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«dakar Est Un Volcan Actif Face Au Risque Epidemiologique Des Nouveaux Virus»

Ancien chef de la Section Communication pour le Développement de l’UNICEF lors de la crise Ebola en Guinée, Ada Pouye a parcouru plusieurs pays en situation de crise humanitaire en passant par la RDC, la Centrafrique, le Burundi, le Rwanda, Soudan, Somaliland, Puntland(Somalia) le Tchad à Abeché et le Nigeria plus particulièrement a Maiduguri l’épicentre de BokoHaram. Cet Coordonateur humanitaire de l’UNFPA, de l’UNESCO et de l’IPPF pendant plus de 20 ans revient sur l’importance de la gestion de la communication de crise notamment dans le contexte du nouveau Coronavirus. Il alerte également sur ‘hypotheque que les nouveaux virus font peser à notre pays, particulierement notre capitale devenue poreuse aux risques épidemiologiques, du fait de sa position geographique et stratégique.

Le Sénégal fait face depuis quelques jours à des risques épidémiologiques avec l’arrivée du coronavirus sur le sol national. Un Plan national de riposte a été mis en place par les autorités. Que vous inspire cette situation inédite quand on sait que notre pays avait pourtant bien résisté à Ebola ?

Je commencerai par dire que le 21 siècle est devenu le siècle des virus malgré les avancées significatives de la science. Est-ce le résultat des changements climatiques ou les bouleversements de l’éco système, ou l’urbanisation et la pression démographique ? Une chose est certaine. Le XXI siècle est marqué par l’émergence des virus multiformes avec une migration accélérée dans les pays où le système de santé est d’une grande fragilité. En fait la propagation rapide des virus est un indicateur sur la faiblesse du système de sante. Si on fait l’archéologie des situations de grande pandémie, on peut dire qu’il y a eu des virus majeurs du XXI siècle qui se sont singularisés. Il y a eu d’abord le virus de la dengue, aussi appelé «grippe tropicale», en 1950. Il s’est surtout propagé en 2016, le nombre de personnes atteintes avait augmenté de 1,2 à 3,2 millions. Entre 1947- 2015, le virus Zika avec des symptômes particuliers (éruptions cutanées, conjonctivite, douleurs musculaires et articulaires, maux de tête) qui sont plutôt légers et durent jusqu’à sept jours. Seuls 15 cas du virus Zika ont été enregistrés dans le monde depuis la découverte de cette maladie en 1947. C’est un virus pas trop mortel, mais redoutable par ses conséquences. En 2015 au Brésil, plus de 3 000 enfants de mères infectées par le Zika sont nés avec un cerveau endommagé et un crâne extrêmement petit. Le virus du Sida, le Vih Sida a ensuite fait son apparition dans les années 1980. Des millions de personnes sont aujourd’hui décédées de suite de maladies liées au Sida depuis le début de l’épidémie. Plus récemment en 2002, une épidémie du nouveau virus SRAS-CoV (Syndrome respiratoire aigue sévère – SRAS), appartenant à la famille des coronavirus, a été enregistrée dans la province du Guangdong, dans le sud de la Chine. Le nombre total de cas dans 37 pays a atteint 8 437 personnes, 813 personnes sont décédées. En 2014-2015, il y a eu la fièvre Ebola, 11 315 personnes sont mortes du virus, soit environ 50% de tous les patients. Auparavant en 2009 une pandémie de la Grippe A (H1N1) ou «grippe porcine» a débuté aux Etats-Unis et au Mexique, avant de se propager en Europe occidentale et en Russie. C’était la seconde des deux pandémies historiques causées par le soustype H1N1 du virus de la grippe A (la première étant la grippe espagnole de 1918). De 2009 à 2010, entre 100 000 et 400 000 personnes sont mortes de ce vrus. En novembre 2019, le Coronavirus Covid 19 a frappé en Chine : plus de 93 000 malades dans le monde et près de 3 200 morts.

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Face à de nouveaux virus au mode de contamination rapide, que faut-il faire pour éviter une pandémie ?

