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Emergence Économique Et Politique Culturelle : L’exemple Du SÉnÉgal

En 2014, le Plan Sénégal Émergent (PSE) est mis sur orbite dans un horizon de vingt ans. Parmi tous les leviers activés, le paradigme « culturel » est assurément l’un des aspects les plus difficiles à cerner, l’économie étant souvent opposée à la culture, à tort ou à raison (…)

Malgré le débat contradictoire passionné et passionnant (…) les deux concepts se confondent parfois pour n’en faire qu’un (…) la culture dans l’indice de développement connaît des fortunes diverses. Certains la considèrent comme une simple activité de divertissement, d’autres comme un objet de luxe destiné à une certaine élite (…) il faudrait avoir une claire conscience de la complexité polysémique qui entoure le concept de culture et amorcer un travail de discernement entre « culture » et « culture » (…) Étant à la fois le substrat et le déterminant les plus caractéristiques de l’Homme [valeurs identitaires et expressions], la culture est partout présente (…) tout développement est processus.

 Tout processus est changement. Tout changement est à la fois acculturation et mutation. Il y a acculturation et mutation lorsqu’une culture s’estompe peu à peu [absence] au profit d’une autre culture [re-génération]. En cela, tout programme visant à agir sur les populations, à les faire agir et à transformer leur mode de penser et d’agir, leurs comportements et leurs conditions d’existence, appelle inéluctablement des transformations à caractère culturel (…) la mise en œuvre du PSE nécessitera des séries de transmutations culturelles génératrices de nouveaux comportements et de plus de performances sociales et économiques pour un mieux être des populations. Au regard du caractère transversal de la culture, de sa complexité sémantique et de son pouvoir de construire, de déconstruire et de reconstruire, serait-il réaliste de « penser le développement » sans « penser la culture de ce développement » ?

A la suite de l’examen du contexte dans lequel est adopté le Pse, la réflexion portera sur ce qui pourrait faire passer ce référentiel d’un projet « économique à soubassement culturel » à un projet « culturel à vocation économique ».

(…) le Pse émerge d’un contexte marqué par une série de dysfonctionnements sur des questions liées à la démographie, à l’économie, à la pauvreté, aux territoires, au choc des cultures, à la dépréciation de certaines valeurs, à la crise d’autorité, à la disparité entre Dakar et l’intérieur du Sénégal,  (…) ces crises d’ordre financier et économique ont profondément affecté les systèmes de valeurs culturelles, sociales, identitaires et les modes d’expression, de production et de diffusion de la culture (…) 

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Le monde subit des mutations profondes et cette logique de mutation provoque une sorte de dérèglement (…) Le secteur des arts et de la culture devient ainsi le champ de prédilection de nouveaux acteurs peu ou pas au fait des enjeux mondiaux (…) Ce contexte de sauve qui peut tous azimuts vers les médias et les arts a son revers (…) une nouvelle forme de libéralisation professionnelle qui contribue (…)  à banaliser la production culturelle et les statuts des corps des métiers de la culture. Une sorte de star-système d’une genre assez particulier (…) D’autre part, par la force de clichés du genre « l’art ne nourrit pas son âme » qui ont fini de s’incruster dans la conscience collective et qui entravent sérieusement le processus d’émergence de territoires créatifs (…)

Au grand dam des principes élémentaires de gestion, le facteur « temps » fait l’objet d’une méprise au quotidien, alors qu’il est d’une extrême importance dans tout processus de développement. L’élasticité du temps, le non-respect des délais prescrits, le cumul de temps perdu pour des réunions et des séminaires, le mépris de l’assiduité et de la ponctualité, autrement dit la domestication  ou l’apprivoisement du temps par les Sénégalais, sont autant de faits hors normes (…) des traits de culture totalement néfastes à toute volonté d’émergence.

Quid de la Gestion Axée sur les Résultats (GAR) si, culturellement, les fondamentaux relatifs à la planification semblent sapés à la base par ce fameux temps sénégalais ? (…) L’analyse du contexte ne saurait faire abstraction de la carence de données statistiques fiables sur les arts et la culture. Les appréciations qualitatives laissent peu de place à l’évaluation quantitative. Un tel état de faits favorise-t-il une bonne gestion du secteur de la culture ? La rigueur de gestion rappelle que « Tout ce qui se gère se mesure » (…) Il peut paraître paradoxal que nombre d’acteurs supposés être à la base des productions culturelles ne s’identifient toujours pas comme étant des entrepreneurs à part entière – avec leurs spécificités propres – appelés à produire des œuvres à forte valeur ajoutée, compétitives, résolument orientées vers le marché, dans l’espoir de réaliser de grandes performances commerciales (…)

Avec la porosité des frontières (…) le rush des productions hollywoodiennes et nollywoodiennes, le plagiat, le piratage, la contrefaçon, les difficultés liées à la politique de décentralisation et de déconcentration, le déficit quantitatif et qualitatif des ressources génériques, n’est-il pas permis de penser que le contexte est suffisamment difficile au point de gripper le moteur de l’émergence ?

