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Chine, L’empire Du Milieu À La Marge Du Monde

Chine, L’empire Du Milieu À La Marge Du Monde

L’épidémie du Coronavirus repose des questions philosophiques sur l’altérité, l’exigence d’hospitalité, l’attitude à adopter face aux malades, la question du don, du soin, de l’empathie. Avec la mise en quarantaine de la Chine, les enjeux sont nombreux sur nos devoirs en humanité. Se pose inexorablement la question de l’individualisme dans un ensemble au destin plus que jamais relié. Chronique.

A la lecture de différents articles – infos, analyses, réactions, décisions – sur l’épidémie virale qui touche la Chine, on ne manque pas d’être frappé par une chose : le peu de compassion, voire de soutien réel, qu’une bonne partie du monde témoigne à l’endroit du géant asiatique. Si l’on peut tout à fait comprendre le principe de précaution, les mesures sanitaires drastiques – d’abord intérieures à la Chine du reste – la mise en quarantaine préventive, l’isolement et ses conséquences plurielles notamment économiques, il reste dans la narration générale un sentiment qui n’est pas très loin de l’abandon à son propre sort. Symbole de ces réactions et situations propres aux moments de crise, la vidéo du nourrisson mis en isolement et qui communique avec ses parents à travers la vitre de sa chambre, porte en elle une grande violence. Un précipité du divorce à contre-cœur à plus grande échelle, qui loge le problème à un niveau philosophique sur nos devoirs en humanité face à la souffrance. Pour les proches, comme pour les anonymes. Si on a pu recenser, en France notamment, un regain du racisme anti-asiatique, ou des articles culturalistes sur un sort qui serait « mérité » pour la Chine du fait de ses croyances, c’est en termes plus sournois que s’exprime l’impression d’un égoïsme géographique, d’une fuite en avant, d’un rejet physique qui mise sur la chance d’être épargné par le miracle du bon vent. Une attitude de fermeture qui coche toutes les cases de la panique et de ce qu’elle réveille souvent : les plus bas instincts de la peur.

Personne n’appelle à considérer la Chine comme une victime devant laquelle il faut s’apitoyer ou se sacrifier. Il y a bien des choses à reprocher à ce pays et à ses dirigeants. Plusieurs articles honnêtes ont d’ailleurs fait part de cette tentation chinoise de contrôler l’information au risque de l’étouffer, et de la remplacer par le mensonge officiel d’Etat. La presse a même fait état, à la suite du décès du médecin Li Wenliang – premier lanceur d’alerte, décédé depuis et devenu symbole – de ces méthodes inhérentes à la gouvernance chinoise. Plusieurs scientifiques ont régulièrement alerté, depuis le SRAS, et lors de l’épidémie d’Ebola, de la nécessité de repenser la relation avec la nature et la consommation de certains animaux, joignant la problématique écologique à celle de la santé publique. L’opinion publique chinoise s’est elle-même véhémentement indignée du retard accusé par les autorités du pays pour prendre la réelle mesure du phénomène. L’idée n’est pas donc d’absoudre la Chine. Après ces comptes et ces mécomptes, demeure pourtant, malgré tout, la question de la solidarité internationale, qui dépasse la seule donnée des moyens : comment aider la Chine humainement, comme symbole de nous-mêmes ? Une nécessité d’autant plus urgente que, dans un monde de plus en plus relié et interdépendant, la santé publique est le premier rappel de la porosité des frontières et du lien naturel des populations. On pourra objecter, et à raison, que la Chine a déjà reçu la proposition d’aide de pays occidentaux, les USA en tête, et qu’elle oppose une fin de non-recevoir non sans une certaine fierté. Mais l’enjeu est bien plus important : comment faire monde par l’empathie qui ne verse ni dans le pathos, ni dans la posture ? C’est sur ce plan, qu’il me semble que la province du Wuhan est hors du monde, et qu’on la force à y rester.