Nous sommes la en plein dans la communication de crise, d’autant plus que nous avions tous les éléments d’appréciation avec une alerte mondiale lancée par l’OMS. Nous avons agi comme des sapeurs pompiers sans une politique de préparation à l’urgence. Ces phénomènes récurrents et plus récemment la fièvre Ebola doivent nous amener à réfléchir sur le changement de paradigme dans le domaine de la santé publique. Il ne s’agit pas de se focaliser sur une réponse exclusivement médicale, ce qui est malheureusement souvent une tendance quand on fait face à des virus de cette sorte. Il y a plusieurs facteurs qui entrent en ligne de compte qu’il va falloir bien sérier pour développer une approche multisectorielle. Il faut saluer le Ministère de la Santé qui a mis en place un dispositif multisectoriel de gestion des risques sanitaires au niveau national et le Président qui a convoqué un conseil présidentiel qui a abouti à un plan de riposte pour un coût de 1,44 milliard. Tout ceci est à saluer, mais il faut aller au-delà de la gestion émotionnelle et politique et mettre un dispositif d’alerte précoce à tous les échelons administratifs jusqu’au niveau village avec l’implication de tous les acteurs face à la porosité des frontières et la faiblesse du dispositif de surveillance et de contrôle des entrées au Sénégal. Par exemple, j’étais au Nigeria dernièrement où est mis en place un dispositif de surveillance avec des formulaires obligatoires à remplir et la camera thermique. Le personnel médical doit, aussi, être mieux outillé et protégé en respectant les précautions édictées par l’OMS. Tous les medias traditionnels, modernes et sociaux sans compter les espaces sociaux doivent converger pour la formation et l’information du public. Affiches géantes, posters, émissions radios et télés, radios communautaires, vecteurs traditionnels de communication et mobilisation sociale doivent être investis pour une meilleure appropriation de la prévention. Chaque région doit disposer d’une cellule de gestion des alertes et de l’urgence Covid-19 combinée avec un dispositif local de dépistage primaire et éviter de dépendre de l’institut Pasteur exclusivement. Dakar est un volcan actif pour parler comme les vulcanologues, il faut renforcer le dispositif d’alerte de gestion de l’urgence et ne pas baisser la garde par négligence et fatalisme ou par le recours aux charlatans.

Quelles sont selon vous les meilleures stratégies de communication de crise ?

La communication de crise regroupe l’ensemble des actions de communication entreprises afin de limiter au maximum l’impact négatif d’une urgence sociale, politique, économique ou sanitaire qui survient à un moment où le pays était le moins préparé. Tout le monde savait que l’apparition du Covid-19 en novembre 2019 allait avoir une répercussion dans plusieurs pays à l’image de tous les virus. Cette migration humaine qu’on refuse dans d’autres cieux est tout à fait opératoire dans le contexte des virus. Tout le monde savait que ce qui se passait en Chine depuis les alertes lancées sur les réseaux sociaux en novembre n’allait pas tarder à être exporté. Même si le Sénégal a eu la chance d’avoir pu gérer et capitaliser les expériences dans la prévention et la prise en charge du VIH sida, le type de virus Covid-19 n’est pas comparable en termes de stratégie du fait du manque non seulement de ressources humaines et matérielles, mais d’un mécanisme national qui devra renforcer sa décentralisation pour être le plus proche des communautés de base. Le Sénégal, ce n’est pas seulement Dakar. La vitesse de propagation du virus est telle que nous devons ne pas nous faire d’illusion et nous appuyer sur les expériences passées qui avaient amené le Sénégal à ferler ses frontières avec la Guinée. La complexité des modes de transmission du coronavirus, la globalisation, la promiscuité sociale et la mobilité des populations sont autant de facteurs à considérer pour élaborer une vaste offensive pour la transformation au Sénégal pour reprendre le Colonel Cambel Dieng, un brillant expert en transformation et science comportementale qui a soutenu pendant des décennies les personnels des nations unies affectées par les crises humanitaires. Le préalable à toute stratégie de communication pour le développement, c’est l’intégration de la dimension socio anthropologique avec une bonne analyse des déterminants sociaux, comportementaux. Comment la société sénégalaise gère l’hygiène individuelle, la relation que nous avons de notre corps et avec l’autre dans la promiscuité sociale et la relation que nous avons avec l’eau ? L’information en temps réel avec un système d’information et de gestion des alertes au niveau communautaire est aussi un préalable. Mettre en place un Système Intégré d’Information communautaire est aujourd’hui une nécessité qui dépasse l’approche médicale et fait un pont avec les communautés actives et mobiles. Il s’agira de faire la veille et l’alerte pour tous les cas y compris les cas contact. Le déploiement des acteurs communautaires au niveau des badienou Gox, des daaras, des écoles, des usines, des marchés, des gargotes et dans le système de transport en commun, c’est cela le prix à payer pour éviter que nous en arrivions au confinement des aéroports ou quartiers entier.

