Depuis des décennies, l’Afrique peine à trouver sa voie dans un processus de mondialisation, pensé et conduit par des puissances d’argent, avec comme conséquence, un creusement de plus en plus prononcé des inégalités : plus de prospérité pour une infime minorité et plus de pauvreté pour le plus grand nombre.
Le monde semble aller vers une déshumanisation progressive. L’’accomplissement de l’homme n’est plus la préoccupation majeure, mais le renforcement du Capital à travers une accumulation sans fin apparaît comme l’objectif prioritaire.
Comme une machine hors de contrôle, le monde des hommes s’est emballé dans une course effrénée vers plus de profit. Une course menée par des hommes qui seront, eux-mêmes, oubliés à la fin de chaque processus de transformation.
La production est localisée avec comme objectif la recherche de gains de productivité et de rentabilité. Des sites de profits tout trouvés deviennent les centres de création de la richesse mondiale, ce bien qui devait être le mieux partagé pour le plus grand bonheur de l’humanité.
Loin d’être un humaniste, dogmatisme en bandoulière, je souhaite à travers cette réflexion, et en ces moments difficiles que traversent toutes les Nations, interpeller l’Afrique, à travers ses dirigeants et notre Union (l’Union Africaine) a travers ses Organes, sur la posture à adopter et sur notre partition à jouer en tant que continent à part entière. Je devrais dire en tant que Nation Africaine.
Au moment où se construit sous nos yeux, un nouveau monde qui va donner naissance à un nouvel ordre mondial, l’Afrique que nous aimons tant, doit être un acteur de premier plan dans ce processus. Je dis bien acteur et non spectateur. L’Afrique unie ne doit pas revendiquer cette place mais l’arracher au besoin !
Je me permettrais de citer le Président Emmanuel Macron dans son discours du 13 avril <<il est de notre responsabilité de bâtir dès aujourd’hui des solidarités, des coopérations nouvelles>>. Je comprends ici la « Responsabilité » au sens inclusif du terme (les dirigeants Africains), car il venait de parler en d’autres termes empreints de sincérité, de la nécessité <<d’aider aussi au plan économique l’Afrique par une annulation massive de leur dette>>. Cette posture du Président Macron est à saluer à sa juste valeur. Il revient aux dirigeants Africains de jouer pleinement leur rôle en parlant d’une seule voix, celle de l’Afrique, celle que notre jeunesse attend. Avec tous les atouts désormais en main, nous ne devons pas démériter de cette jeunesse qui nous regarde !
L’Afrique a son mot à dire dans cette nouvelle mondialisation, dans cette globalisation de l’économie. A quelque chose malheur est bon ! Les temps actuels et surtout à venir seront certainement parmi les plus tristes et peut être les plus déchirants de l’histoire de l’humanité. Mais avec un grand espoir qu’un nouveau monde, plein d’espérance et de renouveau va s’ouvrir. L’Humanité est saisie de doute, à cause d’un virus invisible qui est en train de traverser le monde, de semer la désolation. Les pays « puissants » se disputant le leadership avec les pays pauvres tous les soirs à l’heure du bilan journalier et macabre des ravages de la maladie à l’échelle planétaire.
Le fossé entre pays riches et pays pauvres est subitement <<comblé>> car la conséquence est la même pour tous riches comme pauvres, la solution jusqu’ici est restée introuvable et l’impuissance des peuples continue de s’affirmer tous les jours.
J’ai dit que l’Afrique à son mot à dire, oui! l’Afrique à son mot à dire, l’Afrique doit agir ici et maintenant, en toute responsabilité, en prenant toute sa place déchargée de ce fardeau du complexe d’infériorité. L’Afrique n’aura plus cet alibi, après cette période de l’histoire contemporaine des peuples, de faire comprendre que tout ce qui lui arrive est du fait des autres…L’Afrique est face à son destin. C’est là où l’idée de Nation Africaine à travers une solidarité toute Africaine aura tout son sens.
L’Afrique se doit de réfléchir vite et bien, elle en a les moyens, les compétences et le soutien de pays amis autour de quelques problématiques majeures non limitatives.
