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Hommage A Aminata Sophie Dieye

Plus de 4 ans que disparaissait Aminata Sophie Dièye, chroniqueuse, femme de lettre qui savait, comme personne d’autres, observer les défauts de notre société avec la loupe grossissante de sa plume. Je fais partie de ces Sénégalais qui appréciaient l’intelligence et l’acuité de son regard sur la société sénégalaise, le talent et la finesse de sa plume, son humour et sa dérison.

Aminata Sophie Dièye avait en effet ce rare talent, presque unique, de savoir instaurer un concordat permanent et séduisant entre ce qu’elle voyait et ce qu’elle écrivait. Elle avait tout pour elle, l’art de voir et l’art de dire les choses, le regard et les mots, la manière inimitable de restituer la complexité de notre société, cent fois mieux qu’on n’aurait rêvé le dire ou le faire soi-même. Elle n’était pas simplement une consoeur brillante. Elle était aussi une romancière et une chroniqueuse passionnée et pleine de finesse, une analyste à la fois tendre et sans concessions d’elle même, de nous tous, de notre société. Jusqu’au bout, rien de nos tares et de nos travers ne lui aura été étranger.

Je l’ai connue au journal Sud Quotidien au milieu des années 90 quand elle traînait sa frêle silhouette avide de liberté dans une rédaction progressivement en déclin où la majorité des journalistes étaient en instance de départ pour de nouvelles aventures, après avoir fait les comptes et les mécomptes de leurs carrières dans la presse. Elle a fait le choix de rester, revendiquant à sa manière l’écriture pour continuer de vivre. Avec le temps elle a fini par imposer à sa plume cet art très rare de la concision. Elle visait juste, voyait clair et son sens de la formule était redoutable.

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Bien de tares et méfaits de la société sénégalaise sous passés sous la loupe de cette plume toujours trempée sur une encre de dérison et d’humour. Toutes proportions gardées, il n’est pas exagéré de dire que ses choix de vie ne pouvaient se comprendre sans une interrogation fondamentale sur le rapport toujours complexe et paradoxal qu’elle entretenait avec la société sénégalaise.

Connue pour sa dérison et sa critique radicale des pratiques sociales futiles, de la représentation et des mises en scènes le plus souvent guidées par l’hypocrisie, elle ne s’interdisait aucun sujet et n’avait pas de sens interdit. C’est ainsi que pendant plus de dix ans, à Sud Quotidien d’abord, à l’Observateur ensuite, elle a porté un regard féroce sur nos manières d’être et de faire comme seule une écriture vive, éclatante et décapante peut le faire. Tout en elle était dans le contraste. C’était l’une de ses obsessions: avoir tout et ne rien posséder.

Ainsi, elle avait une beauté racée et explosive mais elle la portait comme un fardeau. Elle avait l’esprit vif et subtile, mais elle était désinvolte et insaisissable. Comme si elle avait besoin d’être en permanence arrimée à l’irréel, de délimiter son intérieur pour ne pas répondre aux appels de la vie. Nous nous sommes vus pour la dernière, courant mois de novembre 2015, trois mois avant son décès. Elle était au bout du rouleau. Je l’ai trouvée épuisée et malade. Mais lorsqu’on a parlé de livres de chevet du moment (Journal) d’une parisienne de Francoise Giroud, l’aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane pour elle, les derniers adieux de Mitterand, Laure Adler, pour moi), elle est redevenue sublime et apaisée.

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Dans ces moments là comme toujours, les livres la choisissaient, la captivaient et la menaient à elle plus que l’inverse. Rien ne l’intéressait à part la lecture et l’écriture. Parce qu’elle était un esprit carré dans un corps frêle, comme elle se définissait elle-même, Aminata Sophie Dièye était toujours dans une logique de défi contre les anti-valeurs érigées en valeurs dans cette période charnière où notre pays négocie très mal son virage à la modernité. Sous ce rapport, elle était restée la même, une femme libre et indépendante. Une femme d’autre époque que sa pudeur et une sorte de timidité lui faisaient cacher très souvent ce qu’elle était au fond: une personnalité complexe réellement hors du commun.

Repose en paix, petite sœur.

Malick Diagne

image4sondage@gmail.com







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