Monsieur le Professeur Mira et cher confrère,
C’est au titre d’ancien praticien des hôpitaux de la Pitié-Salpêtrière service de médecine interne Herson et du Kremlin-Bicêtre service de médecine interne du Professeur Delfraissy Jean-François que je me permets de répondre à ce que je qualifierais de plaisanterie de très mauvais goût (délicat euphémisme).
Alors que nous traversons l’une des épidémies les plus catastrophiques depuis plus d’un siècle, tandis qu’on promet au continent africain une véritable hécatombe humaine, tu es intervenu sur une chaîne de télévision, que je me garderai de nommer, en tenant les propos suivants :
«Au risque d’être provocateur, on pourrait réaliser cet essai thérapeutique ou ses vaccinations sur le continent africain, qui n’a ni masque, ni prévention, ni médicaments de dépistage». Tu poursuis en disant : «un peu à l’image de ce qu’on avait réalisé comme essai thérapeutique sur les prostituées africaines lors de la pandémie du sida.»
Cher Jean–Paul,
tes propos sont insultants à plus d’un titre :
- Le premier, c’est considérer que tu peux décider depuis ta salle de réanimation, ou de son service d’anesthésie de l’hôpital de Cochin de Paris, du type de prévention et du type d’essai thérapeutique que tout un continent doit mener en fonction de ta réflexion et de ton analyse d’hospitalo-universitaire français.
Le deuxième, c’est considérer que l’Afrique est un conglomérat de peuplades dotées des mêmes caractéristiques génétiques, du même morphotype, de la même histoire thérapeutique, des mêmes spécificités épidémiologiques et environnementales permettant de réaliser un essai thérapeutique, mettant toute sa population dans le même.
Ton imagination ne te permettait pas de pousser ton analyse au point de penser qu’il existe entre le Caire et l’Afrique du Sud (le Cap) autant de différences qu’entre le Danemark et Naples.
Par tes propos, tu as révolté tout une population africaine qui, je te rappelle, n’a plus ni le complexe ni la déférence que nos grands-parents nourrissaient à l’égard de la mère-colonie. Il s’agit d’une population jeune, affranchie et tout à fait disposée à en découdre avec tout nouveau système qui tenterait de les avilir ou de les humilier.
Le message subliminal perçu par les Africains est que nous sommes au mieux approximativement des humains, au pire des animaux supérieurs. On peut donc tranquillement réaliser des essais sur une espèce se rapprochant de l’humain mais qui, sur le plan économique, culturel et social, présente les mêmes traits de désorganisation du système de santé (absence de masque, de traitement, de prévention et de dépistage) en conformité avec celui que l’on peut retrouver chez des sous-humains.
Enfin, la comparaison avec une étude menée sur les prostituées africaines dénote inconsciemment de la comparaison que tu fais entre notre continent, ses habitants et ce plus vieux métier de la planète ; ça aussi a été perçu comme une insulte majeure.
Mon cher Jean-Paul,
En tenant ces propos avais-tu conscience que tu t’adressais à un continent marqué par 350 ans de traite négrière et 150 ans de colonisation ?
Te serait-il venu à l’esprit de plaisanter avec la Shoah ou le traumatisme du peuple juif à une heure de grande écoute sur une chaîne de télévision aussi prisée que LCI ?
Étais-tu conscient que l’un des présidents de la France avait récemment, de la façon la plus violente possible, présenté le continent africain comme un continent qui avait raté la marche de l’histoire et n’était pas suffisamment entré dans cette dernière ?
As-tu pensé que, par ta maladresse, plus aucun Africain, du Caire au Cap et de Dakar à Djibouti, n’envisage d’accepter un vaccin qui viendra de l’occident ? Ce que je déplore, puisque la piste en elle-même, sur le plan scientifique, revêt incontestablement un intérêt que tu as gâché et dont tu nous priveras à jamais…
Mon cher Jean-Paul,
En prêtant serment, nous avons tous pris comme engagement de soigner l’humain, sans distinction de race, de religion, de convictions politiques. Je t’accorde évidemment d’être conforme à tes engagements lorsque tu as acquis le titre de docteur en Médecine puis de Spécialiste d’anesthésie-réanimation.
J’ai toujours pensé que notre profession aurait été à l’abri de la dérive qui menace une partie du peuple français depuis le passage du président Sarkozy à la magistrature suprême : celle d’être décomplexée au point de banaliser le racisme, la xénophobie et la condescendance à l’égard des autres peuples.
Je dois avouer que par tes propos, tu déshonores totalement notre profession et ce noble engagement qui nous vaut respect et considération dans le monde et sur la planète, particulièrement à un moment où nous sommes au premier plan de ceux qui participent au sauvetage de l’humanité.
Mon cher Jean-Paul,
L’estime que j’ai pour notre profession m’a naïvement convaincu que nous étions au-dessus des relents de néo-colonialisme qui transparaissent souvent dans les relations diplomatiques internationales, dans l’économie, dans la culture, relents fortement teintés d’un sentiment de supériorité et de condescendance. Ce type de travers, pour moi, était réservé aux autres secteurs mais surtout pas au secteur de la science et encore moins à celui de la médecine.
S’il te reste un minimum de dignité, je te demande de démissionner de ta fonction de chef de Service Réanimation ; bien entendu, après l’épidémie de coronavirus contre laquelle ton savoir reste un précieux rempart.
Docteur Alioune Blondin Diop est ancien praticien des Hôpitaux de Paris, spécialiste de médecine interne.