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Le Pouvoir Etatique Ne Peut Servir A Garantir L’impunite

On a l’habitude de dénoncer ce qu’on appelle «une justice à double vitesse» et de «Kumba am ndey, Kumba amul ndey» qui renvoient tous deux à une situation de traitement inégalitaire, injuste, des cas d’infraction aux lois pénales. Ce dont on parle moins et qui est plus évident encore, est qu’il ne s’agit que de cas impliquant des personnalités politiques ou agissant dans la scène politique. Il n’est pas question de la seule justice, bien que ‘’principale accusée’’, mais aussi les deux autres sièges du pouvoir étatique que sont l’Exécutif et de Législatif.

La notion d’Etat de droit renvoie à l’idée de rapports entre les institutions étatiques et le droit, tenant en compte celui entre chacune d’elles et les citoyens. «Nul n’est au-dessus des lois» est la formule courante qui s’entend comme la soumission de toute personne à l’autorité de la loi. L’Etat de droit se caractérise donc par la primauté du droit dans l’organisation et le fonctionnement des institutions à travers la constitution, norme supérieure autour de laquelle s’articulent et se conforment toutes les autres normes juridiques qui encadrent la vie de la nation. C’est ce que Carré de Malberg exprime ainsi : «L’esprit de l’État de droit veut que la Constitution détermine supérieurement et garantisse aux citoyens ceux des droits individuels qui doivent demeurer au-dessus des atteintes du législateur.» En définitive, le respect de la règle de droit permet d’assurer une harmonieuse coexistence entre les institutions et de garantir la sécurité juridique des citoyens et non citoyens vivant sur le territoire national.

Cet idéal d’égalité des citoyens est quelques fois mis à mal à l’observation des événements se passant sous nos yeux : le député Bougazely, arrêté en flagrant délit de faux monnayage, est en liberté, même sous contrôle judiciaire, alors que deux autres parlementaires, ont été jugés, condamnés et emprisonnés et ont purgé des peines que leur avait infligées le juge correctionnel dans une affaire de trafic de passeports diplomatiques. De même, le dossier du Festival mondial des arts nègres (FESMAN) de l’inspection générale d’Etat (IGE) mettant en cause la gestion de Sindiély Wade, fille de l’ancien président de la République, coordonnatrice en 2010 de cet événement culturel de dimension mondiale, que le Chef de l’Etat a déclaré garder « sous le coude » pour des raisons sociales liées aux poursuites en cours alors, contre son frère Karim et en considération de l’âge avancé de leur père. Même si la loi reconnait au chef de l’Etat, les prérogatives de donner aux dossiers de l’IGE sur le fonctionnement de l’administration d’Etat dont il est le « chef suprême », la suite qu’il lui semble appropriée, on peut valablement donner raison à ceux qui ont dénoncé ce traitement jugé discriminatoire par rapport au dossier de ce même corps de contrôle sur la gestion des caisses d’avance de la Mairie de Dakar par M. Khalifa Sall et ses collaborateurs.

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Si, à plus ou moins bonne raison, ces faits sont dénoncés comme étant des dysfonctionnements de l’appareil étatique dans le respect du principe d’égalité des citoyens devant la loi, la même logique d’indignation au niveau de l’opinion publique doit être de mise dans tous les cas de poursuites judiciaires contre les hommes politiques (comme toujours). Bien au contraire, sous le charme du discours politique usant et abusant de ce j’ai appelé dans une autre contribution «la recette de la victimisation », l’opinion de bon nombre de Sénégalais est détournée des véritables causes des déboires, essentiellement d’actes criminels perpétrés par ces hommes politiques, vers la «machine judiciaire» présentée comme étant pilotée par l’adversaire politique au pouvoir. Le discours de la victimisation en politique est bien connu en communication, sociologie et sciences politiques. De nombreux travaux y ont été consacrés notamment par Patrick Charaudeau («De l’état victimaire au discours de victimisation : Cartographie d’un territoire discursif », revue en ligne Argumentation et Analyse du Discours (AAD), Grinshpun Yana ( ‘’La fabrique des discours propagandistes contemporains. Comment et pourquoi ça marche ? ‘’Le Harmattan, coll. Quête de sens- 2023,256 p)

Morceau choisi chez Charaudeau «Tout discours politique cherche à s’attirer les faveurs de l’opinion en mettant en exergue le désordre social, en en stigmatisant les causes, et en dénonçant les responsables. Le discours populiste s’inscrit dans cette même stratégie discursive en décrivant la victimisation du peuple, en diabolisant les causes, en faisant des responsables, des coupables. Et pour ce faire, il joue sur la topique de la peur en ses divers aspects, visant à créer des frustrations et à orienter la violence qui pourrait s’ensuivre contre l’ennemi et les coupables, stratégie discursive qui peut être résumée dans la fameuse formule de Jean-Marie Le Pen «Un million d’immigrés, un million de chômeurs». Tous les spécialistes dans ces domaines notamment ces juristes recouverts de leur toge de Professeur ou de «chercheur» qu’on entend régulièrement à travers les médias, connaissent sans doute cette «musique». Au lieu d’ajouter une couche de polémique dans le débat politique, ils feraient œuvres utiles à éclairer (dans la crainte de Dieu), les citoyens afin de les capaciter à résister «aux chants des Sirènes» politiques qui n’ont d’autres buts que, comme dans la mythologie grecque, de capter leur attention et captiver leur conscience et leur opinion à dessein jamais totalement décliné.