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(…) s’il faut quelques années pour juger sur pièce un régime au pouvoir, il ne faut pas moins d’un quart de siècle pour changer le comportement contreproductif de citoyens et le mode de penser la culture d’un peuple (…) Les centres culturels conçus en d’autres circonstances, ont-il fait leur mue à l’heure de la départementalisation et de la communalisation intégrale ? (…) Pour l’essentiel, ces centres sont dans un état de dénuement quasi général avec des locaux inadaptés, des équipements obsolètes ou inexistants et un environnement peu clément. En plus le peu de ressources humaines dont ils disposent (…) bien que très volontaires et très engagés à la base, n’est pas suffisamment outillé pour prendre en charge les problématiques majeures liées à l’économie créatives (…)

La culture n’a pas de prix mais elle a un coût. Le coût n’est pas que financier. Il s’exprime aussi en termes de qualité des ressources humaines (…) Quel avenir pour la qualité et la compétitivité des productions culturelles si, et si seulement si, le seul fait de remplir une salle – aussi mythique, moderne et prestigieuse qu’elle puisse être – soit le principal défi à relever et l’unique indicateur de bonne performance ?

(…) si la culture, dans l’entendement populaire, était ramenée à sa plus simple expression d’objet superflu, son caractère transversal et sa présence dans tout ce qui touche à l’espèce humaine appellent plus d’attention et d’investissements. Ce rappel est d’autant plus nécessaire qu’il est de nos jours établi que la culture est désormais un levier essentiel de l’économie mondiale (…) le Cabinet Ernst et Young a réalisé une étude : « La Culture dans le Monde », dans laquelle il apparaît  que « les secteurs de la culture et de la création ont généré 2.250 milliards de dollars de revenus en 2013, soit 3% du PIB mondial » et font travailler 29.5 millions de personnes dans le monde.

 De même, un rapport commun aux ministères de la culture et de l’économie de la France faut état d’une contribution de la culture de 57,8 milliards d’euros au PIB français, soit sept fois la valeur ajoutée de l’industrie automobile (…) les enjeux d’émergence valent bien la peine d’examiner les approches les mieux adaptées au contexte actuel pour tirer le meilleur parti de toutes les opportunités du secteur (…) tout au long de l’histoire de l’humanité, le rapport entre « culture » et «  « économie » a été souvent un rapport heurté. La culture dont il est question ici est génératrice de valeurs, de sens et d’identités (…) pour dire que la « valeur » et « l’identité » – au sens culturel –  ne sauraient être réduites à de simples « valeurs marchandes » (…) chaque fois que les stratégies entrent en conflit avec la culture, cette dernière finit toujours par prendre le dessus sur tout.

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D’où l’impérieuses nécessité de faire en sorte que les stratégies de développement prennent suffisamment en compte les risques stratégiques et opérationnels liés aux faits de culture ou supposés tels (…) la bonne santé économique procède d’abord et avant tout d’un système de valeurs génératrices d’une culture comportementale bien ancrée et largement partagée par les parties prenantes (…) indépendamment des milliards  de francs d’investissement, tout le chemin de la bonne gouvernance est pavé de valeurs fondamentalement culturelles véhiculées par la ressource humaine (…) En définitive, toute performance économique est à la base une performance culturelle (…) dans un contexte de territorialisation des politiques publiques (…) il y a lieu de s’imprégner du potentiel de chaque territoire (…)

L’intérêt de cette approche géographique de l’économie culturelle (…) est qu’elle s’opère du local [territoire] vers le global [mondial]. C’est  grâce à cette approche géographique de la culture (…) que des villes sont devenues d’importants pôles [culturels]. Entres autres Amsterdam par l’industrie de la publicité, Angoulême par la bande dessinée, Barcelone par le design, Cannes par le cinéma, Montréal par les jeux vidéo, New-York par la Statue de la Liberté, Paris par la gastronomie, la Tour Eiffel et le musée du Louvre, Rotterdam par les projets architecturaux, Sao Paulo par la biennale d’arts (…)

 L’exploitation marchande de symboles culturels et de la créativité artistique participe à l’attractivité et à l’émergence de ces villes. Par la force du génie créatif, elles sont devenues des maillons forts pour l’économie de leurs pays respectifs. Au Sénégal et aux Sénégalais de tirer le meilleur profit du génie de leurs territoires (…) Autant de raisons pour investir davantage des rendez-vous comme la Biennale de l’Art africain contemporain,  le Festival de Jazz de Saint-Louis et autres.

(…) faire en sorte que le Pse soit effectivement une stratégie à la fois « économiquement culturelle » et « culturellement économique ».

« Le Sénégal émergent » est à ce prix.







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