Je reviens une deuxième fois pour répéter ce que j’avais dit dans mon premier article sur ce sujet. Je crois qu’on doit aller plus loin dans les mesures déjà prises, notamment vers le confinement total couplé à un dépistage massif. Certes, notre économie sera durement affectée et cela peut entraîner des conséquences sociales difficiles, voire des souffrances pour les couches de la population les plus vulnérables. Mais nous sommes en guerre contre un ennemi invisible, vicieux et redoutable. Sans de l’audace, des sacrifices, des mesures froidement appliquées, mais assurant au moins la survie des composantes de la population les plus fragiles, nous risquons d’affronter une catastrophe sanitaire sans précédent qui entraînera du désordre économique et des perturbations sociales sur une longue durée.
Je suis conscient qu’en optant pour le confinement total, nous nous retrouvons face à deux ennemis : le virus et le dénuement induit par le confinement. Plus de 70% des populations urbaines vivent au jour le jour. Les confiner sans mesures d’accompagnement, c’est simplement les exposer à un choix terrible : mourir par le virus ou mourir de faim.
Nous devons être prêts à relever collectivement ce double défi consistant à combattre le virus tout en prenant en charge cette composante de la population. Il adresse d’abord nos modes de pensée car pour beaucoup de gens on ne peut attaquer en même temps ces deux ennemis. Cela est parfaitement possible en :
– menant une lutte implacable, bien organisée ;
– tirant les leçons des pays qui nous ont devancés dans ce combat
– évitant d’éluder ces spécificités évoquées plus haut.
Le message du Professeur Seydi
J’ai visualisé une vidéo du professeur Seydi, le coordinateur de la lutte contre le COVID 19, responsable du service des maladies infectieuses de l’hôpital Fann. En substance, il lance une alerte nous rappelant que ce qui se passe actuellement en France, en Italie et aux USA peut arriver au Sénégal avec un impact décuplé. A plusieurs reprises, il est revenu sur la nécessité impérieuse de respecter les mesures barrières et les règles du confinement. Ses recommandations sont : « respectez les consignes ! Restez dans vos maisons, seule une grande urgence devrait vous pousser à sortir de votre maison ! »
Dans cette vidéo, il poursuit : « Si on ne fait pas attention, on va vers la catastrophe ; nous n’avons pas suffisamment de moyens.Tant que le flux de malades qui arrivent chez nous reste limité, nous pouvons les traiter; mais si ce flux dépasse nos capacités, la situation peut être pire que ce que l’on a vu dans les pays d’Europe ». D’après le Professeur Seydi, le cœur de la lutte se trouve dans la prévention qui permet de contenir la vitesse de propagation du virus.
Posons bien le problème
Contre qui sommes-nous en guerre ? le COVID 19, un ennemi invisible.
Quelle est sa force principale ou l’élément le plus nocif pour nous ?
Sa vitesse de propagation ou sa contagiosité. Il se multiplie vite et devient alors insaisissable. Comment faire pour le vaincre ?
Réduire sa vitesse de propagation, l’identifier, l’isoler et l’annihiler. Pour ce faire, il faut mettre en œuvre les mesures suivantes :
1 Figer ses agents porteurs (les hommes) grâce au confinement total. Cela est rendu possible par l’absence de déplacement ou de regroupement des agents porteurs.
2 Respecter les mesures barrières (laver nos mains, utiliser le gel hydro alcoolique, règles de distanciation, porter le masque etc.)
3 L’identifier, l’isoler en procédant à un dépistage massif. Une fois isolé (cela se traduit par un isolement des porteurs), il devient plus simple d’organiser la lutte.
Contrairement à l’Allemagne qui a opté pour un dépistage massif, la France ne décompte que ceux qui arrivent dans les structures hospitalières. D’après certains spécialistes, il faut multiplier par 30 le nombre de cas officiellement déclarés en France. Quel est le facteur multiplicatif pour des pays comme le nôtre. Il me semble que notre situation n’est pas aussi catastrophique avec l’organisation du suivi des cas contact. Mais lorsque le nombre de cas contact devient important, le suivi risque d’être difficile (à moins qu’on recrute une armée de personnes dédiées à cette tâche).