1/ Quelle sera la place de notre continent dans cette nouvelle gouvernance socio économique mondiale avec un modèle qui vient de montrer ses limites? Quelle gouvernance enfin! qui mettra l’épanouissement de l’HUMAIN au sens large du terme au cœur de toutes les préoccupations et non l’épanouissement de L’HOMME au sens individuel.
Selon les rapports de la Banque Mondiale et de OXFAM il est mentionné que du fait de la Pandémie du Coronavirus L’Afrique Subsaharienne :
• va vers sa première récession depuis 25 ans;
• la croissance devrait se rétracter entre 2019 et 2020 passant de 2,4 % à une fourchette comprise entre -2,1% et -5,1%;
• la contraction de la production agricole entre 2,6% et 7% (scénario blocage commerciaux) avec des pertes entre 37 et 79 milliards de dollars en 2020 ;
• une crise alimentaire sans précédent
• un recul de 10 voire 30 ans dans la lutte contre la pauvreté (OXFAM);
• les importations de denrées alimentaires vont reculer de 13 à 25% (pour des pays qui ne sont pas autosuffisants);
• le désastre c’est que un demi milliard de personnes pourraient basculer dans la
Le G20 vient de se réunir, avec tout le respect que je dois aux autorités du G20, je crains que ce ne soit un autre rendez vous manqué avec <<56% du total des personnes extrêmement pauvres dans le monde>> selon le dernier rapport triennal de la Banque mondiale sur <<la pauvreté extrême dans le monde>>. Le réaménagement et l’assouplissement des conditions de paiement de la dette n’ont pas la même portée que l’effacement de la dette.
Devant un tel schéma apocalyptique l ‘Afrique attendait du G20 une réponse plus audacieuse, non équivoque pour soutenir l’effort BUDGÉTAIRE des États. Plusieurs chercheurs et analystes l’ont dit. Monsieur Hafez Ghanem Vice Président de la Banque mondiale appelle les créanciers bilatéraux officiels au moratoire du service de la dette …pour libérer des liquidités….et sauver des vies. Moi je dirais que vous devez oser aller plus loin, vers une annulation de la dette comme l’avait suggéré le Président Macky Sall à côté d’autres dirigeants Africains, et comme vient de le réitérer le Président Macron, pour ne pas être dans une perpétuelle fuite en avant qui va tôt ou tard nous rattraper. Nous le savons tous la réponse face à un telle crise ne peut plus être seulement budgétaire quelle que soit la volonté des États . Il faut une injection de liquidités dans les économies pour soutenir non seulement les ménages en difficulté mais aussi les Entreprises et le secteur informel. Le secteur informel en Afrique c’est connu de tous , est un des piliers les plus importants dans la lutte contre la pauvreté au vu de la structure de notre modèle social.
Si nous voulons le redémarrage de l’économie Africaine dans des conditions de vraie résilience, tous les intellectuels savent, que l’annulation de la dette est la SEULE ALTERNATIVE. Les institutions de Bretton Woods (comme du reste le G20) ne doivent pas nous engager vers une autre voie qu’après la levée de ce préalable en s’appuyant sur tous les instruments à leur disposition.
C’est pourquoi je salue l’initiative prise le 13 avril 2020 par le Conseil d’Administration du FMI avec l’allègement de la dette en faveur de 25 pays dont 6 pays de L’UEMOA même si elle reste insuffisante (six mois), en attendant l’initiative lancée pour trouver les ressources pour compléter pour les deux années à venir. Je me questionne cependant, à la lecture complète de la liste des bénéficiaires, et compte tenu de l’horizon temporel (2 ans), sur l’exclusion de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, pour une initiative qui veut fournir <<des subventions à nos membres les plus pauvres et les plus vulnérables pour couvrir leurs dettes envers le FMI >>. Espérons que cette exclusion ne concernera que les 6 premiers mois au risque de voir s’instaurer un débat technique et démocratique autour de la pertinence de cette décision.
