Internet et ses différentes plateformes (Messenger, WhatsApp, Instagram) jouent un rôle déterminant dans la circulation de l’information sur le Covid 19. Les populations disposent largement de précieux renseignements sur la situation géographique de la pandémie, les mesures préventives à adopter ainsi que les controverses sur le vaccin en préparation. Jamais, peut-être, dans l’histoire humaine, les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) n’ont été aussi présentes dans la gestation d’une catastrophe planétaire. C’est l’un des grands enseignements de Covid-19. Toutefois, la vitesse de circulation des NTIC a généré aussi de la surinformation qui flirte dangereusement, dans certains cas, avec la désinformation.
Depuis l’accélération des NTIC, il y a 20 ans, les leviers traditionnels de l’information (les organes étatiques ou privés détenant le monopole de sa gestation) cohabitent désormais avec de nouveaux cercles dans ce terrain très sensible. Aujourd’hui, les applications sur Google store permettent à n’importe qui de relayer des informations sans pour autant s’assurer de leur authenticité. Pire : certaines applications permettent de confectionner ou de détourner des vidéos, images ou audio à des fins de tromperie évidentes. Chacun peut le faire en faisant fi des normes déontologiques requises. La relation traditionnelle entre émetteur (l’organe reconnu) et récepteur (public) est brouillée.
II suffit d’un simple clic pour transférer des messages dans l’instantanéité. Ce qui évacue les mesures précautionneuses apprises dans les écoles de journalisme ; recueillir et recouper avant la publication. Les individus sont alors submergés par le sensationnalisme et ces effets contradictoires qui ciblent moins le cortex cérébral (intelligence) que la zone limbique du cerveau (émotion). Perdus dans ce flot discontinu, le cerveau n’arrive plus à avoir la lucidité, gage d’une bonne évaluation de ce brouhaha. En gros, les parties les plus primitives de l’esprit humain sont mises en branle.
Naturellement, cet état psychologique particulier fait le lit des fake news (fausses informations).
L’UNESCO invite à la plus grande prudence à ce sujet. Le Covid-19 est un moment béni pour les théories complotistes pour alimenter les réseaux sociaux d’informations erronées. Les internautes se les échangent sans grande précaution. Les exemples pullulent : on a affirmé que le Pr Raoult aurait déconseillé aux Africains de se détourner du vaccin en préparation puisqu’il viserait à limiter la fécondité galopante des femmes africaines. Des images de films sur des épidémies ont circulé prétendant un complot international pour le contrôle de la planète via les firmes pharmaceutiques. II en est de même de la prétendue arrestation d’un éminent membre du Pentagone en complicité avec un pays qui aurait fabriqué le virus. On peut ajouter l’exemple de la 5G ou certaines images d’animaux en ballade dans les villes pour renforcer la thèse de la revanche de la nature sur la civilisation.
Ce n’est pas tout. Certains ont défendu l’idée que coronavirus serait une maladie des populations caucasiennes alors que les Africains en seraient immunisés. Cette thèse est d’une absurdité affligeante. La Chine, point de départ de la pandémie, est une puissante plateforme commerciale, financière et économique. C’est normal qu’elle attire plus les populations des pays riches comme elle. Les Africains qui y sont proportionnellement moins représentés sont moins atteints. On peut supposer que les Chinois ont longtemps gardé le silence sur la maladie. Ce qui explique que les premiers européens infectés (les Italiens) soient tranquillement rentrés chez eux sans s’inquiéter. La fin de la période d’incubation a révélé la nature et l’ampleur du drame : c’était trop tard.
Le même raisonnement est valable pour l’épidémie d’Ebola en RDC (2008) ou en Guinée (2014). Elle a moins touché les Européens, peu représentés dans ces pays, hormis certains volontaires des ONG (Médecins sans frontière). Par conséquent, la Chine en tant que puissance planétaire a généré une pandémie (envergure planétaire) tandis que la Guinée et la RDC ont généré des épidémies (portée régionale). Comme on le voit, le poids économique des zones concernées ou la vitesse de circulation des individus détermine cette disproportion ethnique ou géographique.
Enfin, des experts ont agité une thèse de fond d’après laquelle un génocide ou un eugénisme négatif (élimination de personnes ou de populations jugées inférieures ou inaptes) serait en cours contre les populations noires aux Etats-Unis ou en Angleterre. Les statistiques montrent qu’elles sont, proportionnellement, les plus grandes victimes, inversement à leur représentativité. En fait, l’explication tiendrait moins à des raisons génétiques que socioéconomiques. D’abord, les populations noires et asiatiques (en Angleterre) occupent les postes qui sont les plus exposés au virus (infirmiers, chauffeurs, livreurs, caissiers). En temps de confinement, elles continuent de travailler et s’exposent aux risques d’infection. Ensuite, elles ont moins accès aux soins de santé qui les prémuniraient des maladies diabétiques et cardiovasculaires qui ont une relation profonde avec le stress de leur emploi. Enfin, on peut indexer une mauvaise alimentation.
Bien évidemment, ces paramètres n’éludent évidemment pas le racisme structurel mis en lumière par les études sur la « postcolonie » en vogue dans les pays anglo-saxons et en France (bien tardivement, il est vrai).
Les autorités sénégalaises seraient donc bien avisées de doter les comités de crise COVID 19 d’un organe d’alerte et de veille. Comme nous y invite l’UNESCO, traquer les fake news devient un impératif catégorique. On imagine déjà certaines réticences, par exemple, qui impacteront négativement les campagnes de vaccination dans les pays du sud.
Ndiakhat Ngom est président de l’Institut Transatlantique pour les Coopérations Sud-Sud (ITCSS)