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Le Covid-19 Et Les Politiques Economiques Du Monde D’apres

Le Covid-19 Et Les Politiques Economiques Du Monde D’apres

L a pandémie Covid-19 constitue probablement l’une des plus graves crises sanitaire, économique et sociale que l’Humanité a eu à traverser par temps de paix. Parallèlement aux efforts sans précédent pour maîtriser la propagation du virus et pour gérer les effets sanitaires de la crise à travers des politiques strictes de confinement et de distanciation sociale, la plupart des pays ont accompagné ces mesures par des politiques économiques d’une vigueur sans précédent dans l’histoire.

Tout en luttant contre la pandémie et ses effets dévastateurs sur l’humain, ces politiques économiques cherchent à empêcher sa transformation en une crise économique qui serait plus grave que la grande dépression de 1929. Et, si les interventions dans le domaine de la santé publique et de la prise en compte des aspects sociaux préfigurent le monde à venir, les politiques économiques déployées annoncent les grandes orientations de l’action publique pour le secteur économique du monde d’après. Il est certes prématuré de parler des grands choix de politique économique à venir, mais nous souhaitons en brosser les grands traits.

L’examen des choix de politique économique dans le monde en ces temps de Covid-19 nous a permis de retenir cinq grandes caractéristiques.

1. La plus importante est le retour fracassant de l’Etat. Un Etat que les héritiers de Friedman, le maître de Chicago, avait précipitamment enterré dans une contre-révolution néo-libérale au début des années 1980 et qui rassemblait à une revanche sur Keynes, le maître de Cambridge, après une longue traversée du désert du néo-libéralisme. Certes, cette version hard du néo-libéralisme et de la fin de l’Etat n’a pas résisté aux récessions et aux turbulences que la globalisation avait ouvert et le marché n’a pas réussi à maitriser les incertitudes et les dérives d’un capitalisme sauvage libéré des contraintes éthiques et politiques des sociétés de la solidarité. La hache de guerre fut alors enterrée entre les héritiers des maîtres de Chicago et de Cambridge. Le néo-libéralisme a évolué alors vers une version soft de la victoire du marché sur l’Etat.

Désormais, la nouvelle synthèse entre les néo-keynésiens et les nouveaux classiques qui va régner en doxa dans le champ économique au cours des années 1990 et 2000 va développer une nouvelle vision de l’Etat et limiter son intervention à la régulation de l’ordre marchand et à la correction des imperfections du marché. Et, on a traversé la fin du siècle et le début de ce siècle avec cette douce certitude de la fin des grands dogmes de la modernité et l’avènement des petits plaisirs de la postmodernité joyeuse. On n’était pas peu fiers d’avoir érigé un nouveau monde débarrassé des contraintes du monde d’avant et de ce poids excessif de l’Etat pour retrouver les libertés enchantées de l’individu dans un monde globalisé et sur une toile et des réseaux sociaux affranchis des frontières du monde physique. Mais, cette utopie n’aura duré qu’un temps et le réveil a été difficile déjà au lendemain de la grande crise financière de 2008. Il fallait parer au plus pressé et le retour de l’Etat a été massif pour sauver un capitalisme au bord du gouffre. Mais, une fois le sauvetage des grandes banques et des grandes institutions financières assuré, on est revenu à nos vieilles certitudes libertaires sur la fin de l’Etat. Mais, avec le Covid-19 le réveil a été encore plus effrayant. C’est l’humain qui est en danger et nous ne sommes pas en mesure de faire face à ce virus en dépit des grands progrès de la science et des avancées de la médecine. Dans ce paysage global de désolation nous avons appelé l’Etat à la rescousse et désormais il sera au cœur des dynamiques économiques dans le monde d’après.

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2. Parallèlement à ce retour de l’Etat, l’autre revenant dans les politiques publiques depuis l’éclatement de la crise du Covid-19 est le social. Nous l’avions totalement oublié tellement nous étions obnubilés par la certitude que l’homme moderne maitrise le monde et plie la nature selon sa volonté. Le social vient de se rappeler à notre bon souvenir au moment de cette crise et de prendre sa revanche sur sa marginalisation depuis des décennies.

