Malgré l’État d’urgence, le couvre-feu et les nombreuses injonctions à rester chez soi depuis l’annonce des mesures prises par le chef de l’État Macky Sall pour lutter contre la propagation du Covid-19, rien n’y fait. Certains citoyens sont encore dehors aux heures proscrites, qui pour défier l’autorité, qui par manque évident de moyens pour regagner leur domicile à temps après une journée de travail. Cette contribution se penche davantage sur le sort de la seconde catégorie, en particulier dans un contexte où le scénario du confinement généralisé de la population n’est pas à exclure.
Dans son adresse à la Nation du 23 mars dernier, le président de la République a informé d’une dotation de 1000 milliards de francs CFA destinée à l’aide sociale visant les ménages, pour partie. La question de la méthode de distribution de ces fonds se pose, d’autant qu’aucune précision n’a été apportée en la matière. Comment faire en sorte que chaque foyer sénégalais qui en a besoin puisse bénéficier de cette aide sociale qui lui permettrait de vivre décemment et potentiellement sans revenus issus du travail durant cet épisode ? Comment prendre en compte les réalités sociodémographiques du pays dans la mise en œuvre d’un plan de redistribution de ces fonds ?
Est-il encore besoin de rappeler qu’une part importante de la population active au Sénégal vit de revenus issus d’un travail informel et/ou journalier pour l’essentiel. Et qu’avec une population estimée à un peu plus de 16 millions d’habitants, le pays compte en moyenne 1.800.000 ménages dont 51% en zone urbaine et 49% en zone rurale. Chaque ménage comptant en moyenne 9 têtes dont la survie quotidienne est garantie en moyenne par un seul « salaire ».
Il me semble que ces réalités obligent à davantage considérer le niveau local comme l’échelon pertinent pour mettre en œuvre le plan de bataille envisagé dans la lutte contre cette pandémie. Le Sénégal bénéficie en effet d’un découpage territorial qui lui donne aujourd’hui les moyens de répondre aux besoins des populations, à la base.
Ainsi, sur la dotation accordée par l’État, les communes d’arrondissement doivent pleinement être renforcées en moyens humains, financiers et en infrastructures. À un niveau inférieur, il faut également se rappeler que les politiques de décentralisation et de déconcentration ont fait émerger une élite locale à mettre à contribution dans cette lutte. Il s’agit notamment des chefs et délégués de quartiers et des badienou Gokh.
Prenons justement le cas de ces Badiénou Gokh, ces marraines de proximité bénévoles présentes dans chaque quartier. Ce concept mis en place en 2010 a fait ses preuves en matière de prévention sexuelle auprès des jeunes filles, de sensibilisation contre le paludisme et lors des campagnes de vaccination. Ces Badiénou Gokh sont formées dans leur rôle par les centres de santé. Elles sont très respectées au sein de leur communauté et sont devenues des points relais et focaux incontournables dès lors qu’il s’agit de relayer des messages de prévention au plus près des populations cibles. L’expertise bénévole qu’elles ont développée peut être mise à contribution pour le compte de l’État, des collectivités locales et des populations dans le cadre de la lutte contre la pandémie. Il faut absolument profiter du fait qu’elles rentrent dans les maisons voire y sont invitées, là où l’État et les collectivités ne peuvent y accéder directement.
Dans cette lutte contre le Coronavirus, leur participation tout comme celle des chefs et délégués de quartiers peut concrètement se situer à deux niveaux. Tout d’abord, ils peuvent constituer le maillon local indispensable d’une équipe communale chargée de redistribuer à chaque foyer sa part dans la dotation attribuée par l’État. Ils peuvent ainsi, auprès de la commune, participer à identifier et répertorier les foyers bénéficiaires ; charge aux agents de la commune d’assurer la distribution aux portes à portes, sans qu’il n’y ait besoin pour les populations de se déplacer et de se rassembler afin d’en bénéficier.
Ensuite, ces élites locales peuvent être renforcées dans leur rôle de sensibilisation et de prévention. Nous avons tous vu les scènes inadmissibles de jeunes défiant les forces de l’ordre dans leur mission régalienne ; tout comme les scènes de répliques policières qui portent atteinte à la dignité de la personne. Rappelons-le, Il ne s’agit pas d’une guerre qui oppose la police à une infime partie de la population, mais plutôt d’une société entière qui doit se battre contre l’ennemie commun : le Coronavirus. Ne nous trompons pas d’adversaire ! Il faut certes de la fermeté pour amener les populations à respecter les mesures prises. Mais il faut aussi de la sensibilisation. Et les Badienou Gokh peuvent jouer un rôle primordial dans cet exercice.
Soukey Ndoye