Confinement total
Il faut maintenir uniquement les activités qui ont un lien étroit avec la survie (mise à disposition de denrées alimentaires, médicaments, accès aux structures financières – y compris les distributeurs de Mobile money et de recharge téléphonique bien équipés de moyens de protection contre le virus).
Comment gérer ces centaines de milliers de personnes vulnérables, qui vivent au jour le jour pour subvenir aux besoins de leur famille ? Prenons les en charge en nous appuyant sur nos valeurs de Teranga, Ndibeul, Laabir, sans regroupement, ni folklore. Étant dans une situation exceptionnelle qui nécessite une lutte implacable contre ce virus, arrêter l’économie pendant 1 mois pour bien rebondir vaut mieux que d’affronter une catastrophe qui sera longue, jalonnée de morts, de désordre et qui finira à coup sûr par impacter l’économie et l’équilibre social. Même à supposer qu’il y ait des failles dans l’organisation de la chaîne de solidarité, entre deux douleurs, le pragmatisme nous recommande de choisir celle qui aura moins de conséquences déplorables aux plans économique, social, émotionnel et humain.
Je propose au gouvernement d’utiliser une méthode en escalier :
solidarité familiale à solidarité au niveau du quartier à solidarité au niveau de la ville (ou commune) à solidarité au niveau de l’État.
Ce n’est pas une honte de demander exceptionnellement aux familles (élargie bien entendu) de faire jouer cette fibre de la solidarité pendant un mois. Elles savent bien le faire lorsqu’il s’agit de célébrer un baptême ou un mariage. Nous devons être nombreux à accepter cette boutade de Samba Bathily, maire de Ouakam quand il dit : « Je préfère manger du sombi pendant un mois et rester sain et sauf, plutôt que m’exposer à la mort.» Je suis persuadé que les sénégalais sont nombreux à accepter de faire ce type de sacrifice pour assurer la survie de membres de leur famille éloignée.
Bien sûr que ce premier niveau familial ne pouvant pas assurer toute la prise en charge, on monte à l’échelon du quartier et ainsi de suite jusqu’au stade étatique. Il faudrait utiliser les moyens technologiques modernes (une application, une plateforme téléphonique) pour assurer la collecte des informations de ceux qui ne peuvent compter que sur la contribution collective et organiser les « soutiens ». Il faudra mettre en place toute une chaîne logistique réelle et virtuelle pour mener à bien ce combat. Cela éviterait les collectes ou distributions de denrées qui vont occasionner des attroupements et créer les conditions d’une propagation du virus. Il y aura toujours des cas exceptionnels à prendre en charge par des moyens logistiques
Ce serait un confinement choisi et non subi. L’Inde, l’Afrique du Sud et beaucoup d’autres pays ont choisi la voie du confinement total. L’exemple de l’Inde est assez intéressant. Quand on voit les images en provenance de Delhi, on peut conclure immédiatement que le confinement total n’est pas la solution. Non. Il ne s’agit pas de décréter un confinement sans mesures d’accompagnement. Il faut préparer toutes les mesures contribuant à la mise à disposition de moyens de survie sur la durée du confinement. Sans ces éléments, la mesure de confinement sera contre-productive.
Décréter d’emblée que le confinement est impossible (comme l’ont dit de nombreuses personnes, parmi lesquelles le président du Benin), c’est accepter de ne pas sortir des cadres habituels de raisonnement. Ce sera difficile, mais un confinement organisé est parfaitement possible. Cela exige de notre part de l’audace, de l’esprit d’initiative (à l’image des initiatives prises par le maire de Ouakam) et surtout une volonté de fer. Je vais être caricatural : sans confinement : crise sanitaire (avec un plateau sanitaire à genou) + bouleversement social + crise économique + choc émotionnel lié aux pertes en vies humaines( et peut être suivi d’un confinement subi) + aucune visibilité sur la date de sortie de crise.
Avec confinement : bouleversement social (surtout pour les couches les plus vulnérables) + crise économique + choc émotionnel propre au confinement (dépression, perte de repère, etc.) + très bonne visibilité (4 à 6 semaines max).