Le modèle de l’Etat-providence a prévalu dans les pays développés mais aussi dans un grand nombre de pays en développement après la vague des indépendances. Un modèle qui permettait à l’Etat de prendre en charge l’effort de solidarité sociale entre couches sociales et générations. Mais, aussi cette solidarité s’est accompagnée d’un investissement important dans les secteurs sociaux, particulièrement dans l’éducation et la santé. L’école et l’hôpital sont devenus les porte-drapeaux des républiques modernes à travers le monde et l’expression universelle du contrat social et de l’ouverture des sociétés démocratiques. Or, ce contrat va s’effriter au début des années 1980 sous les coupes sombres effectuées par les réformes néo-libérales et la fin de l’Etat-providence dû à la défaite des sociaux-démocrates face à un retour en force d’une droite dure, décomplexée et déterminée à en finir avec la solidarité. Désormais l’impératif de stabilisation des finances publiques et la lutte contre les déficits vont conduire les choix de politique économique. Les secteurs sociaux seront les premières cibles d’un pragmatisme technocratique à la mode pendant plus de trois décennies. La longue agonie de l’école publique et de l’hôpital vont alors commencer et se poursuivre devant des populations impuissantes face à la montée des inégalités et à la marginalité. Cette crise sans précédent nous rappelle nos erreurs passées et nous ramène à la raison pour mettre dorénavant le social au cœur de notre nouveau projet politique démocratique.

3. La troisième caractéristique des grands choix de politiques économiques pour faire face à cette crise majeure concerne la sortie des réponses classiques et l’entrée dans l’ère des politiques non conventionnelles. Jusqu’à cette crise, nous nous baignons dans l’ère de la neutralité des politiques économiques. Un dogme que la contre-révolution néo-libérale a fait régner en référence ultime dans le champ des politiques économiques. Cette thèse a dominé le champ économique et les héritiers du maître de Cambridge, Milton Friedman, se sont rappelés au bon souvenir d’un article oublié dans l’histoire de la réflexion économique et qui date de 1961 écrit par John Muth sur les anticipations rationnelles(1). Ce texte a été à l’origine de la construction post-moderne du mythe de l’individu ou de l’agent économique, pour reprendre la terminologie des économistes, rationnel et qui dispose d’une information totale et parfaite sur l’ensemble de l’environnement économique. Cet agent pouvait lire et analyser les subterfuges de l’action publique et les déjouer.

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Ce super héros de la globalisation, l’individu armé d’une rationalité sans limites est en mesure de prédire les effets des interventions de l’Etat, un acteur totalement affaibli et incriminé de tous les maux, et de les prévenir. Du coup, l’Etat a été dépossédé des instruments de politique économique et appelé à la plus grande neutralité dans le champ économique et à assister impuissant aux turpitudes de la globalisation. Or, la multiplication des crises et particulièrement celle de 2008 a été à l’origine d’une sortie de cette neutralité et d’un retour aux politiques économiques actives.

Ainsi, a-t-on vu renaître de leurs cendres les politiques budgétaires de relance et les politiques monétaires expansionnistes. On a retrouvé l’enchantement des politiques économiques non-conventionnelles et la richesse de l’action publique dans le domaine économique. Mais, ces politiques non-conventionnelles n’ont pas eu la vigueur attendue et les pressions ont été fortes pour sortir des politiques actives et normaliser le champ des politiques économiques. Or, la crise vient de raviver avec une puissance sans précédent le retour aux politiques économiques non-conventionnelles ou hétérodoxes et sortir définitivement du dogme de la neutralité érigée en croyance par la contre-révolution néo-libérale. 4. La quatrième caractéristique des politiques économiques mises en œuvre pour combattre le virus Covid-19 et empêcher sa transformation en une grave crise économique concerne la mobilisation de tous les instruments et de tous les outils.

