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20 Décembre 2001 – 20 Décembre 2019 : 18 Ans Que Senghor Attendait Sa «sopé» !

20 Décembre 2001 – 20 Décembre 2019 : 18 Ans Que Senghor Attendait Sa «sopé» !

Mon cher poète, ils étaient tous là, venus dire à votre épouse si tant aimée combien nous aussi nous l’aimions. Le Président Macky Sall et son épouse étaient là : Marième Faye Sall, belle et si élégante elle aussi, dans sa robe de mousseline noire.

Mon cher poète, le Président Sall a «la courtoisie et l’intelligence du cœur». Il vous a construit en lui une bien belle maison, car tout ce qui vous touche le touche et nous pouvons en témoigner de par les actes posés et accomplis, à chaque fois que nous avons porté à sa connaissance nos difficultés de remplir les missions de la Fondation Lss. Nous ne battons pas le tam-tam pour Macky Sall, encore que vous nous avez appris à le battre pour ceux qui accomplissaient des œuvres de beauté. Disons simplement que nous ne faisons rien d’autre ici en citant le Président Sall que de montrer du doigt le nid protecteur et désigner l’oiseau qui l’habite. Qui honore Senghor, Dieu l’honore ! Mon cher poète, le gouvernement aussi était présent. Les Généraux étaient présents, ceux dont vous disiez qu’ils ne faisaient pas de coups d’Etat militaires, parce qu’ils lisaient le latin et le grec, dans le texte. Le Peuple sénégalais était présent. Abdou Diouf que l’âge rend si joliment argenté et dont la présence dans cette cour de l’hôpital Principal, après Verson en Normandie, en ce triste jeudi du 28 novembre devant le cercueil de Colette, nous a rembobinés le film de la vie d’un jeune administrateur choyé par les dieux et dont vous avez tissé le parcours, fil après fil, de bout en bout, avec générosité. Avec son épouse, Madame Elisabeth Diouf, ils ont honoré la mémoire de Colette Senghor sans épargner au cœur fragile de l’âge le dernier de leur énergie. Ainsi, le temps apaise, réconcilie et retient mieux ce qui est beau à nommer.

Il était là l’invincible Mous­tapha Niasse. Quel verbe et quel adjectif nous faudrait-il aller chercher dans des dictionnaires encore à écrire pour dire sa fidélité à Léopold Sédar Senghor et sa présence soutenue partout où votre nom est sur une langue ? Moustapha Niasse habite votre nom, mon cher poète, et de ce nom il a fait un trophée qui le précède partout dans la lumière, le savoir et l’éloge. Il vous aime. Dans son dictionnaire intime, à la lettre «A», vous prenez la place du mot «amour». Le maire de Verson, Jean Marie, était là avec les proches de Colette. Ce maire doit être salué. Il a veillé sur votre épouse comme si vous y étiez. L’infatigable Bosio aussi, les bras et le cœur chargés de tant de vos miroirs, était là. En somme, ils étaient venus de partout, tous rassemblés autour de Colette : «Divers de teint […] couleur de café grillé, d’autres bananes d’or et d’autres terres des rizières», comme vous le chantiez avec merveille.

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Mon cher poète, n’ont pas manqué les membres de la Fondation Lss, conduite par cet autre enfant magique de Joal, notre frère si bien-aimé Raphaël Ndiaye. Il fut le maître de cérémonie devant le cercueil de Colette et la cérémonie a été belle, haute et fervente. Chaque femme, chaque homme, chaque visage dans cette cour de l’hôpital en ce matin de novembre était une prière. C’est ainsi que nous avons voulu «livrer non aux ténèbres, mais à la lumière un être resplendissant qui chaque jour nous offrait une étoile». Telle était Colette Senghor.

Mon cher, si cher poète, je sais que le temps vous manquera pour lire cette lettre. Vous êtes d’avance pardonné. Prenez votre temps ! Oui, Colette est arrivée et tout chante au ciel. Vous êtes tout à elle et le fils Philippe Maguilen ne se lasse pas de dormir dans les bras de sa maman qui lui a tant manqué. Vous voici enfin réunis et un tel bonheur laisse peu de place à d’autres regards.

La famille Senghor, toute ta famille mon cher poète avec la si bien-aimée Hélène Senghor, ont régenté sur du papier musical cet émouvant et puissant hommage à votre épouse Colette Senghor. Elle était si heureuse dans son cercueil. Nous savons que vous étiez là dans cette cour de l’hôpital Principal. Nous vous avons senti très pressé. Vous aviez hâte d’être enfin seul avec elle et Philippe. A la cathédrale, vous êtes venu écouter avec ferveur la messe et vous chantiez avec les nombreux amis et fidèles venus accompagner la Normande «aux yeux pers». Au cimetière de Bel-Air où les chants ont également bercé tous ses habitants du grand sommeil, nous vous avons vu sourire quand le cercueil finissait d’être installé dans le caveau, des gerbes de fleur avec. Les maçons ont remis les briques avec soin, refermé la dalle dans la prière et la ferveur des cœurs. Et le silence a pris toute la place.

En franchissant le portail du cimetière avec les derniers accompagnateurs pour vous laisser seul goûter enfin aux retrouvailles, nous vous avons entendu chanter et louer le Seigneur d’avoir de nouveau Colette dans vos bras. Nous n’allons plus pleurer. Nous restons éblouis dans la splendeur de ce mystère de novembre : née en novembre, Colette Senghor nous a quittés en novembre et vous évoquiez dans vos écrits les retrouvailles de novembre : «… tes yeux en novembre comme la mer d’aurore autour du Castel de Gorée / Tu viendras et je t’attendrai à la fin de l’hivernage / … Je te ramènerai dans l’île de Tabors / Que tu connais : je serai la flûte de ma bergère /.»