Entre ces deux douleurs, il faut choisir la moins brutale. Nous devons absolument faire ce choix et nous mobiliser pour la mettre en pratique. Comme je suis un partisan absolu du confinement total et j’ai une grande peur de cette partie ascendante de la courbe de Gauss, je suis sûr d’avoir présenté un tableau plus sombre pour le contraire. Mais j’entends encore les arguments qui ne militent pas en faveur et qui restent pertinents.
Dépistage massif
Le dépistage est un moyen qui permet d’identifier, d’isoler les éléments porteurs, en vue d’épargner ceux qui sont sains et d’organiser de façon plus rationnelle (en ayant une bonne visibilité) la prise en charge des porteurs du virus.
L’Allemagne arrive à réaliser 500 000 dépistages par semaine, la France en fait 9000 par semaine. Le suivi des cas contacts est intéressant, mais à partir du moment où il y a de nombreux cas issus de la transmission communautaire, il vaut mieux organiser le dépistage massif, en s’inspirant des meilleures pratiques (celle de la Corée et de la Chine). En Chine et à Wuhan plus précisément, d’après le récit du Docteur Philippe Klein (disponible sur la plateforme Youtube), ils ont procédé au dépistage systématique à l’issue duquel les porteurs asymptomatiques étaient admis dans des hôtels, les cas contacts rassemblés dans des stades et les autres pris en charge dans les structures hospitalières. En procédant de cette façon, on a de la visibilité sur la dynamique d’évolution de la maladie avec la progression et la transformation des différents flux de cas. Le grand avantage de cette option, c’est que l’ennemi est isolé et la contamination est complètement réduite. Le Docteur Klein et le Docteur Seydi raisonnent en termes de flux.
Thérapie
Je ne vais pas développer outre mesure à propos de la thérapie. Je ne suis pas un spécialiste de ce domaine. Je m’appuie simplement sur les propos du Professeur Seydi. Je trouve sa démarche très pragmatique. Si j’ai bien compris ses explications, on trouve de nombreux cas (cas simple, cas sévère, cas sérieux et cas grave). Chaque malade nécessite un traitement spécifique. Les choses ne sont pas aussi simples que nous autres profanes les comprenons. D’après le professeur, ce n’est pas la Chloroquine qui sauve les malades, mais elle accélère la guérison et réduit la contamination. Ce qui évite la mort, c’est le traitement symptomatique. La Chloroquine doit faire l’objet d’une prescription médicale pour éviter les effets indésirables.
Acquisition de matériels et d’équipements
Aujourd’hui, on note une pénurie de masques dans toutes les pharmacies. Je suis persuadé que les structures mises en place pour coordonner la lutte contre le COVID 19 se sont projetées dans un scénario catastrophe pour planifier l’acquisition de certains équipements ou matériels: masques, gants, équipements vestimentaires, respirateurs et autres appareils. La France a fait une commande de 1 milliard de masques. Pourquoi au Sénégal on ne ferait pas une commande de 200 millions de masques ?
Pour conclure, je reprends mes propositions :
– durcir le confinement en faisant appel à toutes les formes de solidarité (sans folklore ni regroupement), en utilisant les moyens technologiques modernes ;
– dépistage massif dont l’objet est de traquer, identifier et isoler le virus pour pouvoir le combattre.
Cela se traduira par 4 à 6 semaines (que sais-je) d’un arrêt des activités économiques afin de traquer ce virus jusque dans ses derniers retranchements. Cela demande de l’audace, un sens de l’anticipation, un sens des responsabilités.
Mes sources :
– CNN, BFM TV ;
– Des études en provenance de London Business School (The economics of a pandemic. The case of COVID-19), Shangai Institutes for International Studies (International cooperation for the coronavirus combat. Results, Lessons,and way ahead) ;
– Des vidéos qui m’ont marqué (celles du Docteur Philippe Klein qui a vécu l’épidémie à Wuhan, celles du Docteur Moussa Seydi, celle du Maire de Ouakam).