C’est la totalité de l’arsenal des politiques économiques qui est mis à participation : des politiques budgétaires, aux politiques monétaires en passant par les politiques fiscales. Il s’agit d’une rupture majeure dans la tradition des politiques économiques dans la mesure où l’ensemble de ces outils ont été déclassés par le passé laissant la place aux politiques monétaires pour agir sur les turpitudes du monde économique.

Et, comme la confiance des technocrates dans la démocratie et le monde politique n’est pas à son comble, on a institué l’indépendance des banques centrales comme une garantie face aux envies d’un monde meilleur des laissés pour compte. Incroyable situation où l’Etat, sous la pression d’un néo-libéralisme à la mode, s’est progressivement délesté de tous ces outils pour agir sur la sphère économique pour assister impuissant à la montée du dogme de la stabilité érigée en objectif ultime du fonctionnement des économies.

La crise du Covid-19 aujourd’hui nous permet de reprendre possession de tous les outils de la politique économique et de retrouver notre capacité d’action collective pour faire face à l’incertitude et aux angoisses du monde d’après. 5. La dernière caractéristique des choix mis en place aujourd’hui est la volonté de se libérer des contraintes que nous nous sommes mis pour empêcher notre action collective et le dynamisme des politiques publiques.

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En effet, comme si ce changement de cap et cette révolution néo-libérale n’étaient pas suffisants, on les a renforcés par des mesures et des contraintes pour empêcher l’action collective et faire triompher la résignation. Une situation kafkaïenne où les humains se sont délestés des outils d’action collective et ont favorisé une démission collective face à l’incertain et aux grognes du monde et de nature. Cette situation intellectuelle ferait se retourner dans leurs tombes les philosophes des Lumières et de la modernité qui ont cherché à nous libérer de la domination d’un autre qui nous est extérieur et pour faire de la raison, de la science et de l’action collective les moyens de notre maitrise du monde et de la nature. Ainsi, l’industrie intellectuelle de l’invention des contraintes a connu un développement sans précédent au cours des années 1990 et 2000. En 1992, les pays de l’Union européenne ont mis en place le pacte de stabilité ou l’accord de Maastricht qui a réduit à 3% les déficits publics et limiter ainsi la marge d’action des politiques publiques. On a eu également toute la littérature sur les règles d’or qui ont cherché à imposer l’équilibre des comptes publics dans les constitutions.

Et, tout récemment on a assisté à un renforcement des critères de Bâle et des normes de risque des banques qui ont été appliqués de manière uniforme à toutes les banques quelques soient leurs importances et à tous les pays en dépit des différences de contexte. Certes, nous avons cherché à nous libérer de ces contraintes lors de la grande crise financière de 2008 pour permettre aux Etats de sauver le système capitaliste et les grandes institutions financières. Mais, il s’agissait d’une libération honteuse et les règles, les normes et les contraintes à l’action collective ont rapidement repris leur domination comme si de rien n’était. Or, la crise du Covid-19 a ouvert un horizon nouveau aux politiques publiques en favorisant une sortie des contraintes que nous nous sommes empressés à mettre en place pour empêcher notre action et assister de manière joyeuse à notre défaite collective. Les politiques mises en place pour faire face au Covid-19 à travers le monde opèrent une rupture majeure dans le village jusque-là heureux des économistes. Il s’agit du retour de la volonté de l’action collective à travers un retour de l’Etat et la sortie de la démission collective en ressuscitant les outils de la politique économique et en nous invitant à faire du vivre ensemble et du contrat social les fondements de nos démocraties. Nous avons appelé à cette rupture au lendemain de la crise de 2008(2). La crise du Covid-19 fait de cette rupture une urgence absolue.    

HAKIM BEN HAMMOUDA

ECONOMISTE ET ANCIEN MINISTRE DE L’ECONOMIE ET DES FINANCES DE TUNISIE

1. John F. Muth, Rational expectations and the rational of price movements, Econometrica, 1961

2. Hakim Ben Hammouda, Nassim Oulmane et Mustapha Sadni-Jallab, Crise… et naufrage des économistes ?, Editions De Boeck, 2010







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