Je ne nie pas les efforts fournis par la FMI au Sénégal à travers les instruments que sont l’instrument de facilité rapide (IFR ) et la facilité de crédit rapide (FCR) pour près de 277 milliards. Cependant, allègement n’est pas synonyme d’endettement même à des conditions plus douces et moins contraignantes dans la mise à disposition. L’objectif c’est non seulement de contenir le choc, mais de revoir le profil et le poids de la dette sur nos économies. Ceci permettra de libérer des espaces dans l’espoir d’une vraie résilience de nos faibles économies à la reprise de l’activité économique.
L’Afrique en général et les pays de l’UEMOA en particulier ont besoin aujourd’hui d’une injection massive de liquidités, même avec le risque de libérer un peu l’inflation de manière responsable, pour soutenir les secteurs productifs dans le cadre des activités. Il faudrait en profiter pour mettre aux normes de notre système de santé , celui de l’éducation et de la RECHERCHE que nous avons souvent tendance à négliger jusqu’à pousser nos chercheurs à l’expatriation. Certains pays et pas des moindres étaient incapables de mettre à la disposition des services d’urgence (s’ils existent ) un minimum de respirateurs, de masques et d’habits de protection pour le personnel du service médical, au moment où les commandes dans le nord se faisaient par milliers. Je salue au passage le grand sacrifice et le comportement hautement citoyen, du personnel santé qui a travaillé dans des conditions désastreuses pour gérer cette pandémie. Ces personnes ayant données leur vie pour sauver celle d’autres (dans tous les pays du monde) mériteraient au delà des décorations (s’ils en ont) d’être citées en martyres.
L’Afrique et le monde en général attendent de nous de revoir ce modèle de la globalisation qui tout le monde le sait a atteint ses limites. Et la démonstration la plus éclatante a été donnée par l’absence de réponses immédiates, coordonnées et solidaires, à des demandes parmi les plus élémentaires pour lutter contre cette pandémie……avec l’impossibilité de satisfaire les demandes urgentes à cause d’une excessive centralisation (régionale) de la production par centre de profit. La conséquence à été une cacophonie indescriptible et un égoïsme d’Etat sans précédent face à la souffrance d’à côté, malgré tous les « bienfaits » supposés de la mondialisation qu’on nous a toujours vantés.
Pour plus de justice, cette économie intégrée par la mondialisation ne peut plus être une couloir aménagé pour que la recherche de la prospérité pour le plus petit nombre soit le seul objectif même inconscient.
Les centres de profits ne devront plus être concentrés dans une seule région pour le plus grand bénéfice du plus grand nombre.
2/ Quel nouveau lien avec les institutions de Bretton Woods pour rendre un peu plus flexible leur mode d’intervention dans les <<Nations les plus faibles>>.
Les initiatives du FMI telles que l’IFR et le le FCR sont à saluer.
Les critères de convergence ont été mis à rude épreuve. Le dogmatisme du déficit budgétaire à 3%, l’inflation à moins de 3% dans des économies comme les nôtres, en construction, confrontées chaque jour aux urgences doivent ils rester les mêmes même si on sait que face à la crise l’étau s’est un peu desserré autour du déficit budgétaire. Même si on sait l’effort de tempérance des taux d’intérêt qui ne manquera pas de stimuler la demande et de maintenir les Entreprises dans une situation de risque contrôlé.
3/ Quelles nouvelles orientations (à) donner aux institutions spécialisées des Nations Unies pour une plus grande réactivité même si on peut leur laisser le bénéfice du doute à cause de la spontanéité (soudaineté) et de l’ampleur de la crise.
Une grande réflexion doit être menée dans ce sens avec des réformes profondes du côté des institutions, mais également des États, pour qu’ à ces derniers, en cas de divergence d’intérêts au profit du plus grand nombre, que ne leur soit laissée la latitude de surseoir à leur obligation d’Etat partie.
4/ Enfin quelle relation d’amitié véritable avec les << Grandes Nations>> en écartant (mettant en veilleuse) l’adage qui veut que << les Nations n’ont pas d’amis mais que des intérêts>>.
Cheikh Hadjibou Soumaré Ancien premier ministre du Sénégal