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Un Temps RetrouvÉ…

Un Temps RetrouvÉ…

Le gouvernement vient de prolonger la fermeture des écoles et des universités. Nous nous acheminons vers une plus longue période d’astreinte sociale. Ce n’est pas encore le confinement total. Pour les entreprises qui le peuvent, leurs employés sont en télétravail. Pour les autres, ceux que l’on appelle les ambulants ou les informels, l’économie est d’abord relationnelle. L’interaction humaine est nécessaire à l’échange économique. Acheter (jënd), vendre (jaay), marchander, commercer, implique une présence physique. La distanciation sociale sous nos cieux doit être pensée en fonction du type d’interaction interindividuelle et adaptée à la sociologie de nos rapports sociaux. Cartographier les espaces d’agglutination, les lieux de regroupement humain, de compaction, en comprendre les motifs et les raisons, travailler à décompacter le groupe, tout en le maintenant en vie. Voici le défi de nos anthropologues et de nos sociologues.

La ville est toujours fantomatique. Elle n’est pas reconnaissable. Ses densités se sont défaites. Son énergie désormais diffuse, s’échappe et s’évanouit par ses flancs. On la voit sous un autre jour. Ses habitants s’étant fait plus rare dans ses allées, sa présence s’est accrue, son architecture, ses rues, l’allure de ses arbres, sa façade atlantique sont désormais visibles. Leur épaisseur, leur densité et leur présence nous hèle.

Ce temps pourrait être un temps retrouvé. Mais il est grevé par l’angoisse de devoir vivre avec de l’inconnu devant soi. Nous avions pris l’habitude de préempter le futur. De planifier le temps à venir. Pour ceux qui parmi nous vivent dans le tourbillon d’un monde globalisé, hyper-mobile, postmoderne, nous avions l’habitude de remplir nos agendas pour les mois à venir. Nous savions ce que nous allions faire l’hiver et le printemps prochains.

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Nous avions congédié l’inattendu, harnaché par une psychologie de l’établi, un temps ordonné par des buts, des objectifs et des livrables. Nous habitions ce temps du capitalisme, orienté vers toujours plus de productivité, obnubilé que nous étions à effectuer la plus grande quantité d’actions par unité de temps. Occuper le temps, jusqu’à saturation. Pour d’autres, la majorité, les lendemains ont toujours été teintés d’incertitude. Ils apportent leur lot de défis et de cols abrupts, parfois de surprises et de consolations. Les lendemains incertains, ils connaissent et savent faire avec. Le temps, ils l’apprivoisent au tour du thé, dans la nasse d’une conversation qui le transmue en un lien d’une qualité renforcée.

Une fois l’étau desserré, que faire de ce temps retrouvé ?

Cette situation nous oblige à dé-projeter le futur et à le laisser advenir. Elle nous force à être avec nous-mêmes. Vivre avec soi. Etre présent à l’intériorité qui affleure, habituellement étouffée par la suractivité et les bruits du dehors. Nous avions différé le rendez-vous avec nous-même. Résonne à nouveau la vibration essentielle de notre existence. Les anachorètes, les écrivains et les artistes connaissent cela. Ralentir travaux. Se poser. Ecouter ses voix intimes, sa multitude bavarde ou silencieuse, le peuple qui vous habite. Ainsi, s’insinue en soi les choses qui ont besoin de temps, de latence, de durée pour affleurer, se cristalliser, être et cogner aux parois de votre être.

Les Pâques sénégalaises sont habituellement animées. Jeudi saint, vendredi saint, messe de pâques. Cette année la chorale de l’église des martyrs de l’Ouganda s’est tue. L’archevêque de Dakar et quelques prêtres célèbrent la messe seuls à la cathédrale de Dakar. Elle est retransmise à la télé et les fidèles pourront aussi la suivre sur WhatsApp. Chacun devant rester chez soi, la traditionnelle distribution de ngalax de la part des familles chrétiennes aux familles musulmanes, symbole et expression ici de la fraternité inter-confessionnelle, aura-t-elle lieu ?

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Ce texte a été prémablement publié le 14 avril 2020 dans la Sueddeutsche zeitung







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