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N’est pas Senghor qui veut ! Et si l’on croit qu’il n’est pas difficile d’être Senghor, le plus difficile est de le rester !

Avec Boucounta Diallo, dans la voiture qui nous ramenait aux «Dents de la mer» pour y recevoir avec la famille les condoléances des Sénégalais émus, nous avons entendu votre insistante question : «Alors, et Joal ? Nous serons cette nuit en route. Hâtez-vous, et ne tardez point !»

Mon cher poète, votre famille, cette magnifique famille Senghor, n’a pas oublié et votre vœu et celui de Colette. Elle prépare le voyage et il sera beau le voyage vers «Joal-l’Ombreuse / Sur la colline au bord du Mamanguedj / près de l’oreille du sanctuaire /».

Non, nous n’avons pas oublié que nous devons vous coucher «sous Joal-la-Portugaise / … entre le Lion… et l’aïeule Téning-Ndyaré /». Et comme vous l’avez écrit vous-même : «… Là-haut chanteront les alizés sur les ailes des palmes / … je dors et ne dors pas / … Et Marône la Poétesse ira rythmant / Ci-gît Senghor, fils de Dyogoye-le-Lion et de Nyilane-la-Douce / Si fort il aima le pays sérère, les paysans, les pasteurs, les pêcheurs, les athlètes plus beaux que filaos et les voix contraltos des vierges, qu’à la fin son cœur se rompit. / … Et vos chants le bercèrent sous la terre maternelle.»

Oui, la terre maternelle vous attend. Oui, votre famille vous a entendu et à la suite de Moustapha Niasse, nous avons aussi témoigné pour que Joal soit la route qui ouvre les alizés pour les pèlerins nombreux qui, demain, prendront toutes les routes du monde vers le chemin du sanctuaire pour venir vous embrasser et prier, prier, prier pour vous.

Tiens, un moment émouvant à vous rapporter, mon cher poète : la visite du Président Abdoulaye Wade venu présenter ses condoléances à la famille Senghor dans votre résidence. Son discours était celui de Abdoulaye Wade. Il n’a pas failli à sa légende de «Djombor» ! D’une voix traînante et avec une apparente belle santé, le vieux samouraï a loué Colette Senghor et dit tout le bien dont elle l’avait entouré. A vous qui avez hanté son rétroviseur de Président en exercice, il a témoigné et dit son admiration et son attachement. Nous nous sommes alors rappelés de votre enseignement : «Dépassement n’est pas supériorité, mais différence dans la qualité.»

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Moustapha Niasse, éloquent et inspiré, dira au savoureux patriarche, l’utopiste fondateur, le merci d’altitude de toute la famille Senghor. Ensuite, le Président Wade a tenu à prendre une photo devant votre statue sur la corniche, humble monument que j’avais enfin réussi à y ériger après moult obstacles. Un sympathique dîner a été servi à la famille Senghor par le Président Wade, à son domicile situé à deux jets de pierre des «Dents de la mer». Nous étions à sa table avec François Collin, Boucounta Diallo, Miguel Senghor, Habib Sy, son ancien directeur de Cabinet. Constat : Abdoulaye Wade a honoré jusqu’à la dernière côtelette de mouton le méchoui servi. Le vieux lion a encore de l’appétit et des dents. Tout le monde est averti. Il nous a entourés d’une tendresse infinie.

Mon cher poète, nous avions coutume de vous faire le point sur l’état politique du monde et sur tous les continents, en commençant par le Sénégal, ce pays qui vous garde dans sa mémoire fondamentale. Nous ne dirons rien, mais il n’est plus possible de se taire. Notre salut est dans notre unité. Il nous faut aussi préparer à construire la longue échelle pour remonter du fond de la fosse boueuse et nauséabonde de l’indiscipline et de l’inconfort moral. Il nous faut «économiser Dieu» et nous prendre nous-mêmes en charge en travaillant davantage, déserter l’arbre à palabres, supplier la politique à retirer ses robes en haillons.

Monsieur le Président, mon si cher poète, prier aussi pour nous ! C’est un vendredi ce 20 décembre 2019. Je connais le poids de votre foi et l’universalité de votre cœur. Notre terre n’est pas belle. Elle a mal et Dieu ne sourit plus. Nous vous laissons maintenant jouir de vos retrouvailles avec Colette et que l’amour, comme hier, triomphe !

Mon cher poète, où que nous allions de par le vaste monde, nous avons toujours avec votre nom, devenu un visa, notre «billet retour». Vous nous avez construit une mémoire du retour avec ce vaste royaume d’enfance, bruyant, pierreux, mais beau : notre Sénégal.

Nous vous avons beaucoup, beaucoup aimé Sédar et aujourd’hui encore, plus qu’hier.

Oui, c’est bien avec votre disparition qui n’est pas une disparition, vous l’éveillé dans l’invisible, que commence votre vraie vie. Vous resterez toujours pour nous une quête, un désir. Dormez donc ! Sur la route vers Joal, dormez ! Nous veillerons sur les livres et nous prêterons l’oreille à ta voix, dans le concert des alizés.

Amadou Lamine SALL Poète

Lauréat des Grands Prix de l’Académie française

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