Les Sénégalais, on le sait, ont en général ‘’mordu à l’appât’’ du discours de victimisation. On se rappelle des cas de feu Djibo Leyti Ka et Moustapha Niasse face au régime du Parti Socialiste, de celui du Macky Sall face au régime du Président Abdoulaye Wade et aussi de Karim Wade et Khalifa Sall face au régime du Président Macky Sall. Mais celui qui a le plus «crevé l’écran», le «champion toutes catégories», est incontestablement Ousmane Sonko qui, condamné pour des affaires de mœurs et de diffamation (toujours pendantes), sous poursuites pour diverses autres infractions contre la sureté de l’Etat, gagne, malgré tout, en popularité sur la base d’une communication populiste et de victimisation bien orchestrée, assaisonnée par une certaine société civile et des intellectuels déroutants de leur crédo scientifique et de sagesse mais également par les maladresses de certains agents de l’Etat.

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. Il est important de noter que les cas énumérés ci-dessus, se distinguent en deux catégories en tenant compte de la nature du fondement du discours victimaire. En effet, si les trois premiers cas (Djibo Leyti Ka, Moustapha Niasse et Macky Sall) partent d’un différend politique au sein du parti auquel ils appartenaient, les trois derniers (Karim Wade, Khalifa Sall et Ousmane Sonko) par contre, sont concernés dans la commission de graves infractions à la loi pénale. Tous les trois ont été jugés et condamnés au pénal même si le cas Sonko est encore pendant devant la justice. Tous trois aspirent aujourd’- hui à être Présidents de la république du Sénégal. Terrible paradoxe ! Paradoxe parce que nul ne peut rejeter l’idée selon laquelle le pouvoir étatique ne peut servir de rempart contre l’action judiciaire et de garantie à l’impunité. Pourtant, des intellectuels, des acteurs de la société civile en plus de bon nombre de Sénégalais lambda, sont prêts à dresser une ‘’carapace blindée’’ autour de leur personne contre la justice de la République, en les plaçant à la tête de l’Etat.

Qu’on ne se cache surtout pas derrière un petit doigt accusateur de vols et autres enrichissements illicites à l’endroit des tenants du pouvoir actuel dans les discours politiques comme le décrit si bien Charaudeau, pour justifier une garantie d’impunité de ces personnes mises en cause par la justice de la République. Il est inimaginable en Europe, aux Etats Unis et dans toutes les grandes démocraties, de voir des personnes dans cette situation, prétendre à la moindre fonction publique. On sait ce qui est arrivé à Dominique StraussKahn et François Fillon en France. Il y a juste quelques jours, la Cour suprême du Colorado a fait sensation en déclarant M. Trump inéligible à la présidentielle américaine de 2024 en raison de ses agissements lors de l’assaut du Capitole. IL en est de même pour l’Etat du Maine. Même si la décision ne concerne, pour le moment, que ces deux Etats, elle est symbolique de la noblesse qui caractérise la fonction de Chef d’Etat et démontre à quel point elle est loin d’être une sinécure qui semble être le leitmotiv dans cette pléthore de candidatures à son exercice.

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Qu’on ne s’y trompe pas, la majorité silencieuse des Sénégalais, sait parfaitement faire la part des choses et décider lucidement. Avant, il reviendra au Conseil constitutionnel de décider, lesquels de la centaine environ de candidatures seront en définitive soumises au suffrage des Sénégalais. A ce niveau, comme l’a dit Palouki Massina dans un article intitulé ‘’Le juge constitutionnel africain francophone : entre politique et droit’’ publié dans Revue française de droit constitutionnel 2017/3 (N° 111), pages 641 à 670, en faisant remarquer que «Les décisions du juge constitutionnel africain favorables au politique (l’intérêt collectif), bénéficient généralement de plus de publicité que celles favorables au juridique (libertés individuelles). Parce que dans la concurrence permanente que se livrent les deux notions, le néolibéralisme a fait revenir le paradigme juridique au premier plan pour soumettre le politique. Dès lors, toute décision défavorable au droit est décriée et considérée comme illégitime. Or, les deux types de décisions peuvent contribuer à l’affirmation de l’État de droit.» Vu sous cet angle et se fondant sur le large pouvoir d’investigation que lui reconnait l’article 14 alinéa 5 de la loi organique n°2016-23 du 14 juillet 2016, le Conseil constitutionnel pourrait en toute logique, rejeter ces trois candidatures conformément à «l’esprit général de la constitution» plusieurs fois évoqué dans ses décisions. L’entente politique qui a abouti à la modification du code électoral permettant aux condamnés graciés de conserver leur droit de vote et d’être élu, ne lie en rien le juge constitutionnel, dernier rempart de l’Etat de droit. Le Sénégal est à un tournant important de son avenir institutionnel : pour la première fois de son histoire, le président sortant n’est pas candidat à sa propre succession, le pays est dans l’œil du cyclone djihadiste qui a fini de déstabiliser ses voisins et le pays s’apprête à entrer dans le cercle restreint des puissances pétrolières et gazières aiguisant les appétits de forces occultes et mercantilistes. Dès lors, ‘’ les sept sages’’ seront, comme toujours (c’est notre conviction profonde), dans «l’affirmation de l’Etat de droit» et tous doivent accepter leur décision en disant comme les Chrétiens, surtout en ces temps de Noel et de Saint Sylvestre, ‘’ Ainsi soit-il. Amen ‘’

Sankoun FATY

Colonel de Gendarmerie à la retraite Juriste-consultant,

Acteur de la société civile

E.mail : sdfaty@gmail.com







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