Dans divers domaines, les rythmes et niveaux d’engagement ont baissé. Chacun peut le ressentir à son échelle et dans ses rapports aux différents champs dans lesquels il s’investissait ou s’active encore. A défaut de s’employer pleinement dans des activités à caractère productif ou associatif que l’évitement des contacts physiques oblige à limiter, c’est peut-être le moment de se poser et d’engager des réflexions utiles, en termes d’évaluation, de recadrage et de projection vers un avenir désiré et censé nous ouvrir des opportunités de réalisation de soi et d’amélioration de nos conditions de vie et de travail. Cet exercice, chacun et chacune peut le mettre en œuvre suivant le ou les domaines qui l’intéressent.
Pour ma part, je choisis ici d’aborder la lutte, comme activité sportive et comme niche économique (entreprises, emplois). Mais également la lutte dans sa dimension socioculturelle qui a habité la plupart des sociétés sénégalaises et au-delà. Car, derrière un lutteur se laissent entrevoir toute une tradition et des valeurs socioculturelles, ainsi qu’un ensemble de réseaux de relations et de logiques économiques affichées (marketing-communication, sponsoring, montage de combats, signature de contrats, cautionnement, imposition, taxes, sanctions financières, etc.) ou en filigrane (rétributions non formalisées des entraineurs, des managers, des partenaires d’entrainement, des marabouts, des batteurs de Tambours, entre autres intermédiaires, et redistribution aux voisins, parents et amis).
A l’heure des mesures sanitaires relatives au Covid-19, certaines écuries et beaucoup de lutteurs ont fortement réduit leurs activités sportives alors que, malgré la suspension des compétitions, une certaine réorganisation pourrait éviter aux uns et aux autres de prendre des risques dommageables pour la santé (physique et financière) des lutteurs et la santé (économique) des écuries. Pourtant, il est possible de placer le curseur sur d’autres volets de la lutte. La danse, la chorégraphie, l’habillement… Toutes choses qui mettent en avant la dimension culturelle de la lutte, et qui peuvent tout autant être valorisées sur le plan économique, en montrant ces facettes premières et particulièrement attractives de la lutte, y compris sur le plan touristique et du marketing de la destination sénégalaise, de même que sur le plan cinématographique et d’autres formes de production audiovisuelle.
Typiquement, tout en respectant la distanciation sociale et les autres mesures-barrières édictées, les parties prenantes de la mise en scène chorégraphique (danseurs, batteurs de Tam-tam, habilleurs, maquilleurs, etc.) peuvent se retrouver dans un espace approprié afin de produire des œuvres culturelles à valoriser sur le plan économique. Par exemple, en mettant l’accent sur le pagne, dans sa signification et sa place dans la lutte (symboliquement, et dans certaines ethnies, le pagne est un patrimoine de la femme), dans son jeu de couleurs suivant les ethnies, sa forme, sa taille, sa coupe en bandes, la manière de l’attacher, c’est tout un patrimoine qui est culturellement mis en exergue. S’y ajoute l’effet d’élégance recherché au travers du lutteur qui dispose déjà de la puissance physique. Dans la production commercialisable, l’anthropologue, l’historien, le sociologue, l’expert culturel, l’économiste, le communicateur (traditionnel ou moderne), l’artisan, la femme, l’homme, l’ancien, le jeune, etc., auraient des commentaires et observations extrêmement intéressants à mettre en lumière et à rendre accessibles aux générations futures, d’une société à l’autre (similarités et singularités). La lutte est clairement un patrimoine immatériel à transmettre, dans son essence, sa fonction sociale d’origine, et avec le moins de « fabrications » ou d’exagérations possibles.
Cette mise en scène offrirait ainsi au lutteur l’occasion de réviser ses gammes, d’innover dans les danses, dans les rythmes, dans les chorégraphies… L’occasion pour toutes les parties prenantes, de découvrir et de valoriser des talents qui débordent la dimension physique et musculaire de l’activité sportive. Les possibilités sont immenses, et elles ouvrent des pistes vers des opportunités à l’échelle individuelle comme aux niveaux méso (Collectivités territoriales) et macrosocial (État).
Combien de productions et de déclinaisons web et numériques (types et quantité) seraient envisageables ? N’est-ce pas le moment d’un dialogue interministériel (Sport-culture-tourisme-économie-etc.) pour évaluer l’échelle potentielle d’une attractivité de la destination Sénégal intégrant les disciplines sportives (et avec un agenda coordonné) ? Ne serait-il pas le lieu d’évaluer l’impact économique potentiel de cette création de chaines de valeur, dès l’instant que des métiers, des œuvres et symboles cultures prennent une dimension économique ?
Au-delà de ces aspects socioculturels et économiques, des observations faites sur cette activité et ses contours invitent par ailleurs à une réflexion plus structurante sur le secteur de la lutte. Dans cette optique, il importe de susciter une réflexion plus élargie, du côté des professionnels de la lutte, notamment. Cette discipline sportive traverse une zone de turbulence, certes. Mais tant mieux si les uns et les autres peuvent profiter de ce temps pour envisager les choses sous une perspective constructive et opportune pour toutes les parties prenantes, y compris les générations futures.