C’est lors des fêtes religieuses, quand Dakar se vide de ses habitants, que je me rends compte que la plupart des problèmes du Sénégal sont causés par l’imprévision. Habituellement, l’eau n’est disponible qu’au rez-de-chaussée de notre maison. Cependant lors de la Tabaski, du Magal ou du Gamou, l’eau coule toute la journée, jusqu’au quatrième étage sans qu’on ait besoin d’utiliser la pompe.
Cela veut dire que la capacité de production en eau n’a pas suivi le rythme d’augmentation de la population de Dakar. En 1960, Dakar comptait 400 mille habitants. Aujourd’hui, elle en compte plus de 3 millions. La capacité de production n’ayant pas cru aussi vite que l’augmentation de la population, il est normal qu’il y ait pénurie d’eau.
Cela ne concerne pas seulement l’eau, mais tous les autres problèmes que rencontre le Sénégal.
L’hivernage 2019 fut particulièrement difficile. La moindre pluie entraînait des inondations, une impraticabilité des routes. Il m’est arrivé un jour de pluie de passer quatre heures de temps sur les routes pour un trajet qui dure habituellement 30 minutes.
Les canalisations ne sont plus adaptées et surtout n’ont pas suivi le rythme d’augmentation de la population. Les zones qui permettaient l’évacuation des eaux de pluie sont habitées aujourd’hui, comme les Parcelles Assainies.
Une canalisation inefficace et l’habitation des zones d’évacuation font que chaque pluie transforme Dakar en une ville sale, invivable. Je constate que ce phénomène empire d’année en année. Avec le changement climatique, Dakar n’est pas à l’abri d’une tornade. Considérant la situation actuelle, cela rendrait Dakar impraticable – elle l’est déjà quand il pleut – mais à une plus grande échelle.
Il est temps de réfectionner les canaux d’évacuation et de mettre en place un système d’assainissement qui prend en compte l’augmentation de la population : il ne s’agit pas de trouver des solutions ponctuelles, mais définitives pour régler le problème. Cela ne concerne pas seulement Dakar, mais toutes les villes du Sénégal. A côté, il faut un travail de sensibilisation : les égouts, les canaux d’évacuation ne sont pas des dépotoirs. Continuer d’y jeter des ordures reviendrait à rendre nul tout le travail effectué pour les réfectionner et les mettre à niveau.
Dakar connaît un embouteillage qui empire. L’augmentation du nombre de voitures, le manque de transport public, l’état des routes en sont les principales causes.
Une solution pour résoudre ce problème serait d’encourager les transports en commun. Aujourd’hui, la fréquence de rotation des bus est irrégulière. Il faudrait l’augmenter et les rendre plus commodes pour pousser les Sénégalais à l’adopter : des bus climatisés les inciteraient à privilégier les transports publics, quitte à augmenter le prix du transport.
Quand je vivais à Montréal, je n’envisageais pas d’avoir ma voiture, car le réseau de transport public était de qualité et dense : des bus chauffés en hiver, climatisés en été, un réseau de métro qui dessert toute la ville.
C’est un bel exemple dont pourrait s’inspirer Dakar : mettre en place un réseau de transport complet qui rendra inutile la possession d’une voiture. A défaut de le faire, Dakar deviendrait un Lagos, Bangkok.
Si la population de Dakar a augmenté de près de 700% entre 1960 et aujourd’hui, c’est dû en grande partie à l’exode rural. Mon papa avait quitté son Koumpentoum local parce qu’il n’y trouvait pas d’occasions pour s’accomplir. Toutes les histoires d’exode rural se ressemblent : l’intérieur du Sénégal manque d’opportunités, ce qui pousse ses habitants à venir s’installer à Dakar.
Tant que ces régions ne permettront pas à leurs habitants de s’y accomplir, l’exode rural persistera. La solution serait de déconcentrer. Diamniadio est un exemple qui doit être généralisé partout au Sénégal.
Ziguinchor regorge d’opportunités agricoles qui, exploitées, permettront à ses habitants d’y rester et de s’y accomplir. Des usines pour exploiter les fruits et les légumes et les transformer pour augmenter leur valeur ajoutée. Qui travailleront dans ces usines ? Les habitants de Ziguinchor. Si le pouvoir d’achat augmente, la consommation augmentera : c’est un cercle vertueux. Les revenus fiscaux augmenteront aussi, permettant à l’Etat de financer ses travaux.
De plus, cela permettrait de désengorger Dakar. Si mon père avait trouvé un emploi bien payé à Koumpentoum, il n’aurait pas eu besoin de venir s’installer à Dakar.
Chaque année se pose le problème de l’orientation des bacheliers dans les universités publiques. Peu de Sénégalais ont envie d’y étudier : les effectifs pléthoriques, la pédagogie inadaptée. C’est une bonne initiative que de créer des universités dans les régions du Sénégal, mais si les effectifs réels dépassent ceux prévus, le même problème qu’à l’Ucad se posera.
L’université est aujourd’hui une usine à créer du chômage parce que la plupart de ses formations ne sont pas diplômantes. De plus, quand le nombre d’entrants dépassent les sortants, il est normal que l’effectif réel dépasse l’effectif prévu. Des écoles techniques offrant des formations courtes permettraient de la désengorger et surtout de combler le déficit de techniciens au Sénégal. De plus, la pédagogie doit être changée et adaptée dans le monde dans lequel nous vivons : moins de théorie, plus de pratique.
Je pourrai continuer à développer sur ces problèmes qui constituent des goulots d’étranglement pour le Sénégal et entraînent une dégradation de la qualité de la vie. Ce sont ces routes occupées par les marchands ambulants, cette saleté, cette promiscuité. Ces problèmes s’amplifient et empêchent un décollage véritable du Sénégal. Ils ne sont pas facilement résolubles, mais pourraient l’être petit à petit si nous nous y mettions tous : l’Etat, les collectivités locales et chaque Sénégalaise et Sénégalais. A défaut, le Sénégal deviendra invivable dans quelques années. L’imprévision et le manque de volonté en seront les causes. Si nous nous y mettons dès maintenant, nous léguerons demain à nos enfants un meilleur Sénégal, où ils auront envie de vivre.
P.S : je lisais dernièrement le livre de Jared Diamond Effondrement. Il y écrit : «Les dirigeants qui ne se contentent pas de réagir passivement, qui ont le courage d’anticiper les crises ou d’agir suffisamment tôt (…) peuvent véritablement changer le cours de l’histoire de leur société. C’est également vrai des citoyens courageux et actifs qui s’engagent dans la résolution des problèmes par le bas.» A nous d’élire ces dirigeants et devenir ces citoyens.
Moussa SYLLA
moussasylla@live.fr