Cette semaine, nous commémorons le 75e anniversaire de la libération en 1945 des camps de concentration et d’extermination nazis d’Auschwitz. La gravité de ce qui s’est passé dans ces camps, où plus d’un million de personnes ont été horriblement tuées, ne réside pas seulement dans le nombre de victimes et la reconnaissance de leur sacrifice, mais aussi dans notre capacité collective à tirer les leçons de cette tragédie et à faire en sorte qu’elle ne se reproduise plus. Nous le devons aux victimes.
Malheureusement, 75 ans après la libération des camps, le monde n’a apparemment pas tiré les leçons de ce passé tragique. Les génocides au Cambodge, au Rwanda et à Srebrenica, les attaques en cours contre la population rohingya, les souffrances des communautés yézidies en Irak, et de nombreuses autres situations où il y a un risque élevé pour les populations de subir des crimes d’atrocité, soulèvent de sérieuses questions sur l’engagement que nous avons au-delà de notre rhétorique du «plus jamais cela». Alors que dans le passé, le monde invoquait le manque d’informations et de connaissances suffisantes pour ne pas prendre des mesures décisives, aujourd’hui, de nombreuses informations sont souvent à notre portée, à un «clic». Malgré cela, la volonté d’agir face à des informations crédibles demeure vague. Notre promesse de «plus jamais cela» doit commencer par un engagement indéfectible vers la coexistence pacifique, le respect des droits de l’Homme et de l’état de droit. L’Holocauste n’a pas commencé avec des chambres à gaz. Cela a commencé par l’intolérance, la discrimination et la déshumanisation des Juifs comme «l’autre».
Gérer les signes d’alerte précoce et les facteurs de risque est la prévention la plus efficace. Cependant, de plus en plus d’Etats, y ceux du monde développé, sont confrontés à des défis pour faire face à ces risques. L’Europe, le continent qui a été témoin de l’Holocauste, connaît aujourd’hui une intolérance et des tensions croissantes entre les communautés locales et ceux qui franchissent les frontières pour y chercher refuge, fuyant la persécution et d’autres violations graves des droits de l’Homme, ou qui cherchent désespérément à échapper à la pauvreté. Les communautés minoritaires, les migrants et les réfugiés sont souvent utilisés comme «cibles» faciles lorsque les débats politiques se polarisent. Alors que les extrémistes injectent un langage incendiaire dans le discours politique dominant répandu sous le couvert du «populisme», les discours et les crimes de haine continuent d’augmenter. En blâmant les migrants et les réfugiés, les qualifiant de menace pour la sécurité nationale, les dirigeants d’extrême droite et les leaders populistes entretiennent un climat où il est justifié de commettre des actes de violence contre eux comme moyen de «légitime défense». Ces mouvements extrémistes se réapproprient le récit de «l’autre» que Hitler maîtrisait si bien.
Un leadership audacieux est nécessaire pour contrer ces faux discours de haine et de discrimination. Les dirigeants progressistes doivent approfondir leur compréhension du problème et assumer leur responsabilité de protéger toutes les populations menacées. Les pays doivent s’attaquer aux causes profondes de la haine, y compris le racisme et la discrimination, défendre la société civile, l’état de droit et défendre l’universalité des droits de l’Homme. La poursuite de l’érosion des protections que confèrent les droits de l’Homme et des normes démocratiques exacerbe le risque potentiel de conflits violents, conduisant à la commission d’atrocités. Aucun pays au monde ou aucune région n’est à l’abri des conflits fondés sur l’identité et, par conséquent, personne ne devrait faire preuve de complaisance quant au respect de sa responsabilité de protéger.
Alors que nous commémorons l’anniversaire de la libération des camps d’Auschwitz, ainsi que le 75e anniversaire de la Charte des Nations Unies, nous devons réfléchir à ce que nous pouvons faire pour prévenir la répétition des atrocités et faire avancer les engagements et les valeurs de la Charte. Les atrocités dont le monde a été témoin depuis l’adoption de la Charte devraient nous rappeler constamment que ce qui s’est produit il y a 75 ans se produit encore aujourd’hui, avec des conséquences catastrophiques pour l’humanité. Un engagement renouvelé en matière de prévention est nécessaire pour honorer véritablement les victimes de l’Holocauste non seulement en paroles mais également en actes. Sans cela, nous ne tiendrons jamais la promesse de la Charte de «sauver les générations futures du fléau de la guerre».
Adama Dieng est Conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la prévention du génocide.