QUESTIONNEMENT ICONOCLASTE – Mes parents Hal Pulaars en riront ; simple délire de Sérère avant l’heure, apeuré par la perspective des tortures ventrales du ramadan qui pointe son nez à l’horizon ou vrai Oustaz et islamologue, Cheikh Ibrahima Faye diffusé par le site Cmédias TV et relayé par les réseaux sociaux, a fait le buzz cette semaine.
A juste ou erroné titre, il émet une hypothèse simple, mais quelque peu surréaliste. Partant du principe que le coronavirus frappe des personnes qui tombent malades et d’autres qui demeurent saines en apparence et que pour s’en prémunir, il est nécessaire de « boire toutes les deux heures une boisson chaude, puisque les méfaits du corona partent de la gorge » (sic), l’islamologue estime que le ramadan en vue peut être reporté. A condition, précise-t-il, que les médecins indiquent « clairement » et « par écrit » que le jeûne est incompatible avec la période de coronavirus, il vaut mieux alors, par précaution, décaler, du coup, le ramadan. Ah li nexul ?, aurait piaffé Wouly le jeune champion sérère !
Pour fonder sa thèse en droit islamique, le prédicateur rappelle que le bon Dieu « n’a demandé à personne de se suicider« . Le Prophète (PSL), ajoute Oustaz Faye, a dit que « l’homme ne doit pas brader sa santé » (c’est ainsi que je traduirais niit du taylé boppam« ).
Cette sortie d’un Oustaz moins célèbre que les têtes de gondole habituelles pour lancer un débat iconoclaste, est témoin de ce que les médias sociaux ont entrainé comme avancée en matière de pluralisme médiatique. Désormais, parler des choses sérieuses, comme de celles qui le sont moins, n’est plus l’apanage des célébrités. Internet, au risque d’abus déplorables, contribue à déverrouiller l’espace médiatique et ne plus en faire l’affaire de ceux que le sociologue Bourdieu appelait les « fast-thinkers » ou intellectuels médiatiques, professionnels des plateaux et studios de radio ou télé.
Aie aie… je connais des gars, sérères comme hal pulaars, prêts à aller soudoyer, comme on le ferait pour les faux certificats médicaux, des docteurs pour valider la thèse d’Oustaz Faye. Pas seulement pour un report, mais une annulation pure et simple du ramadan 2020 ! Pour eux, cumuler angoisse de coronavirus et faim, ce serait trop ! Ree ba tass (à en mourir de rire !)…
UN PLAN MACKYSHALL – En attendant la fatwa de notre révolutionnaire Oustaz, nous pouvons l’assurer d’une chose au moins par anticipation : le ramadan n’aura pas lieu en 2020. N’allez pas vite en besogne, que vous soyez sérères ou hal pulaars ! Lisez bien la suite, car il y a lieu de préciser de quel jeûne il s’agit. Le ramadan à la Sénégalaise… Celui fait des « ndoggus » de rue et ses quasi-extorsions de fonds qui l’alimentent, sera remisé aux placards.
Le ramadan que l’on ne verra pas cette année, couvre-feu oblige, est aussi celui des séances de ‘’nafilas’’ le soir à la mosquée, bondée de monde, où le trafiquant de chanvre indien du quartier, néo-dévot, côtoie, entre autres fidèles, la rombière du coin, voilée depuis peu, ndeyssan, pour un mois de pénitence dont elle espère tirer réconciliation avec le miséricordieux Seigneur avant de baisser pavillon et retomber dans les deals charnels au bout d’une dizaine de jours d’un épuisant jeûne.
Le ramadan à la Sénégalaise est aussi celui des « conférences religieuses » initiées par des associations de quartier, d’entreprise, d’institution à la pelle et énorme bizness social-religieux, voire même politique parfois. C’est la période la plus adorée par les collègues d’Oustaz Faye avec des prestations qui valent de l’or pour les plus cotés d’entre eux. Oustaz Alioune Sall de la radio Sud FM (un bel exemple de fidélité médiatique !) a la franchise de dire, à qui veut l’entendre, que sa période de bonnes affaires est le ramadan, moment durant lequel il aligne les conférences planifiées, comme pour un artiste, par un manager.
Si les hôteliers et de nombreux autres secteurs économiques ne sont ni dos au feu ni ventre à table en ce moment, les prédicateurs sénégalais devront aussi, peut-être, recevoir leur part du « Plan Mackyshall« , le Marshall à la Sénégalaise qui veut protéger le père de famille comme l’employé et l’entreprise. Un énorme défi ! Oui Alioune Sall, Taïb Socé, le sémillant Iran Ndao, le duo Gaye-Aïdara, la bande des orateurs thiessois aux speeches parfois à la limite du religieusement correct (ils aiment trop parler de sexe !), entre nombreux autres, ont bien besoin d’une aide d’urgence. Comme énormément d’autres, malheureusement ! Les sinistrés du coronavirus vont du vendeur de journaux qui se voit rejeter pour cause de soupçon de Covid-19, à l’abbé qui ne reçoit plus l’obole de ses paroissiens le dimanche, faute de célébration de messes, en passant par l’imam et le muezzin que la prière à domicile appauvrit aussi, aux mendiants qui n’ont plus de fidèles à solliciter à la sortie des lieux de culte, l’école privée qui ne voit plus de parents d’élèves venir s’acquitter des frais de scolarité… A des niveaux insoupçonnables !
Ce ramadan-là à la Sénégalaise a des chances nulles de prospérer cette année pour les mêmes raisons qui ont fait que le « ngalakh » de Pâques, qui ruine chaque année nos compatriotes chrétiens, pratique d’un bienveillant œcuménisme version pays de Senghor, est aux abonnés absents, ce week-end. Etat d’urgence, couvre-feu et riposte sanitaire obligent ! Ce ramadan-là, avec tout le folklore de belles dames superbement parées pour suivre les envolées lyriques d’un conférencier, ne sera pas au rendez-vous. 2020, une année zéro, écrivions-nous, il y a quelques semaines…
Les propos du Dr Aloyse Waly Diouf, Directeur de cabinet du ministre de la Santé, repris par la presse de cette semaine (« la guerre vient de commencer« ), face au développement de cas dans les quartiers, doivent rappeler à tous que nous ne sommes pas encore au bout du tunnel. Et que long sera le combat. C’est peut-être le prix fort à payer pour ceux qui tiennent à passer, dans trois mois, une Tabaski comme les autres. Pour cela, il faudra renoncer, à force de rigueur, aux plaisirs et folklores habituels. C’est aussi une superbe occasion de faire place à un mois de ramadan d’un type inédit, fait cette fois-ci de sobriété et où les dépenses excessives et le tintamarre laisseraient la place au vrai esprit du carême qu’est un régime d’ascétisme et d’ambiance monacale.