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La Controverse

De nos jours, l’islam fait régulièrement la Une de la presse internationale. Il fascine le grand public autant qu’il interpelle penseurs et décideurs.  En effet, il est pointé du doigt comme étant, à tort ou à raison, le principe moteur de la violence qui sévit dans beaucoup de points du globe. Deux philosophes se sont penchés à travers un ouvrage sur la question. Rémi Brague, français et catholique, et Souleymane Bachir Diagne, sénégalais et musulman, engagent dans La Controverse, Dialogue sur l’islam (Stock, 2019, 187 pages), un débat passionnant et sans concession sur l’islam. Quand le premier jette sur le tapis les questions qui fâchent et celles qui font polémique, le second lui porte la réplique en déconstruisant les accusations savants contre l’islam.

L’islam serait-il contraire à la liberté et le libre-arbitre ? Serait-il incompatible avec la démocratie ? Serait-il insoluble dans la modernité ? Accorderait-il un statut marginal à la femme ? Le Coran justifierait-il la violence ? La raison serait-elle étrangère à l’islam ?

Telles sont, entres autres, les grandes questions qui font l’objet de ce débat, très souvent divergent, parfois convergent.

Le contexte de cette polémique est planté dès l’abord. A l’heure de la mondialisation et des migrations de masse, l’islam, constatent les auteurs, est en crise, du fait que des populations musulmanes ont quitté leurs terres d’origine pour s’implanter en Occident. Ainsi, après avoir été asiatique et africain, l’islam est-il devenu aujourd’hui une réalité européenne et américaine, avec ce que cela engendre en termes d’acculturation et de déracinement. Cette crise, Souleymane Bachir Diagne l’entend dans le sens d’un retour, d’une reprise de soi  qui précède la « guérison ». Pour lui, l’islam est dans un tournant historique où les musulmans « doivent se réinventer en tant que musulmans ».

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La Charia est un des points de discorde entre les deux philosophes. En fait, il est généralement admis que la Charia est un corpus de texte législatif qui encadre la vie des musulmans. Il n’en est rien pour Diagne, pour qui ce que l’on appelle la Charia ne veut rien dire puisqu’elle emprunte des formes différentes suivant les lieux et l’interprétation qu’on en donne.

Dans ce débat, le Coran est massivement cité, commenté et interprété. D’ailleurs si l’islam est aujourd’hui pointé du doigt comme une religion violente, c’est justement à cause du Coran qui légitimerait la violence. Le Coran, belliqueux et violent, selon Brague, est fondamentalement différent des Evangiles qui seraient par nature pacifistes. Diagne lui rétorque qu’on ne saurait imputer à l’islam les massacres faits à son nom par des terroristes, pas plus qu’au christianisme les violences qui ont accompagné son histoire, ni au bouddhisme les persécutions des Rohingyas par les moines.

Aussi, le Coran, soutient Brague, à la différence des Evangiles, est un livre dicté, et non révélé par Dieu. De ce fait, ses injonctions et ses interdits ont un aspect contraignant et offrent peu de place à l’interprétation au  sens de la tradition juridique occidentale. Pour Diagne, avec le Coran, certes « la perfection divine a pu pénétrer une langue humaine, trop humaine », mais cette traduction verticale du verbe divin a pu faire l’objet d’une longue tradition philosophique et théologique dans l’islam et qu’elle a donné lieu au IXème siècle à  une controverse majeure parmi les théologiens et les Mutazilites, les rationalistes de l’islam, à savoir le caractère créé ou incréé du Coran.

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L’islam est souvent considéré comme une religion politique. Parce qu’il a existé de tout temps un Etat islamique depuis la mort du prophète, et que le Califat qui est le garant de l’ordre politique est une institution dans l’islam. Diagne réfute cette thèse pour deux raisons principales : primo, le Coran ne mentionne même l’ébauche d’un Etat. Secundo, le prophète lui-même n’a pas désigné de successeur à sa mort ni un mode de désignation, ce qui fait qu’à sa mort les modes de désignation des quatre califes bien guidés sont différents l’un de l’autre. Par la suite, ce sont des dynasties qui se sont installées dans le monde islamique. Cela donne aux sociétés musulmanes la liberté de choisir leurs modes de gouvernance.

L’islam serait incompatible avec les valeurs de la modernité, et, partant, d’aucuns préconisent un « islam des Lumières » pour sortir les musulmans de leur misère morale et matérielle. Diagne pense que l’on soutient cela en prenant le XVIIIème siècle européen comme référentiel ; que le monde de l’islam devrait parcourir le même chemin que l’Occident ; et que le modèle européen serait universel. En oubliant bien sûr que ce « siècle des Lumières » n’a pas été si lumineux qu’on le dit, puisqu’il est au aussi le siècle du « Code noir » qui  régit l’esclavage.

Si l’on parle d’islam dans le monde contemporain, il y a certes la violence qui revient constamment, et avec elle la question de la femme. Le « siècle des Lumières » européen a consacré l’affirmation de l’individu autonome, et partant de la femme. Ainsi, comparée à la femme occidentale qui a acquis l’égalité face à l’homme, la femme en islam continue-t-elle à être assujettie, et la polygamie serait la parfaite illustration de cette condition. Pour Diagne, on oublie souvent que la polygamie n’est pas une recommandation mais une tolérance. Et que les statistiques actuelles dans le monde musulman tendraient à la suppression de cette pratique.

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Au final, La Controverse a tenu ses promesses. Des questions de fond opposent les deux philosophes, de la nature de celles qui opposent l’islam et la pensée occidentale. Rémi Brague s’est fait écho des griefs que l’Occident, et a un degré moindre le catholicisme, porte contre l’islam et que l’actualité politico-sociale ne fait qu’amplifier. Souleymane B. Diagne puise dans l’histoire et  la théologie musulmanes les arguments pour démonter les accusations et stéréotypes contre l’islam.

Dr Cheikh Mbacké Diop est enseignant/chercheur







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