanteur qui a des idoles chantres du genre : Bob Marley, qu’il chante, « is in the center of what we do » même admiration pour Peter Tosh, le comparse du jamaïcain. En Afrique le reggae contestataire a aussi ses gloires, Alpha Blondy, Lucky Dube, et Tiken Jah Fakoly. Dread Maxim adore les deux premiers, reste évasif ou silencieux sur le dernier. Fort de tant de mentors, c’est dans l’émission Talents Nouveaux de Michaël Soumah, faiseur de destin depuis les années 80 à la radio, que son rêve s’esquisse. Le Hip Hop est alors un mouvement en plein essor dans les radios de la bande FM, et pour lui qui est encore flexible, le reggae peut faire bon ménage avec le rap. Il affine son style, écrit à l’instinct. Impossible pour lui de produire sur commande, il lui faut être surpris et envahi par l’inspiration. Ses thèmes favoris apparaissent dès le début, l’humain pour l’humain, la musique au service d’une cause, un vecteur ; une écologie intégrale aussi avec une célébration de la nature, et la vitalité d’un esprit et un rêve de gosse. L’écriture est rêveuse, certains diront naïve, mais elle assume un tropisme de l’espoir avec des incursions dans le message politique. Dans l’album pour l’heure testament Jah Fire, une fibre panafricaine s’affirme aussi comme une quête de l’auteur. To be one, un des titres, est l’hymne continental, une ode sur un désir d’unité en friche à l’échelle du continent.
Quête de rebond et nouvelles promesses
A l’écouter, on reste frappé par une endurance et une patience chez le chanteur. En 2010, il avait écrit et composé un album entier, Musical Life, dont le clip phare, est mis en ligne. On y retrouve les ingrédients qui ont fait le succès du premier. Il avait obtenu les promesses d’un producteur qui n’avait « qu’un studio », et qui n’assurait rien d’autre en termes de « promotion ». Aventure avortée, il a laissé les chansons en vie dans un tiroir, et en fait don à quelques scènes au gré des concerts qu’il offre entre la France et le Sénégal. Plus important, Dread Maxim ne renonce pas. Il travaille. Il est combattif et sait que son talent ne sera probablement jamais atteint par la péremption. La patience est aussi synonyme de réajustements, de correction sans doute des erreurs du passé, à l’affût des opportunités, du producteur qui misera sur lui.
Un bref espoir était né à l’occasion de l’album Reggae de Youssou Ndour, Dakar – Kingston. Le reggae man partage alors, lors de la promotion de l’album de l’égérie de la musique sénégalaise, une émission de radio. A la question de savoir pourquoi il n’a pas invité des artistes locaux, l’ogre Youssou Ndour répond qu’il ne travaille qu’avec des chanteurs à « la renommée internationale ». Camouflet et déception pour l’aspirant qui garde depuis des sentiments mélangés sur le chanteur du groupe Super Etoile et magnat du groupe Futurs Média. L’anecdote est passée. Pas de rancœur, il a toujours eu sur la scène musicale un amour fou pour Diego, Souleymane Faye, dont il aime la folie, la personnalité, la carapace sans fards, mais aussi pour Cheikh et Ismaël Lo, avec qui il partage une forme de poésie mélodieuse, mélancolique et authentique. Un autre espoir récemment, plus exaltant, c’est un concert de l’autre étoile montante Faada Freddy, avec qui il chante lors d’un concert à Cergy. Un signe de quelque chose qui se mijote ? On croiserait presque les doigts. Bonne nouvelle, pour 2020, l’auteur prépare ses 20 ans de carrière avec Jah Fire 2.0. Pour contourner les obstacles de la production, Internet est pour l’heure, un monde de recours et de secours. Pour les fans, ce ne sera qu’anecdotique, pourvu qu’il y ait l’ivresse…et la reconnexion !
Note plus personnelle, écrire sur Dread Maxim, repartir sur ses traces, c’est pour moi une manière de faire hommage à une idole de mon adolescence. Avec Pacotille et Ndongo lô, j’avais mes compagnies les plus fidèles. Ceux dont je connaissais les chansons par cœur. Son album a été une de mes seules joyeuses obsessions musicales pendant longtemps à Ziguinchor. J’ai toujours été admiratif des chanteurs de cette dimension plus modeste et l’ai écrit dans une chronique ancienne. Plus qu’un portrait, c’est un témoignage, l’expression d’une gratitude et d’une admiration.
Illustration : Ibou Lo