Sans rien oublier de l’arrière-plan des guerres géopolitiques, des batailles économiques et des querelles d’influence, où l’ogre chinois est un protagoniste de choix, on a vu peu de dons, mais aussi simplement très peu d’expressions d’une quelconque forme de compassion générale s’éprendre du monde. La province du Wuhan est seulement perçue comme l’épicentre d’où est partie la maladie ; assez peu comme le lieu d’un drame humain presqu’à huis-clos. Très peu victime, mais bourreau pour un monde lâcheur. La Chine paraît seule, payant sans doute la rançon d’être un pays puissant, fonçant sur les prébendes des maîtres historiques du monde, ayant déjoué nombre de pronostics sur le cheminement économique propice vers le développement, et jugé donc suffisamment forte pour endiguer toute seule son épidémie. Une telle mégarde de la perception, sur l’histoire récente d’un pays perçu comme agresseur, néo-colonisateur, responsable de l’accélération de la crise environnementale ; un pays de capitalisme sauvage et peu démocratique, avec le carnage de la politique de l’enfant unique et ses terribles conséquences, conduit à des instincts grégaires ; tout cela en effet fait oublier tout bonnement que nul n’a intérêt à ce que la Chine s’effondre. Qu’être le responsable en partie de son malheur n’en fait pas moins une victime. Qu’elle s’est hissée avec bien des tares à un rang de poumon du monde ; que dans sa chute, le fracas peut être plus contagieux que le virus. Dans un monde où les périls s’annoncent, migratoires, identitaires et climatiques, avec déjà les effets insensés du productivisme capitaliste, il y a lieu de se servir d’un tel épisode pour non seulement repenser un modèle condamné, mais surtout, une critique du libéralisme qui met en son cœur, non seulement l’Homme, mais surtout, l’honneur d’affronter la souffrance de l’autre. Un universel, en somme, une humanité plus sensible à la tourmente.

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Dans cette perspective philosophique, comment justement, face à de telles maladies, où nos principes, nos solidarités, sont questionnés, parfois mis à rude épreuve, se pose la question de l’altérité ? Comment réagir face au malade, quelle est la « common decency » (décence ordinaire) Orwellienne à adopter, pour satisfaire à la fois les principes de sécurité et le devoir d’hospitalité ? Que retenir du docteur Rieux de Camus, dans La Peste, sur le don de soi et l’amitié dans la résistance ? Quelle résonnance, dans un monde qui ne cesse de réclamer la fin de l’individualisme, donner au sacrifice et surtout, qui est prêt encore à y consentir ? Les critiques de la mondialisation ne pêchent-elles pas tout simplement, parce que sa pérennité fait écho à notre nature profonde ? Plus d’un siècle que l’offre d’utopie du capitalisme est plus attrayante que celles des alternatives, concoctées pourtant par les plus lumineux esprits de ce monde. Qu’en tirer comme enseignements ? Le don, la réciprocité, le soin, le care peuvent fournir des clefs de lecture, voire des solutions. En sociologie, d’importantes productions, ont depuis des années, pris à bras le corps le problème, sans résultat probant. Plus les crises abondent, plus les élites semblent impuissantes, les belles idées prisonnières de la lutte des classes.

L’impression d’une dérobade générale qui s’est saisie du monde face à la souffrance chinoise s’affirme d’elle-même. Et cela vaut pour tous les autres territoires, où la maladie porte en elle une forme de honte. Le rejet signifie au malade sa faute voire sa culpabilité. La globalisation en faisant le fameux village planétaire n’a semble-t-il dressé que des ponts techniques, des passerelles utilitaires, qui ne filtrent que les capitaux, les profits, les bonnes nouvelles, toutes choses qui ne prennent rien de la détresse du monde. On boit goulument le bonheur à plusieurs ; on absorbe la potence seul. Plus que la circulation des biens et des êtres, c’est la circulation des sentiments et de la bienveillance qui semble impossible. Les bastions regroupés dans le grand ensemble du monde, deviennent des cloisons rivales, parfois en conflit, qui ne communiquent que le flux économique, parfois les virtualités, bien souvent leur lot de postures et d’impostures.

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Dans les familles canadiennes, quand il faut quitter la table des convives, il est de coutume de dire dans une belle expression « il est temps de prendre un peu de souci » pour signifier la fin de la parenthèse de plaisir. C’est à cela qu’il faut peut-être s’atteler, prendre un peu de la douleur de la Chine et du Wuhan. Ni par héroïsme, ni par posture. Assumer même de ne pas forcément pouvoir y arriver. C’est toujours difficile de traduire une intuition ou une impression, mais le traitement du Wuhan et des malades, apparaît de plus en plus, comme le symptôme d’un mal plus grand : face à la détresse de l’autre, la protection de ses acquis est le réflexe le plus commun. Et ce de façon universelle. Le protectionnisme est à la fois un sentiment naturel et capitalistique. Un instinct vital et un égoïsme agressif. C’est une curiosité, une de fois de plus, qui montre qu’in fine, face à tous les défis du monde, surtout l’idéologie libérale du chiffre, le premier ennemi c’est soi-même. Cela explique peut-être, notre impuissance à la vaincre parce cela requiert une désaliénation de soi-même, de nous-mêmes. Plus que du cœur, de la solidarité, le changement exige une grandeur d’âme.

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