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On a beaucoup entendu parler de communication pour le changement de comportement. Que recouvre ce vocable ?

Aujourd’hui toute la communication est portée par l’idée que tous les cas que nous avons enregistres sont des cas importés alors même qu’il y a des vecteurs endogènes et des niches de propagation sociale du Coronavirus. Nous nous acheminons vers des moments difficiles avec tous ses rassemblements religieux, le carême chrétien et le ramadan bientôt, c’est cela l’enjeu pour mettre en place des plans sectoriels de contingence. La Communication pour le changement de comportements est une combinaison d’interventions coordonnées et systématiques pour soutenir les changements durables de comportement des individus, des communautés et des sociétés ou pour le changement de la cause sociale. Il faut se focaliser sur les individus et les facteurs contextuels du changement de comportement. Dakar est aujourd’hui surpeuplé avec plus de trois millions d’habitants. Il est aussi une poudrière si d’aventure ce virus entrait dans les maisons où les gens vivent dans une promiscuité sans précédent.

«Nous devons arrêter de faire les sapeurs pompiers et mettre l’accent sur la prévention»

A cela, il faut ajouter le défectueux transport urbain avec les «Ndiaga Ndiaye», cars rapides, Tata et autres bus, le tout dans une situation d’encombrement humain avec les marchés à ciel ouvert. Comptez également avec les mosquées, grand-place, restaurants, gargotes, les «ndambeteries», les dibiteries, les sandwicheries. La socialisation à outrance avec les cérémonies familiales, religieuses, les décès, les baptêmes qui sont des vecteurs de rassemblement doivent être interrogés pour leur pertinence. Coronavirus plus qu’une menace doit être une opportunité pour accélérer la transformation individuelle et collective surtout en matière d’hygiène, de soins individuels et collectifs. Tout le monde est sujet à risque. En se préservant par les bons gestes d’hygiène, on préserve toute la collectivité. Donc la bataille pour vaincre le Coronavirus est une bataille de longue durée qui doit être perçue comme une piqûre de rappel pour que le Sénégalais accepte de se transformer positivement en adoptant les comportements élémentaires d’hygiène. La lutte efficace contre le Coronavirus implique des programmes de communication pour le développement qui dépassent même le virus. Le plan national de riposte c’est bien, mais nous devons arrêter de faire les sapeurs pompiers et mettre l’accent sur la prévention avec responsabilité et sans manipulation. Il ne faut pas dramatiser, mais il ne faut aussi pas verser dans le fatalisme et la légèreté très commune dans notre société.

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Mais Dieu n’abandonnera certainement pas les siens comme le disent les marabouts…

La foi est le seul réceptacle que nous avons pour défier la science. Le virus n’est pas une malédiction et il faut travailler sur le type d’homme sénégalais. Le Président a pris une excellente initiative sur le cleaningday, mais est ce qu’il ne s’agit de le combiner avec le cleaning mind ? Le pire ennemi de l’être humain c’est l’ignorance, et quand vous écoutez les wakhsaxalat et regardez les réseaux sociaux les fausses informations l’emportent largement avec une dose de panique qui ne dit pas son nom. Des sourates mêmes sont convoqués pour se prémunir du virus. Le coronavirus est un problème de la science. Comment sommesnous investis dans les medias pour partager les informations qui aident à sauver nos vies. Il faudra enfin un renforcement des capacités des communautés en vue d’accroitre le potentiel de résilience. Aujourd’hui un vaste programme de dissémination multimédia est nécessaire, les imams, les guérisseurs traditionnels, les agents de santé tout court et de santé communautaire, les Badienou Gokhe doivent être mobilisés pour servir de relais d’aiguillonage et d’orientation pour la prise en charge holistique des survivants et des familles touchées.







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